Pauline Croze : « J’ai habité plus de la moitié de ma vie en Seine-Saint-Denis »
Son enfance et ses souvenirs à Villemomble, ses premiers pas dans le milieu de la musique, son dernier album, « Après les heures grises », qu’elle a enregistré pendant les confinements et qui est sorti en octobre dernier. L’autrice, compositrice et interprète Pauline Croze s’est confiée. Longuement et simplement.
« Je suis née à Noisy-le-Sec et j’ai vécu à Villemomble jusqu’à la sortie de mon premier album, à 26 ans. J’ai donc habité plus de la moitié de ma vie en Seine-Saint-Denis. J’ai grandi dans un pavillon avec mes parents et mes deux sœurs et j’ai la chance d’avoir eu une enfance heureuse. Hormis à l’école primaire où j’ai été la cible d’enseignants malveillants. On parle actuellement beaucoup du harcèlement à l’école entre élèves, moi je l’ai subi par le biais de certains professeurs, qui ont commis des actes graves sur ma personne. J’ai même été contrainte de changer d’établissement scolaire. C’est l’école Foch qui m’a accueillie, je n’y ai que de bons souvenirs. C’était à 15-20 minutes à pied de chez moi mais mes parents me laissaient y aller toute seule. C’était beaucoup de responsabilité mais ça m’a fait grandir. Mon père était prof de physique-chimie et ma mère travaillait à l’office national du tourisme italien. Je n’ai jamais manqué de rien et on m’a toujours encouragée dans ce que je faisais, notamment quand j’ai émis le souhait d’embrasser une carrière artistique. Je n’ai pas été une enfant de la balle mais mes parents étaient de vrais mélomanes. A la maison, on écoutait de la musique toute la journée. Il y avait un genre différent dans chaque pièce : Julien Clerc dans le salon, Bobby Lapointe dans la cuisine. Avec mes sœurs, chez l’une, Mylène Farmer et Patrick Bruel tournaient en boucle. Chez l’autre, c’était plutôt Jimmy Hendrix ou Frank Zappa. Bref, un bel éclectisme musical qui m’a ouvert à plein de genres et formé l’oreille. J’ai été une enfant plutôt solitaire. Quand je sortais, j’allais au parc Jean-Mermoz ou au parc de la Garenne mais j’ai passé beaucoup de temps chez moi avec ma famille car c’est là que je me sentais le mieux. »
« La musique a très vite été une évidence. Après avoir un peu tâtonné au niveau des instruments de musique (je me suis essayée à la batterie, au saxophone, sans succès), j’ai, à 14 ans, décidé d’apprendre à jouer de la guitare. Un instrument qui s’est naturellement imposé à moi car c’est un formidable support de composition. Avec une guitare, on peut jouer et chanter en même temps. Je me suis mise à la trimballer partout (pour cet entretien, Pauline Croze est venue avec sa guitare, ndlr) et elle a fini par devenir ma confidente. D’abord, je me suis mise à composer à l’oreille, sans aucune compétence musicale – ça ne devait pas être beau à entendre...
De toute façon, ma timidité maladive de l’époque a eu raison de moi. Si mon rêve était de devenir chanteuse, monter un jour sur scène et m’exposer aux gens était quelque chose d’inenvisageable. A 18 ans, j’ai donc fait une croix sur ma carrière d’artiste. Mais comme j’avais envie de travailler dans ce milieu (comme manageuse, tourneuse, chasseuse de nouveaux talents, j’étais prête à tout faire), j’ai tapé aux portes d’associations spécialisées pour leur proposer mes services. C’est comme ça que j’ai atterri à liFe liVe in the bar, une association aujourd’hui dissoute qui organisait des concerts dans des bars, à Paris et en banlieue, privilégiant la création plutôt que les reprises. Une expérience formidable car j’ai fait plein de choses différentes : assurer l’accueil d’artistes avant leur concert, gérer le catering (restauration), tracter avant et après les concerts, jouer les attachées de presse... Cela m’a montré l’envers du décor. Et permis de croiser de nombreux artistes, dont certains, comme La Grande Sophie, ont fini par percer. Pendant ce temps, je continuais d’écrire, de composer.
Le groupe Señor Holmes a eu vent de mon travail et décidé de me donner ma chance. Je les ai suivis sur 80 dates partout en France, dans des bars, des MJC, des endroits où on ne vient pas forcément pour vous écouter. Difficile, d’autant que j’avais un mal fou à me défaire de mon trac, mais tellement formateur. Surtout, j’ai découvert que j’étais capable de donner des concerts, d’affronter un public, fût-il indifférent. Quito, le leader de Señor Holmes, a envoyé mes maquettes à celle qui allait devenir plus tard ma productrice et éditrice, Anne Claverie (manageuse d’Etienne Daho entre autres à l’époque). Elle a aimé. Et décidé, sur un coup de tête, de monter sa propre boîte de production en misant sur mon premier album (« Pauline Croze », 2005). Un vrai saut dans l’inconnu. Ce parcours, je le dois à toutes ces rencontres, mon opiniâtreté et ma volonté de travailler dans la musique sans chercher à être au centre. Aujourd’hui, quand j’ai l’occasion d’échanger avec de jeunes artistes, je leur conseille systématiquement d’aller jeter un œil du côté des associations. Déposer un son sur YouTube, une plateforme ouverte à tout le monde et où, de fait, la concurrence est féroce, ne suffit pas. »
« Ma première grande claque musicale, je l’ai eue, toute gamine, avec Les Beatles. Un groupe qui continue de me bouleverser à chaque fois que je l’écoute. Il y a aussi Keziah Jones pour son groove et son jeu de guitare qui m’inspire encore aujourd’hui dans mes compositions musicales. Je l’ai vu en concert à 16 ans. Lui, que j’admirais et que j’écoutais dans ma chambre, se trouvait devant moi et m’emmenait dans son univers. Un moment très fort. Je peux citer beaucoup d’autres artistes : Jeff Buckley, dont la voix céleste et singulière me berce, Nina Simone, Steel Pulse, Mano Solo, Les Négresses Vertes, Hubert-Félix Thiéfaine… Ces derniers temps, j’écoute beaucoup de musique urbaine (R’n’B, soul, rap) et un peu d’électro, même si ce n’est pas une musique qui m’attire en premier lieu. Mais on peut y puiser des choses. C’est bon à savoir pour plus tard… »
« Il a été réalisé dans des circonstances particulières car nous étions alors en plein confinement. Le titre ne fait pas référence à la crise sanitaire mais à mon expérience personnelle, mes errances du passé. La pandémie, l’isolement, l’incertitude ne sont venus se greffer que plus tard. Hormis deux ou trois morceaux que j’ai enregistrés en studio, tout le reste a été fait à la maison, dans mon grenier que j’ai isolé avec de grandes couvertures car c’est tout ce que j’avais sous la main. On peut dire que c’est un album artisanal dans sa conception. En temps normal, un réalisateur, un ingénieur du son et les musiciens sont réunis dans une seule et même pièce où ils multiplient les essais. Là, on a collaboré à distance, chacun a œuvré dans son coin. J’envoyais mes fichiers au réalisateur par mail, qui me faisait des renvois avec ses propositions. C’est une période que j’ai finalement bien vécue car j’étais occupée. Et puis enregistrer chez soi constitue un certain confort. Dans un studio d’enregistrement, chaque heure passée représente de l’argent, il ne faut pas perdre de temps. Là, si je n’étais pas en forme, je reprenais le lendemain ou le jour d’après. Pour « Si j’étais un renard », l’un des titres de l’album, il m’a fallu trois jours pour trouver la bonne voix. Confinement ou non, cet album aurait vu le jour. Les textes étaient prêts, même si la situation m’a conduite à retoucher certains passages. Pour le titre « Solution », que j’ai écrit en partant d’une colère en moi, j’ai dézoomé pour lui donner un axe plus sociétal et moins personnel. Globalement, et au contraire du précédent (« Ne rien faire ») qui était très centré sur moi, ce disque se veut ouvert sur l’extérieur (Pauline Croze passe en revue de nombreux sujets d’actualité comme l’invasion des écrans dans nos vies, la rhétorique belliqueuse de la Corée du Nord, etc., ndlr). Le tout en simple observatrice, en tout cas surtout pas en donneuse de leçons. Car pour moi il n’y a pas pire qu’une personne qui s’arroge le droit de distribuer les bons et les mauvais points. »
Propos recueillis par Grégoire Remund
Photos : ©Eric Garault
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