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Yvan Loiseau nous ouvre le frigo des gringos

Ce comédien-photographe vivant à Saint-Ouen revient dans un seul en scène tonique et grinçant sur la colonisation de l’Amérique latine, continent qu’il a parcouru dans un voyage en 2013. Vous trouverez dans le frigo des gringos de l’humour à froid, des connaissances et une bonne dose d’analyse politique.

Son premier recueil de photographies, tirées de son voyage en Amérique latine, s’appelait « Méditation acidulée ». Sur scène, Yvan Loiseau, touche-à-tout talentueux, va jusqu’à produire sur le même sujet des méditations acides. En une heure trente de spectacle, ce comédien jovial et concerné retrace 6 siècles de colonisation puis de néo-colonisation de ce continent, baptisé « frigo des gringos » pour la propension des Occidentaux à se servir allègrement dans les réserves.

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Bien construit, le frigo d’Yvan Loiseau comporte quatre étages. Premier étage : la colonisation du continent par Christophe Colomb, croqué en brute assoiffée d’or et en benêt infatué de sa personne. Et même quand son fidèle George Pérec Salvatore (GPS) lui indique qu’il n’a peut-être pas découvert les Indes orientales, Colomb n’en démord pas. Pas avare en imitations très personnelles, Yvan Loiseau est parfait en Charles Quint, tout droit sorti d’un tableau de Velasquez, ou dans le remake - cynique à souhait - de la controverse de Valladolid, tout l’enjeu étant de savoir si les Amérindiens étaient égaux aux Blancs.
Après un deuxième étage du frigo revisitant la peu reluisante histoire du percement du canal de Panama, on en arrive à une partie plus contemporaine où le comédien se centre sur le cas du Chili, « grand et fin » comme lui, même si « plus vallonné ». Entre deux boutades, le rire reste parfois coincé dans la gorge du spectateur. Le personnage du « grand magicien » Augusto Pinochet, « plus à l’aise dans la disparition des personnes que dans leur réapparition », fait ainsi froid dans le dos. Sans y toucher, Yvan Loiseau rappelle le terrible bilan de cette dictature : 3200 morts et disparus, autour de 38 000 personnes torturées. Il convoque aussi la figure réellement existante de Maria, rencontrée au cours de son voyage au Chili, encore tremblante de la brutalité avec laquelle on lui aura rétorqué que son mari, disparu subitement une nuit de 1975, était « une invention de son esprit ».
Cerise sur le dulce de leche, le seul en scène se termine par un saut pas si délirant en 2029, où le comédien se rêve lui-même en financier humaniste, engagé dans un exercice de « green-washing » de haut vol. Un tee-shirt « Make deforestation great again », il tente de nous convaincre que la « déforestation douce » de l’Amazonie est un bienfait pour l’humanité et permettra à des milliers de personnes de ces zones enclavées d’accéder enfin à l’I-phone 32 et aux entrepreneurs d’exploiter plusieurs gisements pétrolifères. « Un win-win », comme on dit aujourd’hui...
Et pourquoi donc un spectacle sur la colonisation de l’Amérique latine, davantage que sur l’Afrique ? « Parce que c’est mon premier grand voyage et qu’il m’a mis une claque », explique Loiseau. De ce voyage fondateur, le jeune homme de 28 ans sera revenu avec un bel accent latino, l’ambition de devenir comédien et « la volonté de changer le monde, à ma petite échelle ». Et même si dans son style d’autodérision habituel, Yvan Loiseau fait immédiatement suivre cette réflexion d’un « bouffon », on sent qu’il y croit un peu, heureusement. Son frigo des gringos fait en tout cas réfléchir et rire, même si la porte du frigo grince un peu…

 Au BO Théâtre, Hôtel Novotel à côté de la gare du centre - Jusqu’au 28 juillet, tous les soirs à 21h sauf le lundi

Christophe Lehousse

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