Projet de loi relatif à la protection des enfants : « Manque d’ambition ! »
Le 25 janvier 2022, l’Assemblée nationale a définitivement adopté le projet de loi relatif à la protection des enfants, destiné à améliorer la situation des enfants protégés par l’aide sociale à l’enfance (ASE).
L’ASE est une prérogative dévolue aux départements. Stéphane Troussel, président du Département de la Seine-Saint-Denis, a réagi à l’annonce du contenu de cette loi.
Stéphane Troussel, quelle est votre opinion sur cette loi sur la protection des enfants ?
S.T. – Elle manque pour le moins d’ambition ! Dans un secteur en crise, souvent pointé du doigt par l’opinion publique, et qui a pour lourde mission d’accompagner en France 340 000 enfants en situation de détresse, l’urgence était devenue majeure. Mais si l’attente était grande, elle laisse un fort sentiment de frustration face à ce que le gouvernement annonçait comme une grande réforme structurante et qui s’avère finalement bien insuffisante au regard des enjeux.
Cette loi comporte tout de même des avancées…
– Nul doute pourtant que l’intention était bonne. Certaines mesures en témoignent, comme la non-séparation des fratries, la recherche systématique de la possibilité de confier l’enfant à une personne de son entourage avant le placement, ou le contrôle régulier des casiers judiciaires des professionnel·le·s.
La Seine-Saint-Denis est particulièrement active sur le sujet de la protection de l’enfance, 9 300 enfants lui sont confié·e·s. Cette loi permettra-t-elle de renforcer encore son action ?
– Cette loi échoue en réalité à proposer un cadre plus sécurisant que ce que nous mettons déjà en place. La mesure visant à interdire les sorties « sèches » à 18 ans illustre bien ce non-sens. Nécessaire sur le principe, elle ne pose aucune garantie claire et ferme concernant la durée et la nature de l’accompagnement proposé à la majorité. Dès lors, elle n’assure en rien, comme nous le faisons en Seine-Saint-Denis, que les jeunes soient suivi·e·s jusqu’au moment où ils et elles deviennent réellement indépendant·e·s et donc en capacité de s’intégrer dans notre société.
D’après-vous, quels sujets importants cette loi omet-elle ?
– Je note l’absence totale de mention à l’égard d’enjeux comme l’accès à la santé ou à l’éducation, pourtant centraux au vu de la situation actuelle de la protection de l’enfance. Qu’en est-il aussi de l’accès à la santé mentale des enfants confié·e·s ? Qu’en est-il des mineur·e·s isolé·e·s étranger·ère·s, dont la loi ne prévoit aucune mesure pour améliorer l’accompagnement ? Je déplore que le gouvernement préfère entériner le recours obligatoire au fichage, que nous sommes plusieurs départements à toujours avoir refusé d’appliquer, et qui, sous prétexte de mieux accompagner ces jeunes qui fuient la misère et la guerre, vise en réalité à faciliter leur expulsion en dehors de nos frontières.
Cette loi précise-t-elle les responsabilités et les rôles des acteurs de la protection de l’enfance, Etat et collectivités ?
– Si cette loi pose un certain nombre d’obligations pour les collectivités, le rôle de l’Etat n’est lui presque pas questionné. C’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit de l’acteur central en matière d’accès à la santé, à l’éducation ou encore au logement, sans lesquels l’accompagnement des enfants placé·e·s ne peut véritablement réussir. Cette loi aurait dû être l’occasion de questionner cet accès au droit commun, souvent plus difficile pour ces jeunes dont les besoins sont pourtant plus grands et plus urgents. Sur cela aussi nous aurions attendu une vraie révolution. Sur cela aussi elle n’a pas eu lieu…
Les nouvelles mesures prévues par cette loi engendreront des coûts financiers, qui les supportera ?
– Une fois encore, l’Etat fait l’impasse sur la question financière . Quid du financement des mesures et de la durée et la nature de l’accompagnement proposé à la majorité ?
Comme si, une fois de plus, il suffisait d’ordonner pour que les départements trouvent par eux-mêmes les moyens nécessaires à la mise en œuvre des mesures toujours plus nombreuses qu’on leur impose. Il faudra dès lors qu’on nous explique comment créer les places suffisantes pour sortir les jeunes durablement de l’hébergement hôtelier sans que l’Etat ne daigne nous donner un euro de plus.
Qu’est-ce que cela impliquera financièrement pour la Seine-Saint-Denis ?
– La Seine-Saint-Denis consacre déjà 300 millions d’euros par an pour l’Aide sociale à l’enfance, l’un des premiers postes de dépense pour notre département dont les finances sont contraintes. Nous nous retrouvons donc une fois de plus, avec cette loi, dans ce modèle contre-productif où l’Etat décide mais ne balaye pas devant sa propre porte.
Nous espérions des avancées ambitieuses pour la protection de l’enfance dans notre pays. Nous n’avons donc reçu qu’une forme d’incantation, souvent éloignée, et parfois même à rebours, des besoins que nous constatons sur le terrain. Pour le grand soir, les enfants placé·e·s attendront.
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