Bobigny Handicap

Des rencontres pour ouvrir l’art et la culture au handicap

Quelle est la place du handicap dans la création artistique ? Quelles sont les contraintes d’un projet artistique participatif ? C’est pour réfléchir à ce genre de questions que le théâtre de la MC93 de Bobigny a accueilli le 11 décembre des rencontres professionnelles autour du thème « art et handicap ».

« Le jour du spectacle, on a vraiment vu nos usagers heureux, ça leur a fait faire des progrès et prouvé qu’ils étaient capables de quelque chose. » Anne Lapeyre, éducatrice dans un Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes handicapés (SAMSAH) basé à Rosny-sous-Bois, témoigne volontiers des bienfaits du projet « Figure Libre » qui se sera déroulé entre novembre 2017 et juillet dernier au Centre national de la Danse de Pantin. Cette pièce dansée, créée par la compagnie Acajou à l’initiative du Département avec une dizaine de personnes en situation de handicap moteur, a selon elle grandement aidé ses participants, en les valorisant et en les sortant de l’isolement auquel les confine parfois la société.
C’est pour évoquer ce genre de projets - encore trop peu nombreux - que la MC93 et le festival Imago organisaient le mardi 11 décembre, avec le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis, une rencontre entre professionnels de la culture et personnels travaillant sur le handicap. S’ils collaborent parfois, ces deux mondes s’ignorent en effet encore trop souvent, par manque de dialogue ou de connaissance l’un de l’autre.

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« Alors même que la loi doit garantir un accès à la culture pour tous, les publics défavorisés et en particulier les handicapés sont toujours un peu la cinquième roue du carrosse », constatait en préambule Olivier Couder, l’un des organisateurs de cette journée et co-fondateur du festival Imago. Assez novatrice, cette manifestation lancée cette année par le théâtre du Cristal d’Eragny-sur-Oise a proposé jusqu’à 100 représentations dans 50 lieux publics d’Ile-de-France autour de la thématique du handicap. Un effort auquel aura aussi participé le territoire de la Seine-Saint-Denis puisque le théâtre des Bergeries de Noisy-le-Sec a programmé deux spectacles dans ce cadre – Is there life on Mars ? », un spectacle sur l’autisme, et « Rayons X ». « A Noisy-le-Sec, on a fait le constat que la catégorie de personnes qui venaient au théâtre était souvent la même et que tout un tas de gens restaient éloignés du spectacle, pour des facteurs sociaux mais aussi de handicap. Notre défi est donc de faire en sorte que ces personnes-là se sentent elles aussi légitimes à venir et le cas échéant à participer », expliquait Lucie Chataigner, directrice adjointe des Bergeries.
Lors de cette journée énergique mais lucide, tout le monde s’accordait en effet sur un point : les retards en matière d’accès à la culture pour les personnes handicapées sont conséquents. Et les explications à ces retards, nombreuses : problèmes d’accessibilité des lieux de culture mais surtout des transports, manque de moyens financiers, carences en informations et enfin manque de visibilité de la question du handicap au sein de la création artistique. « En France, du fait notamment d’un retard dans les infrastructures, les personnes handicapées sont peu présentes dans l’espace public. Du coup, le handicap est aussi peu visible dans le monde de l’art, que ce soit à travers des œuvres qui l’évoqueraient ou à travers des artistes eux-mêmes en situation de handicap », estimait Marie Perrier, responsable adjointe d’un service social à Aubervilliers.

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Outre un travail de fond à mener sans relâche dans les politiques publiques de construction, plusieurs pistes étaient modestement évoquées pour tenter d’inverser cette tendance. L’identification de certains problèmes déjà : « L’une des difficultés auxquelles on est bien souvent confronté, c’est un manque de sensibilisation ou de temps des personnels travaillant avec des personnes handicapées. A tel point que quand un éducateur part, c’est bien souvent le projet qui part avec », pointait ainsi Eva Dewalles, médiatrice au Musée d’Art et d’histoire de la ville de Saint-Denis. Pro-actif dans le domaine, ce musée travaille avec plusieurs IME (Instituts médico-éducatifs) de la ville ou encore avec le Groupement des aphasiques d’Ile-de-France. A ces partenaires, il propose visites théâtralisées, de l’audio-description, des tableaux tactiles ou des ateliers plastiques.
Des outils comme les projets artistiques participatifs ensuite... A l’image de la « Tour de Balbel », co-écrit par plusieurs Balbyniens et habitants de Seine-Saint-Denis, dont quelques personnes en situation de handicap, sous la direction de la metteuse en scène Natascha Rudolf et joué en septembre dernier à la MC 93. Yannick, domicilié au foyer Afaser de Montreuil, témoignait par exemple de sa joie d’avoir participé à cette aventure : « Je disais un texte sur la randonnée que j’avais écrit. Ca m’a vraiment plu et maintenant je viens très souvent à la MC, aussi pour d’autres spectacles ». Natascha Rudolf, elle, ne niait pas les contraintes découlant de la participation de personnes porteuses de handicap, mais c’était pour mieux souligner « l’enrichissement mutuel » qui en découlait : « Il y a toute une série de besoins corporels à prendre en compte – des pauses à effectuer, des soignants à impliquer - mais c’est tout à fait faisable. Je pense vraiment que ce genre de projets change le regard sur le handicap dans le corps social. »
Hochement de têtes dans l’assistance, applaudissements. Dans le hall de la MC93, à l’issue de cette journée fructueuse, on s’échangeait numéros de téléphone ou cartes de visite, et on promettait de se revoir bientôt.

Photos : @Daniel Ruhl

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