Mourad Boudaoud- Bien engrainé
Vous le connaissez peut-être mieux sous le nom du lieutenant Borrel, dans la série « Caïn ». A 31 ans, ce Pantinois pur jus dit son attachement à la Seine-Saint-Denis, où il a découvert sa passion de la scène et qu’il n’exclut pas de porter un jour à l’écran. Portrait.
Ne cherchez pas la chemise à carreaux ou les blagues de geek, elles ne sont pas là. Ce n’est pas au lieutenant Borrel qu’on a affaire aujourd’hui, mais bien à Mourad Boudaoud. Le jeune acteur pantinois a beau prêter son visage au lieutenant récurrent de « Caïn », la série policière de France 2, pour la sixième année consécutive, il n’a finalement pas grand chose en commun avec la bleusaille qu’il incarne à l’écran. Si ce n’est les manières affables.
Pas d’origine sudiste non plus, à la différence de son double qui déploie ses enquêtes à Marseille : Mourad Boudaoud, c’est du 100 % made in Seine-Saint-Denis. Enfance au métro Eglise de Pantin, adolescence au quartier des Courtillières, fac à Paris-8 Saint-Denis : on peut difficilement faire plus corporate que ce jeune homme qui se définit comme un « pur Pantinois ».
« Pantin, c’est là que j’ai grandi et c’est aussi là que j’ai vraiment découvert le théâtre et le cinéma, dans des associations qu’il faudrait inventer si elles n’existaient pas ». Autrement dit, le Githec pour les planches, les Engraineurs pour le cinéma. Ces deux structures, nichées dans la maison de quartier des Courtillières où Mourad a grandi entre ses parents originaires d’Algérie, sont en effet exemplaires pour le travail qu’elles réalisent depuis près de 30 ans maintenant sur le terrain, au plus près des habitants.
Avec le Githec – Groupe d’intervention théâtrale et cinématographique - le jeune homme connaîtra à partir de 13 ans le bonheur de voir aboutir ces aventures humaines que sont les spectacles collectifs. Et avec les Engraineurs, il goûtera au plaisir de voir un scénario se muer petit à petit en film. Mieux, ces deux associations viendront même corriger une erreur d’aiguillage qui aurait pu s’avérer néfaste.
« Pour venir à la scène, j’ai eu un parcours sinueux », dit Mourad en mimant avec sa main un S semblable aux fameux serpentins de son quartier des Courtillières. « Après la seconde, j’ai été orienté vers le génie mécanique. Ca ne m’a pas trop plu. Je suis passé d’un lycée mixte à un lycée de Drancy avec que des mecs, et les matières m’ennuyaient. Je me suis posé beaucoup de questions au moment de passer le bac et finalement, c’est une discussion avec la documentaliste du lycée qui m’a ouvert les yeux. Elle m’a demandé ce qui me plaisait réellement dans la vie, et quand je lui ai répondu que c’était le jeu, la scène avec les potes, elle m’a dit de tenter le coup ».
Riche idée. L’ascension de Mourad n’est évidemment pas fulgurante, mais petit à petit, le futur lieutenant Borrel va prendre du galon.
En 2008, sa participation à « Rue des Cités » des réalisateurs Carine May et Hakim Zouhani est une première étape importante. Car Mourad y décroche non seulement un rôle mais aussi une bande de complices. Quelques mois plus tard, c’est en effet avec ce duo et Yassine Qnia, un autre jeune réalisateur natif d’Aubervilliers qu’ils signent ensemble « Fais croquer ». Ce court-métrage, qui raconte ironiquement les envies de réalisation d’un jeune homme des quartiers populaires perpétuellement saccagées par son groupe de potes, connaîtra une belle carrière dans les festivals.
A l’inverse, on sent que chez Mourad, cette notion de troupe est une force, un moteur et que si chacun laisse l’autre « croquer », ce n’est pas sous la contrainte. Le quatuor récidivera d’ailleurs avec « Molii », l’histoire d’un jeune qui remplace pour une nuit son père, gardien de la piscine d’Aubervilliers, pour lui prouver qu’il est digne de confiance.
Entre temps, Mourad a intégré une autre bande, fictive celle-là, autour du commissaire à la fois drôle et cynique Fred Caïn, joué par Bruno Debrandt. « Au casting de la première saison, je ne savais même pas que c’était un rôle récurrent. Et puis, au fil des années, mon personnage de flic un peu maladroit mais attachant, s’est étoffé. Maintenant, j’aimerais bien qu’on creuse un peu son passé », raconte le lieutenant Borrel.
Aussi méthodique que son personnage dans Caïn, Mourad envisage désormais de passer à l’étape d’après, celle de la réalisation en solo. Amoureux des voyages, il travaille en ce moment à l’écriture d’un court-métrage qui se déroulerait à Rio, pour laquelle il avait un coup de coeur en 2009. « Ca parlera des gamins de favelas qui viennent vendre des chewing-gums ou de la nourriture sur la plage très select d’Ipanema. Là, ils rencontrent la bourgeoisie brésilienne, mais sans vraiment la rencontrer ».
Paradoxalement, c’est aussi en voyageant que ce fan de « La Cidade de Deus » ou du « Parrain » s’est rendu compte que la Seine-Saint-Denis avait une identité peut-être plus intéressante qu’il ne pensait. « C’est en allant voir ailleurs que je me suis aperçu qu’on avait une identité forte. Alors, oui évidemment, il y a de la pauvreté en Seine-Saint-Denis, d’où découle aussi de la délinquance, mais il y a tellement plus que ça : il y a cette fierté de faire partie d’un territoire multiculturel, dynamique, au diapason de la France d’aujourd’hui ». Un sujet - la Seine-Saint-Denis et son image - que ce touche-à-tout, qui a joué dans « Nous trois ou rien » de Kheiron, autre enfant du 93, n’écarte pas un jour de porter lui aussi à l’écran. Et de se rappeler un souvenir particulièrement vivace : « Ado, je n’aimais pas forcément traîner dans certains endroits de la Seine-Saint-Denis comme les Quatre Chemins. Ce carrefour bruyant et hyperactif n’avait rien de bien attrayant pour moi qui ne rêvais que de Paris Paris Paris. Maintenant, j’adore. Et pour un scénariste, c’est une source d’inspiration inépuisable. »
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