A Tremblay, des élèves de Romain-Rolland se livrent à scène ouverte
Lundi 18 juin, des élèves de 3e du collège Romain-Rolland de Tremblay ont raconté sur la scène du Théâtre Louis-Aragon leurs histoires ordinaires-extraordinaires. Un point final à la résidence d’un an de la journaliste Sonia Kronlund, créatrice sur France Culture de l’émission « Des pieds sur terre ».
« Un jour, en primaire, j’ai été persécutée par un groupe de 10 filles emmenées par une leader. Elles se sont mises à me frapper et à m’insulter. Avant ce jour-là, j’étais la petite qui disait oui à tout, une vraie « boloss », mais là c’était fini. C’est à partir de ce jour que je suis devenue violente. En 6e-5e, j’ai fait un paquet de conneries, je n’aimais pas les gens, je les trouvais faux. Aujourd’hui, je regrette d’avoir déconné à mon tour, tout ça, c’est du passé ».
Au micro, Djamila* dit son texte comme si elle était devant le miroir de sa salle de bains. Sauf qu’elle s’adresse au public du Théâtre Louis-Aragon de Tremblay, sans hésiter, sans tricher. Une maîtrise et une maturité assez impressionnantes pour une jeune fille de 3e.
Tranches de vie
Des histoires comme celle de Djamila, les 3e du collège Romain Rolland de Tremblay en auront évoqué beaucoup en ce lundi soir de restitution finale de la résidence de la journaliste Sonia Kronlund. Depuis cette année, 4 nouvelles résidences « médias » en collèges sont en effet venues enrichir la palette déjà fournie des parcours éducatifs proposés par le Département (voir encadré).
Mais davantage que de journalisme, il était lundi soir question de tranches de vie livrées à coeur ouvert. Reprenant le concept des « Pieds sur scène » de France Culture, une manifestation scénique où des gens de tous âges se racontent à travers un témoignage significatif, cette représentation aura fait mouche. Beaucoup de thèmes évoqués, et pas des plus faciles : l’expérience du racisme pour Marwan, le récit d’une enfance déracinée pour Boubacar, le rapport à la tradition religieuse pour Nafissa.
Parfois, leurs témoignages ont été recueillis par d’autres élèves, comme pour Hanoch. L’histoire racontée par ce garçon, qui a grandi au Salvador avant d’arriver en France, fait froid dans le dos, à peine adoucie par la pirouette finale : « Au Salvador, j’ai grandi dans un environnement très violent. Il y a des bandes armées, qu’on appelle les maras. J’ai vu mon premier cadavre à 7-8 ans. Il y avait beaucoup d’armes automatiques dans les quartiers. Quand j’allais chez ma grand-mère, là, je devais vraiment faire attention car elle habitait un quartier particulièrement dangereux. A 12 ans, on m’a moi-même proposé d’entrer dans un gang. Mais j’ai refusé parce que mes parents m’ont toujours dit de mener une vie honnête. Alors, quand j’entends dire que dans le 93, il y a beaucoup de violence, je ne comprends pas trop ». Rires dans la salle.
Jeunesse pétillante
Tous ces témoignages dessine le visage d’une jeunesse pétillante, vive, qui a des choses à dire, pour peu qu’on veuille bien l’écouter. « Je suis super fière d’eux. Durant tout le projet, ils ont été persévérants, ils ont surmonté des tas d’obstacles. A l’arrivée, ils réussissent un super truc, qui leur a donné confiance en eux », estimait Sonia Kronlund. La journaliste de France Culture n’aura pas ménagé ses efforts pour « cuisiner » ses protégés, les convaincre de livrer un peu de leur intimité, mais le jeu en aura valu la chandelle.
« J’ai accepté de raconter cette histoire parce que je voulais montrer aux gens victimes de harcèlement à l’école qu’ils sont pas seuls », témoignait après coup Djamila. Pour Nawel, auteure d’une petite enquête auprès de ses camarades de classe sur le harcèlement sexiste, la motivation a été autre : « Je voulais montrer à quel point les insultes que beaucoup de filles peuvent entendre dans la rue sont violentes et vicieuses. C’est violent, et en plus, ça nous fait nous sentir coupables. Et puis, je voulais aussi ne pas laisser seule une copine qui a livré un témoignage de harcèlement au micro ».
Ce courage et cette entraide, c’est aussi ce que retenaient du projet certains parents. « Les entendre se livrer ainsi à coeur ouvert, c’est émouvant. Je pense que ça leur fait du bien pour eux-mêmes et puis ça consolide leur amitié », jugeaient Francis et Françoise, parents de Sidélia, une autre élève ayant participé au projet.
Pas forcément de vocation journalistique ou scénique naissante chez ces jeunes, sauf pour Boubacar qui souhaite « devenir acteur ». Mais l’essentiel était ailleurs : « Je suis admirative de l’engagement qu’ils ont pris à travers ce spectacle. Ils ont beaucoup travaillé, ils sont allés au bout d’un projet en témoignant sur des choses parfois vraiment intimes. Je suis sûre que beaucoup d’entre eux s’en souviendront longtemps », estimait leur professeure de français, référente sur cette initiative, Mme Mendez.
A l’issue de la représentation, tout le monde, élèves, professeurs, se tombait d’ailleurs dans les bras. Certains n’en revenaient pas d’avoir pu dire leur texte sans trébucher, sans être happés par l’émotion. Sur la dalle du théâtre Louis-Aragon, une belle lumière faisait suite au noir de la scène. Et les élèves de Romain-Rolland étaient gagnés par la douce sensation d’avoir la vie devant eux.
Christophe Lehousse
Photos : @Meyer- Tendance floue
*La plupart des prénoms ont été changés
De nouveaux parcours d’éducation aux médias
Développer un sens critique, s’interroger sur une source d’information, comprendre les grands genres du journalisme : c’est le sens des nouveaux parcours d’éducation aux médias lancés cette année par le Département.
Sur le modèle des résidences In Situ d’artistes, ils sont portés à chaque fois par un journaliste intervenant tout au long de l’année dans un collège. Pour cette première édition, outre le collège Romain-Rolland de Tremblay, trois autres dispositifs ont été mis en place. Le collège Fabien de Saint-Denis accueillait ainsi un projet mené par la productrice d’ARTE Claire Doutriaux, qui a débouché sur un mini-documentaire intitulé « La couleur de nos origines ». Des élèves de 4e du collège Pablo-Neruda de Montfermeil ont eux réalisé une enquête sur le recrutement des joueurs de Seine-Saint-Denis dans le foot professionnel, orchestrée par Ronan Boscher, journaliste à So Foot. Enfin, le collège Travail-Langevin de Bagnolet a ouvert ses portes au photoreporter Adrien Selbert de l’agence VU.
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