Santé & Prévention

« Sex, Drugs & Covid » : où en sont les étudiant·e·s ?

Il y a trois ans, la France connaissait une situation inédite avec le premier confinement. Avec le recul, comment les jeunes ont-ils pris soin d’eux pendant le Covid ? Drogues, médicaments psychoactifs, vie sociale et sexuelle, tous les usages ont été interrogés lors de l’étude nationale menée par la Dre Anne Batisse, pharmacienne au Centre d’Evaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance de Paris. Interview...

Vous avez enquêté sur la santé mentale des étudiants avant les confinements et après ? Qu’avez-vous constaté ?
La première enquête qui a été menée avant la période Covid avait montré des scores de bien-être relativement bas (7/10) avec un niveau de stress élevé (6/10).
Après cette deuxième enquête (ndr : qui a été proposée aux jeunes en ligne pendant le Covid), on constate que les étudiants vont plus mal. Beaucoup ont décompensé, suite à cette période d’enfermement. Ils ont développé des troubles anxiodépressifs nets avec des répercutions qui durent : certains ne vont plus en faculté ou ont développé une agoraphobie. Cette période Covid a certainement favorisé et accéléré des troubles psychiatriques chez des jeunes qui les auraient développés même en dehors du contexte « confinement ».

Quel lien cette enquête nationale a-t-elle avec la Seine-Saint-Denis ?
C’est une étude nationale mais elle peut parler aux jeunes du 93, leur donner des outils. Elle permet de témoigner de la créativité des jeunes pendant le Covid, leur adaptation positive, leur problématique, leur savoir-être, comment ils ont pris soin d’eux... ça peut être intéressant. Et puis le 93 est le Département le plus jeune de France, n’est-ce pas ?

Intervenez-vous parfois dans notre département ?

Depuis plusieurs années, nous intervenons pour faire de la prévention sur le protoxyde d’azote auprès des très jeunes (classe de CM2). Ils ont intégré que le cannabis et l’alcool, c’était mauvais mais un gaz pris dans un ballon de baudruche rouge, rose, vert, ils ne voient pas le danger. L’effet produit a beau être fugace (ça ne dure que 5 minutes) il est dangereux, toxique et on peut en devenir dépendant. Le danger n’est pas forcément quelque chose de visible, ou quelque chose de connu.
En 2023, nous irons dans des lycées pour faire de la prévention sur différents produits notamment à Aulnay-sous-Bois.

Cette enquête a aussi montré que les jeunes qui allaient mal avaient su s’adapter pendant cette période. En quoi consiste cette adaptation ?
Pendant cette période, les jeunes ont su mettre en place des systèmes de défense pour leur permettre d’aller mieux. Ils ont adapté leur vie sociale, leurs loisirs, leur vie sexuelle. lls se sont ainsi mis à cuisiner, à faire de la peinture, à écrire. Ils ont fait preuve de créativité. Je pense qu’ils ne vont plus nécessairement le faire. Mais ce sera leur moyen de défense s’ils sont confrontés à nouveau à une période difficile dans leur vie. Ils auront cette carte à jouer.

Les jeunes ont-ils consommé beaucoup de médicaments pendant cette période ?
Avant le Covid, on avait envie de dire quand on voyait les consommations importantes de médicaments notamment de benzodiazépines : « Attention à la banalisation du médicament. Tout médicament a une toxicité. Ils ne sont pas sans danger. C’est pour cela qu’il y a une posologie, des prescriptions, et qu’un suivi médical est nécessaire. »
Depuis le Covid, on a plutôt envie de dire « attention à la stigmatisation de la maladie psychiatrique. Si vous êtes mal, allez-vous faire aider, n’ayez pas peur des médicaments ». Entre l’enquête avant Covid et celle après Covid, l’image du médicament a changé. S’il y a prescription d’antidépresseurs, c’est qu’ils sont nécessaires. Il ne faut pas stigmatiser les personnes : le suicide est la conséquence la plus dramatique de la dépression.

D’autres ont pris aussi des substances comme l’alcool, les stupéfiants pendant cette période covid.

Déjà dans l’enquête ante-COVID, les jeunes cherchaient à aller mieux en prenant des médicaments ou du cannabis notamment pour les aider à dormir, à diminuer leur stress. Pour certains, ils utilisaient les médicaments comme des drogues ou les drogues comme des médicaments.
Pour se détresser, les femmes utilisent majoritairement les médicaments tandis que les hommes consomment des substances non médicamenteuses (cannabis en tête). S’ils ont utilisé les substances pour se sentir mieux pendant le confinement, il est possible qu’ils l’utilisent encore aujourd’hui.

Pourquoi les étudiants vont-ils si mal depuis si longtemps ?
Dans la première enquête (avant covid) on montrait que les étudiants étaient focalisés sur leurs études et très stressés par leurs résultats scolaires, très stressés par le futur. On constatait un stress important du aux études. La pratique d’un sport Un des facteurs protecteur mis en évidence dans cette première étude était la pratique d’un sport.

Comment pourrait-on les aider à aller mieux ?

Peut-être qu’on dit trop à nos enfants : « il faut que tu sois bon à l’école » et qu’on n’explique pas à nos enfants comment être bien. Il faudrait leur dire quand ils sont stressés : « tu devrais prendre un temps pour toi : prendre un bain, faire du sport, aller courir. » On a du mal à dire à nos enfants : « fais-toi du bien ». C’est en leur donnant ces clefs là qu’ils pourront eux-mêmes s’adapter aux problématiques contextuelles d’une vie. On est tous à un moment donné confronté à des problèmes. Il faut leur donner les clefs du « savoir-être bien ».

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné dans cette enquête ?
La partie sur la sexualité, je l’ai trouvé assez intéressante. Elle montre qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire sur l’éducation sexuelle, comment s’approprier sa sexualité, la masturbation encore vécue comme un problème pour certaines femmes.
Sur les usages de substances, l’étude a, quand même, montré que 4% des jeunes sont dans une prise quotidienne de protoxyde d’azote, c’est énorme. Certains avec 10 cartouches par jour. L’étude a aussi montré une pratique de « chemsex » - un usage rapporté dans la communauté HSH (les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes)- pendant cette période Covid chez des personnes très très jeunes, avec une perte de contrôle des consommations. Je ne m’y attendais pas.

L’enquête a-t-elle montré d’autres différences entre les hommes et les femmes ?
Concernant la sexualité, les jeunes femmes utilisent plus de sextoy (80% d’entre elles) mais les hommes les utilisent également dans notre enquête. Alors que les idées reçues amèent à penser que seuls les hommes regardent de la pornographie, les femmes témoignent d’un intérêt certain avec notamment le porno audio.
Des jeunes hommes ont souhaité témoigner de leur souffrance vis de leur sexualité, en confinement, où le porno commençait à prendre toute la place avec une consommation de 3 à 4 heures de films chaque jour. L’addiction comportementale au porno pouvait même entrainer une perte d’argent importante.

Dans votre étude, quels comportements influent sur le bien-être ?

En réalisant des analyses bi-variées, nous avons constaté par exemple qu’il n’y avait pas de lien entre le score de bien-être et l’addiction comportementale aux réseaux sociaux, au porno ou au jeux d’argent.
Les compulsions alimentaires, les troubles du comportement alimentaire ont eu un effet délétère sur le bien-être. A l’inverse, les compulsions à jouer aux jeux vidéo ont eu un effet positif sur leur bien-être. Attention, notre étude est déclarative, il n’y a pas eu de diagnostic.


Pourquoi avoir réalisé cette enquête ?

Ce qui était intéressant c’était de donner la parole aux jeunes à l’occasion de cette enquête en ligne pour avoir leurs idées… Les étudiants ont mis en place des systèmes de défense pour aller mieux. Nous pourrions nous appuyer sur ces éléments pour aider les jeunes qui vont mal aujourd’hui, même en dehors du temps COVID.
Au départ nous avions le projet de former des groupes de travail avec des étudiants au sein des universités pour essayer de discuter avec eux sur toutes les façons d’acquérir un bien-être. Mais cela n’a pas été possible avec le confinement. On voulait travailler avec eux sur comment acquérir des compétences psychosociales. Leur lancer différents chalenges sur les réseaux sociaux comme le -#CocooningAvantLesExamens- pour qu’ils partagent leurs idées.
C’est intéressant de développer des études, de montrer des chiffres et d’en déduire des actions mais c’est plus intéressant de monter un programme avec eux et pour eux.

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