Rencontre avec Latifa Ibn Ziaten, militante de la tolérance
Mercredi 21 mars, à l’occasion de la journée contre le racisme, le Mémorial de la Shoah de Drancy a accueilli Latifa Ibn Ziaten. La mère d’une des victimes du terroriste Mohamed Merah a pu échanger avec le public autour d’un documentaire rendant compte de son combat contre l’intolérance et pour une culture de la paix. Vidéo.
Le générique final de « Latifa, le coeur au combat » défile encore sur les écrans au son d’une belle musique orientale quand Latifa Ibn Ziaten, la vraie, s’avance. On applaudit au dehors et on pleure en dedans devant cette femme formidable, cette mère courage. Cette combattante de la paix, dont le documentaire de Cyril Brody et Olivier Peyon retrace la trajectoire avec pudeur et sensibilité.
Latifa Ibn Ziaten est en effet la mère d’Imad, militaire assassiné par Mohamed Merah le 11 mars 2012 à Toulouse. Six autres victimes, dont trois enfants, tomberont ensuite sous les balles du terroriste avant que lui-même ne soit abattu par les forces de l’ordre dans une intervention le 22 mars. En avril de la même année, Latifa Ibn Ziaten trouvait déjà le courage de fonder « Imad association pour la jeunesse et la paix » pour, comme elle le dit elle-même de façon saisissante, « qu’il n’y ait plus d’autres Merah ».

En ce mercredi 21 mars au Mémorial de la Shoah de Drancy, dans un lieu lui aussi dédié à la lutte contre le racisme, c’est son directeur Jacques Fredj qui trouve assez de coeur pour poser la première question. « Qu’est-ce qui vous a décidé à mener ce combat, à échanger avec la jeunesse, si peu de temps après l’assassinat de votre fils ? »
Depuis 6 ans, Latifa Ibn Ziaten est en effet engagée dans un dialogue incessant avec la jeunesse, française mais aussi palestinienne et israélienne. Inlassablement, elle se rend dans les écoles, les prisons, les associations. Avec pour éternel mot d’ordre l’éducation à la tolérance, à la paix et au dialogue. On a beau avoir déjà entendu sa réponse dans le documentaire, son courage vous désarme à chaque fois : « Peu de temps après la mort de mon fils, j’ai éprouvé le besoin d’aller dans la cité de Mohamed Merad pour comprendre qui il était, raconte la militante, aujourd’hui âgée de 68 ans. Là, j’ai été apostrophée par des jeunes qui m’ont demandé ce que je cherchais. Ils m’ont dit que Merah était un héros, un martyr de l’Islam qui avait mis la France à genoux. Quand j’ai entendu ça, c’est comme si on m’avait tué mon fils une deuxième fois. Ce n’est que quand je leur ai dit qui j’étais qu’ils se sont excusés. Mais pour aussitôt me dire : « Madame, regardez-vous autour de vous, on est des oubliés de la République, on vit comme des rats enragés ici. Et un rat enragé tôt ou tard, ça sort et ça vous mord », ils m’ont dit. Alors, je me suis fait la promesse que j’allais aider tous les jeunes qui en auraient besoin, même et surtout les copains de celui qui a causé ma souffrance. Pour qu’il n’y ait pas un autre Merah. »
Le récent attentat à Carcassonne et Trèbes, qui vient s’ajouter aux nombreux autres que la France a connus en janvier et novembre 2015 à Paris, en 2016 à Nice, en 2017 à Marseille, vient malheureusement rappeler qu’il existe d’autres Merah et que le travail en termes d’éducation mais aussi de rétablissement d’une forme d’égalité des chances est colossal. Latifa Ibn Ziaten donne raison à une femme de l’assistance qui lui fait remarquer que dialoguer avec la jeunesse ne suffira pas, qu’il faudrait davantage venir en aide aux quartiers populaires en général. « L’État porte une vraie responsabilité dans la souffrance actuelle des banlieues, reconnaît-elle sans détours. Moi, quand je suis arrivée en France, à 17 ans et demi, il y avait encore une mixité dans les quartiers populaires. Aujourd’hui, il existe de vrais ghettos. Ca donne l’impression d’un rejet. A cela s’ajoute que l’État a eu un laisser-faire beaucoup trop grand pendant des années vis-à-vis d’un Islam radical : on a fermé les yeux sur l’influence des wahhabites, on n’a pas contrôlé la provenance de certains financements. » Une fois ce constat dressé à l’égard de la puissance publique, la mère de famille en appelle toutefois aussi à l’action citoyenne. « L’État n’y arrivera pas seul. La tâche est tellement immense qu’il faut que chacun d’entre nous, nous donnions 10 % de notre temps. Et franchement, c’est quoi 10 % ? »
On pourrait croire qu’il n’en coûte rien de tenir de tels propos, c’est faux : Latifa Ibn Ziaten a été plusieurs fois menacée par des extrémistes. Au-delà du courage qu’elle a à rouvrir sans cesse sa blessure de mère, elle en a donc aussi à parler ouvertement et clairement. Remettant à leur place aussi bien les islamophobes que les fanatiques.

« C’était important pour nous de pouvoir faire venir en cette journée de lutte contre le racisme une telle figure », analysait après coup Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah. Nos travaux quelque part se rejoignent. Des lieux comme le Mémorial de la Shoah montrent vers quoi le racisme et l’antisémitisme ont mené. Le témoignage de Mme Ibn Ziaten aussi. Lorsqu’elle dit qu’aucun enfant ne naît terroriste, elle a mille fois raison. La clé, bien souvent, c’est l’éducation. Pour les jeunes, ce travail de connaissance de l’histoire de l’autre doit absolument faire partie de l’apprentissage. »
Dans la salle de projection du Mémorial de la Shoah, jeunes et moins jeunes n’en finissaient pas d’applaudir cette militante de la paix, qui préparait déjà son prochain déplacement à Sarcelles, auprès de jeunes de l’Ecole de la Deuxième Chance engagés dans un projet de restauration de la synagogue de Figuig au Maroc, puis à Copenhague, ville elle aussi frappée par le terrorisme en février 2015. Latifa, le coeur au combat, un combat mené avec coeur et intelligence.
Christophe Lehousse
Photos : @Daniel Ruhl
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