Au temps des baignades en bords de Marne
Août, haute saison du farniente ! Saviez-vous que la plage de Gournay-sur-Marne était surnommée le Petit Deauville ? Les Parisiens s’y ruaient pour une journée de détente voire d’une partie de campagne nautique. Plongée dans les baignades des bords de Marne du 19e siècle aux années 1970.
De tout temps, on s’est baigné dans les fleuves et rivières comme la Seine ou la Marne qui coulent sur notre territoire. Mais au milieu du 19e siècle, la dissociation de la baignade et de la toilette fait émerger la natation comme un sport à part entière. En 1870, la défaite lors de la guerre contre la Prusse est attribuée notamment au peu d’entrainement physique de l’armée française. En 1879, l’apprentissage de la natation est donc rendu obligatoire dans les armées et les écoles.
L’Angleterre reste un modèle pour le développement du sport alors que la France est très retard : le sport y est synonyme de divertissement d’élite réservé à un nombre restreint de pratiquants. Le sursaut patriotique qui suit la défaite contre la Prusse et les efforts d’hommes tels que Pierre de Coubertin qui réinvente les Jeux olympiques favorisent la démocratisation du sport. Dans les dernières décennies du 19e siècle la natation se popularise.
La construction des toutes premières piscines publiques notamment à Paris accompagne de nouvelles pratiques sportives comme la nage en eaux vives. Elles renforcent le succès des baignades en bords de Seine et de Marne même si les noyés restent encore très nombreux à déplorer.
Dans les années 1870, les pouvoirs publics font tout pour faire disparaître les écoles de natation en bords de Seine devenues envahissantes en perturbant l’important trafic fluvial dans la capitale. Quand les baignades en rivière sont expulsées de Paris pour trouver refuge en banlieue, les baignades en Marne prennent leur essor et deviendront un eldorado touristique pour les entrepreneurs qui investiront dans ces infrastructures de loisirs.
Ainsi au 20e siècle, la plage de Gournay-sur-Marne créée dans les années 30 est connue pour être la plus belle d’Ile-de-France avec celle de L’Isle-Adam en bord de l’Oise. A moins de 15 kilomètres de la Porte de Vincennes, les Parisiens raffolent de son banc de sable de 250 mètres de long et de son eau soit-disant limpide. Sa péniche-restaurant, son bar terrasse, son dancing et tous les divertissements qu’offre le Petit Deauville (comme elle se nomme dans les publicités) permettent à ceux qui souhaitent s’amuser sans se baigner de profiter d’une journée de détente voire d’une partie de campagne au bord de l’eau. A cette époque une ville comme Gournay n’est pratiquement pas urbanisée et le dépaysement total pour les Parisiens en recherche d’évasion. Les accords de Matignon et le vote de 15 jours de congés payés arrachés de haute lutte sociale par le Front populaire en 1936 renforcent le succès de ces journées de loisirs au bord de l’eau loin des grands centres urbains.
Les baignades comme celle de Gournay émergent surtout à partir des années 1920-1930, époque où ont été construits la plupart des établissements. Elles reproduisent l’architecture et l’imaginaire balnéaires dans leur dénomination et obligent les baigneurs à porter des vêtements pour se mettre à l’eau, ce qui n‘était pas toujours le cas, surtout dans les baignades sauvages et anciennes.
Les camps de nudistes des bords de Marne
L’apparition du naturisme ne remonte pas aux années 1960-70 et ce phénomène sociologique ne concerne pas seulement certaines plages du littoral. Des camps de nudistes, officiellement dénommés ainsi, ont bel et bien existé en bords de Marne. Des documents d’archives émanant de la sous-préfecture de Pontoise le prouvent, notamment pour les communes de Gournay et de Noisy-le Grand.
S’agit-il réellement de nudisme tel qu’on l’entend aujourd’hui ? Il semble que non, mais la tenue (voire l’absence de tenue) des personnes incriminées paraissait suffisamment choquante à l’époque pour que les autorités les traitent de nudistes et considèrent leur comportement comme une atteinte à l’ordre public.
D’autant plus que, derrière cette activité innocente, d’autres beaucoup plus subversives semblaient se cacher pour les autorités de l’époque. D’après les rapports de police, ces camps de nudistes ont été créés par des associations de sport et de loisirs proches du Parti communiste, et essentiellement fréquentés par des étrangers en situation illégale. Dans une lettre du maire de Noisy-le-Grand au sous-préfet de Pontoise en février 1935, ce dernier se plaint des nuisances suivantes « (…) j’ai l’honneur de vous faire connaître ainsi que je vous l’ai déjà exposé, que depuis plusieurs années les bords de Marne sont envahis par un nombre très important d’individus de toutes nationalités, principalement des Hongrois et des Autrichiens, qui séjournent les samedis et dimanches dans une tenue par trop légère ; hommes et femmes n’ayant pour tout costume qu’un cache-sexe ».
Pourtant dès octobre 1926, un arrêté de police du maire précédent, Léon Bernard, stipulait que toute personne qui voudrait se baigner dans la Marne ne pourrait le faire que munie d’un maillot partant des épaules, jusqu’à mi-cuisse, le caleçon étant formellement exclu. (Voir l’arrêté complet sur l’illustration ci-dessous). Pour les autorités de la ville, ces camps de nudistes constituaient donc des lieux de rassemblement politiques susceptibles de causer des troubles séditieux. Ces baigneuses et ces baigneurs trop légèrement vêtus devenaient des éléments perturbateurs de l’ordre social aux yeux des pouvoirs locaux...
L’âge d’or des baignades
Si Gournay-sur-Marne figurait parmi les baignades des bords de Marne les plus en vue du Bassin parisien, une plage municipale populaire fut créée à Neuilly-sur-Marne en 1937.
A Noisy-le-Grand la baignade des Grammonts privée était aussi appelée « La plage pouilleuse » sans doute par opposition à la luxueuse plage de Gournay. La baignade du Quai de la Rive Charmante (privée, plus ancienne et la plus fréquentées des plages de Noisy) bien que non officielle, était aussi tolérée par la municipalité. Dès 1888, le conseil municipal de Noisy-le-Grand se préoccupait d’établir un règlement des baignades afin que les enfants ne se baignent pas sans caleçon ou ne s’exposent pas à des accidents. Un ponton en « L » surmonté d’un plongeoir, en bois tous les deux, accueillait les nageurs et nageuses qui pouvaient apparemment prendre un bain de soleil sur une berge non aménagée. Aujourd’hui le Quai de la Rive Charmante n’accueille plus de baignade, mais offre toujours un espace agréable, davantage aménagé mais qui conserve une apparence naturelle grâce au parc départemental de la Haute-Ile en face, laissé à l’état sauvage.
L’une des spécificités du Quai de la Rive Charmante étaient les nombreuses guinguettes qui y étaient installées. Au son de l’accordéon pour danser, elles étaient l’endroit où on allait boire le guinguet ou ginguet, petit vin piquant qui devait être consommé dans l’année comme celui de Suresnes ou d’Argenteuil.
La concurrence puis l’avènement des piscines
Johnny Weissmüller (futur Tarzan du cinéma hollywoodien), champion olympique à la piscine de la Porte des Lilas en 1924 suscita de nombreuses vocations pour la nage en bassins fermés. Dans le même temps, les préoccupations hygiénistes et sociales de municipalités de gauche favorisent la construction des piscines, durant l’Entre-deux-guerres, en proche banlieue parisienne.
L’apogée des baignades en rivière se situe après la Seconde Guerre mondiale, particulièrement dans les années 50. Les années 60 connaitront l’extension progressive de ces établissements jusqu’à ce que la Marne soit interdite à la baignade dans la décennie 1970 pour cause de pollution sans compter la concurrence des piscines qui ont le vent en poupe. Elles apportent une alternative sécurisée et non polluée. La baignade de Neuilly-sur-Marne et sa plage disparaissent au profit d’un camping et d’un port. A Gournay-sur-Marne, l’ouverture d’une piscine en 1974 impose effectivement une concurrence sévère à la plage. Abandonnée en 1979 suite à un arrêté préfectoral, elle sera transformée en base nautique.
La pollution massive accumulée pendant des décennies a donc eu raison des autorisations de baignades dans les rivières telles que la Marne. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? En attendant des initiatives locales tentent de promouvoir le retour de la nage en eaux vives comme à l ‘âge d’or des baignades en bords de fleuves ou de rivières. La FSGT 93 a organisé en juin dernier une course de 500 mètres en nage libre dans le canal de l’Ourcq à Pantin. Le signe d’un renouveau ?
Recette de la fameuse « Matelote » des bords de Marne
Dans les guinguettes populaires des bords de Marne, on dégustait surtout la friture et les goujons mais dans les bons restaurants on pouvait se régaler avec « La Matelote » issue de la pêche locale et des potagers des fermes du coin.
Il faut de très belles anguilles de 1,5 à 2 kg. Dans un chaudron de cuivre, préparer carottes et oignons émincés, branche de thym, laurier, gousses d’ail écrasées. Placer les tronçons d’anguilles et mouiller fortement avec un très bon vin rouge puis flamber au marc de champagne. Dans une sauteuse faire revenir des petits lardons légèrement fumés avec des petits oignons et champignons. Passer la cuisson dans un chinois. Ajouté un beurre manié et les lardons ainsi que les oignons. Servir très chaud sur croûtons au beurre préalablement garnis d’une purée d’oseille.
Cet article a été réalisé avec des documents d’archives et des ouvrages issus des Archives départementales dont
– Plages en ville, Baignades en Marne de Thomas Deschamps, collection du Syndicat Marne vive, aux éditions Johanet
– Guinguettes Restaurants des Bords de Marne Champs-sur-Marne, Chelles, Gournay-sur-Marne, Noisy-le-Grand
– Les camps de nudistes des bords de Marne
– Piscines en Seine-Saint-Denis 1933-1997, des bords de Marne aux centres nautiques (Patrimoine en Seine-Saint-Denis N°8)
Amateur ou amatrice de généalogie ou simplement d’histoire vous pouvez consulter sur place les documents ou accéder aux plus de 10000 documents numérisés dont des cartes postales anciennes depuis chez vous via le site internet des Archives
https://archives.seinesaintdenis.fr/
Visite guidée de l’exposition "Un regard sur la pauvreté, photographies de Walter Weiss (1971-1973)" le 17/07 à 14h30
Tél : 01.43.93.97.00
Archives départementales de la Seine-Saint-Denis
54 avenue du Président Salvador-Allende
93000 Bobigny.
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