A Montreuil, une caravane dédiée à la mémoire des quartiers
Animée par le réalisateur montreuillois Pierre Goupillon, l’association Passerelle de Mémoire tisse des liens entre personnes âgées qui, à travers des témoignages filmés, racontent leur quartier tel qu’il était autrefois, et jeunes générations afin que celles-ci n’oublient pas le passé. Une initiative qui, depuis la Semaine bleue (organisée du 4 au 10 octobre), prend place dans une caravane pliante transformée en studio de tournage.
« Je me souviens de cette crémière qui se déplaçait dans la ville en carriole et qui faisait du porte-à-porte pour vendre ses yaourts » ; jusque dans les années 1950 « il y avait à la Boissière un seul groupe d’immeubles », un ensemble HLM sis au 233-235 boulevard Aristide Briand auquel « seuls les gens riches » pouvaient prétendre. Et les pavés, les rails de tramway, les calèches, qui circulaient en ville il y a à peine soixante ans encore, les nombreuses productions horticoles et, bien sûr, les murs à pêches, devenus légendaires.
Pierre Goupillon, Montreuillois, réalisateur de son état, a créé en 2019 Passerelle de Mémoire, une association avec laquelle il a récolté une série de témoignages consacrés au passé de Montreuil. Les habitants, pour la plupart nés au mitan du siècle passé, sont invités à convoquer leurs souvenirs pour dépeindre un territoire aujourd’hui enfoui, pour partie, sous le goudron et le béton. Le premier film de ce dispositif intitulé Mémoire des Territoires était consacré à l’histoire contemporaine de la Boissière, un quartier populaire du Haut-Montreuil. « Ce film retrace l’évolution de ce quartier des années 1945 à nos jours. Avec l’arrivée du tram [T1], du métro [prolongement de la ligne 11] et la livraison de nombreux logements, ce quartier est en pleine mutation, bientôt il sera méconnaissable », explique Pierre Goupillon. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, on vit dans un monde en accéléré, on passe notre temps à courir, on s’intéresse uniquement à ce qui va suivre. Je propose donc qu’on s’arrête un instant et qu’on ravive le passé avant que celui-ci ne soit oublié. Et puis, il est pour moi primordial que ces témoignages créent des liens entre les habitants. »
Un futur média des territoires
« Les liens entre habitants », c’est de fait la face B du projet. Ces films - disponibles sur YouTube mais projetés également dans des salles polyvalentes, des antennes de quartier, des locaux d’associations - ont en effet vocation à être montrés aux jeunes générations mais aussi à créer des passerelles intergénérationnelles. « Les seniors et la génération Z ne vivent pas dans la même temporalité, estime le réalisateur. Ce processus permet de redonner une place aux plus anciens dans notre société, de proposer aux jeunes un regard positif sur leur quartier, de sensibiliser à la mémoire émotionnelle ainsi qu’à la notion de territoire et de prévenir de l’isolement des seniors à domicile ou en EHPAD. Nous sommes actuellement à un virage : la génération des personnes âgées, qui a connu un monde sans internet, va disparaître sans laisser vraiment de trace numérique des mutations sociales et urbaines vécues. De plus, confrontés à la Covid 19, les seniors s’isolent et s’éloignent encore plus de ce rôle fédérateur de transmetteur de patrimoine, de savoir et de savoir-faire. Je me sers de l’histoire d’une ville pour rapprocher ces deux publics. » L’objectif, à terme, est de créer un média des territoires diffusé sur le web, où la population prendrait une part active.
« Ah, et cette fameuse autoroute A186 ! »
Lors de la Semaine bleue, dont l’édition montreuilloise a eu lieu du 4 au 13 octobre (du 4 au 10 octobre dans le département), Pierre et ses acolytes de l’association Passerelle de Mémoire ont installé devant la mairie de Montreuil leur nouveau joujou : une caravane pliante qui se déploie dans le sens de la longueur et qui a été transformée en véritable studio de tournage. A l’intérieur, tout s’ajuste au centimètre près. C’est dans cet espace de 12 m2 qu’auront désormais lieu les entretiens filmés, certaines projections et les réunions de l’association. A l’intérieur, il ne manque rien : fond vert, projecteurs, perche micro, caméra… et même un réfrigérateur et une machine à café. « Grâce à cet équipement (financé par la mutuelle AG2R La Mondiale et la caisse nationale d’assurance vieillesse, qui ont décidé de s’inscrire dans ce projet, ndlr), nous ne sommes plus tributaires des lieux de tournage et sommes au plus près des habitants », souligne Pierre.
On y croise aussi des visages qui nous sont familiers, aperçus dans certains documentaires. Ainsi de Giorgio : « Raconter le quartier de mon enfance et partir à la rencontre des jeunes habitants est une démarche à laquelle j’ai tout de suite souscrit, indique ce résident historique de la Boissière. Il est important de se rappeler que dans un temps pas si ancien on cultivait des fruits et des chrysanthèmes sur l’actuel stade Jules-Verne, rue Edouard Branly. » Pour Annie, qui a grandi dans les Murs-à-Pêches, « un village dans la ville », les photos ne sont pas grand chose sans les anecdotes qui vont avec. « Mes grands-parents me racontaient des histoires que je commence à oublier… Les choses s’effacent au fil du temps, ces archives filmées remplissent un devoir nécessaire. » Serge, un habitant du quartier des Ramenas, ne dit pas autre chose. « Il faut non seulement témoigner des changements mais aussi faire en sorte que les jeunes sachent comment nous avons vécu, se plonger dans le passé pour expliquer le présent. » Après avoir vécu dans le centre-ville, Serge a posé ses valises dans la cité des Castors, qui fut à l’époque un programme novateur : ces habitations ont été érigées par les riverains eux-mêmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale alors que la ville était confrontée à une pénurie de logements. « Ah, et cette fameuse autoroute A186 ! Dans les années 1960, c’était un projet ambitieux. » Qui resta inachevé. Elle vient d’être détruite pour faire place au prolongement de la ligne de tramway T1.
Grégoire Remund
Photos : ©Nicolas Moulard
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