Philippe Portmann, secrétaire du Secours populaire 93 : « On a vu doubler les demandes d’aide alimentaire »
Après presque deux mois de confinement, le secrétaire général de la fédération du Secours populaire de Seine-Saint-Denis dresse un premier bilan de la situation de précarité alimentaire dans le département, assez préoccupante. Mais souligne aussi les nombreux élans de solidarité. Interview.
SSD Mag : Le choc économique provoqué par l’épidémie de Covid et le confinement ont fait exploser la précarité alimentaire dans le département. Le Secours populaire doit être en première ligne... Pouvez-vous nous décrire les phénomènes que vous avez pu observer ?
Philippe Portmann : Dès le début du confinement, on a vu doubler les demandes d’aide alimentaire dans nos 20 points de distribution dans le département, et tripler au siège, à Romainville. En avril, nous avons ainsi distribué 53 tonnes de produits, alors que nous en écoulons 22 par mois en moyenne. Les demandeurs nous sont adressés par les travailleurs sociaux des CCAS ou du département, mais nous avons aussi vu affluer de nouveaux partenaires qui se sont très vite mobilisés et à qui nous avons ouvert nos entrepôts. L’association Plaine de femmes, par exemple, qui ravitaille 90 familles à la Plaine Saint-Denis, ou un collectif qui accompagne les Roms installés sur un campement à la frontière entre Drancy et Bobigny. Nous avons aussi été sollicités par le syndicat Sud Etudiants de Paris-8, où nous distribuons 110 colis par semaine depuis environ un mois pour les étudiants en difficulté. Un nouveau comité s’est monté à Montfermeil. Nous avons aussi des demandes de structures isolées, du type hôtels sociaux. On puise dans notre stock pour pouvoir répondre à toutes ces nouvelles demandes.
SSD : Quelles nouvelles précarités le Covid a-t-il révélées ?
Les populations qui vivent de l’économie informelle en temps habituel, sont très touchées par la crise. Les travailleurs pauvres et précaires, qui ont perdu une partie de leur revenu viennent aussi vers nous. Enfin, les étudiants, qui ont perdu leur job d’équipier chez Mac Do, de baby-sitting, sont en très grande difficulté. On voit aussi arriver des familles qu’on n’avait jusque là pas identifiées. On est aussi beaucoup sollicités pour d’autres produits que ceux qu’on distribue d’habitude : des produit d’hygiène et de nutrition pour les bébés, ou d’hygiène féminine.
SSD : Comment vous approvisionnez-vous ?
Nous commandons des produits alimentaires à France Agrimer, un établissement public lui-même financé par le Fonds européen d’aide aux démunis, comme le Secours Catholique, les Restos du cœur et la Banque alimentaire. A notre charge de les stocker et de les distribuer. Chaque panier équivaut à 30, 40 euros et ne nous coûte rien. D’habitude, nous demandons une participation symbolique aux familles mais nous avons cessé avec le Covid. Certains comités font aussi « de la ramasse », en récupérant les fruits et légumes invendus dans les supermarchés. Avec le Covid, nous ne pouvons nous contenter de distribuer des produits « secs », et nous étions ce matin même à Rungis pour négocier des prix avec les commerçants, qui nous ont aussi fait des dons. Bientôt, nous ajouterons des produits frais à nos paniers. Quant aux produits d’hygiène, nous percevons des donations d’entreprises comme Nestlé, HiPP, ou des laboratoires Iprad par exemple pour le dentifrice, mais elles ne permettent pas de faire face à la demande.
SSD : Comment avez-vous adapté les distributions aux contraintes imposées par le Covid ?
Dès le début, la Région, puis l’Etat, et aujourd’hui la préfecture et le Département nous ont fourni des masques. Mesures barrières, gel, nous respectons tout. Par contre, nous ne sommes pas les seuls à rencontrer un problème de pénurie de gants.
SSD : Aviez-vous assez de bénévoles pour faire face à cette brusque augmentation ?
Il y a eu un petit flottement au début, mais très vite, de nouveaux bénévoles ont afflué. En plus des 1 900 bénévoles que nous avons d’habitude, nous en comptons une bonne centaine de nouveaux, des trentenaires, des quadragénaires qui sont venus donner des coups de main pour constituer les colis, préparer les livraisons, et même aider des gamins à faire leurs devoirs. Une main d’œuvre importante et indispensable. Ces nouveaux bénévoles arrivent avec plein d’idées à la minute. Certains veulent monter un restaurant solidaire, un maquettiste nous a proposé de refaire notre journal, un journaliste reporter d’images nous a proposé de nous faire des vidéos pour Facebook, un cuisinier a proposé l’organisation d’un barbecue... Au contraire, certains décrochent totalement de leurs métiers pour préparer des colis, simplement. Ca bouscule notre mode de fonctionnement, et c’est bien, on va essayer de se développer en répondant à ces envies.
SSD : Comment peut-on proposer ses services au Secours populaire ?
Pour participer au Secours populaire, il n’y a besoin d’aucune compétence, juste l’envie de faire vivre la solidarité. Et puis ça permet aux confinés de prendre l’air pour la bonne cause. Il y a aussi plein de réseaux de solidarité qui se sont tissés et qui se sont tournés vers nous : des couturières solidaires à Romainville par exemple. Nous avons aussi eu la surprise d’une proposition d’aide de la part de la comédienne Ariane Ascaride. On lui a proposé d’appeler les bénévoles âgés de plus de 65 ans, tout le monde était ravi ! On reçoit des dons surprenants : une agence de com qui avait annulé un événement et qui a donné les 10 000 euros de budget à l’antenne de Bobigny, par exemple, ou une boxeuse du 93 qui a fait un appel aux dons pour nous. Des bonnes volontés émanent de partout. On aide tout le monde, on prend l’aide de tout le monde sans condition, chacun apporte ce qu’il veut. Vous êtes en train de faire l’interview d’un mec crevé, je n’ai pas un jour de repos dans la semaine, ça me réveille la nuit, mais ça vaut le coup ! Et pourtant, je suis pas un tout neuf ! J’espère qu’on sera à la hauteur des attentes de ceux qui nous ont rejoints. Le défi, c’est de pérenniser ces nouveaux bénévoles. D’ailleurs, comme on a toujours besoin de bénévoles et de dons, j’en profite pour donner l’adresse mail-contact@spf93-pour toute proposition. On a aussi beaucoup de bénévoles sans-papiers qui donnent de leur temps, on aimerait que leur aide soit remerciée à la sortie du confinement.
SSD : Le Covid a-t-il obligé le Secours populaire à modifier la nature de ses interventions ?
C’est certain. D’habitude, nous faisons de l’accès au droit, de l’accompagnement santé, de l’accès aux vacances et aux loisirs. Avec le confinement, la fermeture des institutions culturelles, l’interruption des activités sportives et le point d’interrogation qui plane sur les vacances d’été, on s’est recentrés sur l’aide alimentaire, comme nous l’ont demandé les institutions publiques. Ça nous inquiète un peu : on aimerait que les gamins de familles populaires ne soient pas triplement touchés par la crise sanitaire, alimentaire, et l’obligation en plus de rester au quartier tout l’été. Or ce genre de séjours, ça s’anticipe et pour l’instant tout est à l’arrêt. Jean-Michel Blanquer a annoncé le maintien des colonies de vacances, mais on attend des précisions.
SSD : Le Covid fragilise-t-il le Secours populaire ?
Nous avons un problème : on dépense, on dépense, mais on n’a pas de recettes fixes : les braderies solidaires, qui ont lieu tous les deux mois et nous rapportent 20 000 euros en moyenne, sont suspendues. De même, comme il n’y a pas de séjours d’été organisés pour l’instant, nous n’avons pas perçu d’arrhes. Nous ne pouvons pas mener nos campagnes habituelles. Le niveau de dons que nous avons reçu à partir de mars 2020 est inédit, sans aucune comparaison, par exemple avec celui de mars 2019. Mais on a peur qu’après la crise, ce niveau s’effondre, et nous redoutons que nos partenariats avec la CAF, avec les chèques vacances, ne se tarissent. Autre source d’inquiétude : la réforme du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). Il devrait être fondu dans un fonds appelé « FSE + », à l’objet plus large, dont l’accès à l’emploi, et régionalisé, alors qu’il est pour l’instant géré au niveau national. Alors que le FEAD montre aujourd’hui son utilité, nous craignons qu’il ne disparaisse peu à peu à la faveur de cette fusion, et que nous ne puissions pas faire face, à l’avenir, à des situations de crise comme celles d’aujourd’hui.
Propos recueillis par Elsa Dupré
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