Aide au développement Coronavirus Interview Bondy

Valérie Verdier : « Nous sommes tous interdépendants »

Depuis le début de la crise sanitaire, l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui compte un campus à Bondy, se mobilise pour aider les pays du Sud à faire face à l’épidémie. Sa présidente-directrice générale, Valérie Verdier, nous détaille ces actions, et appelle au développement d’une « science de la durabilité ».

Vous avez pris vos fonctions de présidente-directrice générale de l’IRD en février. Vous attendiez-vous à commencer votre mandat par une telle crise ?

Pas du tout. Bien que nous soyons préparés à cela car ce n’est pas la première crise que nous connaissons, je ne pensais pas démarrer ma mandature de cette façon. Ma première réaction a été de penser à la sécurité du personnel, puis il a fallu faire en sorte que l’activité se poursuive et que la continuité de la recherche soit assurée. J’ai ensuite nommé le 2 avril un Comité scientifique interdisciplinaire et partenarial Covid-19 pour conseiller la gouvernance de l’IRD.

L’activité de l’IRD s’est-elle recentrée sur la Covid-19 ?

Je n’ai rien imposé car il faut laisser son autonomie et sa créativité à l’écosystème scientifique et aux chercheurs. Ce sont eux les experts, dont certains ont été mobilisés par le passé pour les épidémies d’Ebola ou d’autres crises sanitaires. Nous avions beaucoup de demandes de nos partenaires. La mise en place de moyens de diagnostic a par exemple été très vite une urgence. Or, nous avons des équipes qui travaillent sur ces aspects en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud. Nous avons donc apporté un appui matériel et contribué à renforcer les capacités des laboratoires dans de nombreux pays. En Thaïlande par exemple, nous avons mis en place un drive de dépistage en zone rurale, pour minimiser les contacts sur le lieu de prélèvement. Tout ça s’est organisé très rapidement.

Quels sont les autres domaines d’intervention de l’IRD dans cette crise ?

Nous avons des chercheurs en sciences sociales qui participent au débat public et conseillent au plus haut niveau, comme par exemple Lætitia Atlani-Duault qui est membre du Conseil scientifique mobilisé auprès du Ministre de la Santé, et Alice Desclaux, responsable du groupe « recherche opérationnelle » de la plateforme de l’OMS à Dakar. Nous faisons aussi de l’épidémiologie, afin d’étudier la progression et l’évolution du virus dans de nombreux pays. C’est absolument essentiel pour conseiller les décideurs nationaux dans la mise en place des stratégies de lutte. Nos équipes apportent par exemple un appui à la construction d’un outil régional de surveillance de la Covid-19 en Afrique. Toujours sur ce continent, nous sommes impliqués dans un gros projet de recherche-action - ARIACOV - soutenu par l’Agence française de développement dans le cadre de l’initiative « Santé en commun ». D’une durée de deux ans, il a pour objectif d’accompagner les autorités du Bénin, du Cameroun, du Ghana, de Guinée, de République démocratique du Congo et du Sénégal dans l’élaboration et le renforcement des stratégies nationales de riposte à l’épidémie.

Tout cela se fait en partenariat avec les autorités et scientifiques des pays du Sud ?

Oui. Notre recherche se veut équitable et partenariale. Nous avons par exemple des laboratoires mixtes internationaux, de jeunes équipes associées, etc. Nous nous inscrivons dans la durée avec nos partenaires et dans un esprit d’entente, de partage et de renforcement des capacités. C’est d’autant plus important dans cette crise que ses conséquences vont s’inscrire dans la durée.

Durant cette crise, vous avez cosigné une tribune affirmant que la pandémie « est étroitement liée à la question de l’environnement ». En quoi ?

Cette crise montre avant tout que notre monde est fragile et que nous sommes tous interdépendants. Or, nous déstabilisons énormément les écosystèmes en les réduisant. Nous voyons ainsi émerger chez l’humain des virus qu’on ne voyait pas auparavant. Le changement climatique influe aussi beaucoup sur la propagation des virus. Il faut comprendre tous ces facteurs pour pouvoir agir, comprendre par exemple comment le virus se transmet d’un animal sauvage à un autre ou d’un animal à l’homme.

Vous prônez pour cela une « science de la durabilité ». De quoi s’agit-il exactement ?

La science de la durabilité repose sur une recherche transdisciplinaire, au plus près des questions sociétales et construite avec les acteurs de la société. Nous devons poursuivre la recherche fondamentale bien évidemment mais face à une crise comme celle-ci, dont les causes comme les conséquences sont multiples, il faut absolument aller vers des approches plus intégratrices et plus larges, en pensant notamment la part sociétale de la pandémie. Nos problématiques de recherche doivent par ailleurs trouver leur source dans les interactions avec le monde réel, être co-construites avec les acteurs et répondre aux problèmes de la société. Cela s’est avéré indispensable avec la Covid-19.

Pour en savoir plus sur les actions de l’IRD : https://www.ird.fr/covid-19-la-science-de-la-durabilite-en-action

À Bondy, l’informatique contre la Covid-19

Parmi les nombreux·ses chercheur·euse·s de l’IRD mobilisé·e·s contre la Covid-19, on trouve bien sûr des épidémiologistes et infectiologues, mais aussi des informaticien·ne·s, et notamment celles et ceux d’Ummisco. Cette unité de recherche internationale, spécialisée dans la modélisation mathématique et l’informatique des systèmes complexes, et qui compte une cinquantaine de chercheurs et chercheuses à Bondy, au Cameroun, au Maroc, au Sénégal et au Vietnam, tente en effet depuis le début de la crise de construire des modèles informatiques réalistes afin d’aider la prise de décisions de santé publique.
Au Vietnam par exemple, avec leurs partenaires, ils·elles ont mis au point une modélisation spatiale permettant une comparaison rapide entre les stratégies (confinement individuel, par quartier, par commune, par zone, quarantaine, fermeture d’écoles, etc.) et l’évaluation de leur influence sur la dynamique de transmission.
Plusieurs membres d’Ummisco ont également participé à la création d’un site web interactif pour permettre au grand public à la fois de se familiariser avec la modélisation, mais aussi de comprendre l’influence des mesures sanitaires sur l’extension de l’épidémie.

Stéphanie Coye
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