Mobilhub : A La Courneuve, un garage solidaire plutôt que le "Bel-air"
Depuis 2018, La Courneuve dispose d’un garage solidaire, qui emploie des salariés en insertion, et offre des tarifs avantageux aux personnes en difficulté sociale. Une solution non-répressive pour mettre un frein à l’essor de la mécanique de rue, qui dépanne les habitants tout en leur infligeant de grandes nuisances.
« En 2011, La Courneuve était devenue un garage à ciel ouvert. Les habitants faisaient des pétitions contre les places de stationnements occupées par des épaves et l’huile de moteur qui salissait les rues. Après un état des lieux, nous avons dénombré une trentaine de points de réparation, comptant chacun trois ou quatre mécaniciens », se souvient Rachid Maïza, qui entame son troisième mandat de maire-adjoint au cadre de vie à La Courneuve.
Qui n’a jamais vu, en se promenant dans les rues à la périphérie de nos villes de banlieue, des groupes d’hommes autour de voitures, le nez dans le capot, allongés par terre, essayant de redonner vie à de vieilles guimbardes ? "Le Bel Air", c’est le nom poétique que les initiés donnent à ces garages officieux, bien moins chers que les garages traditionnels. Bien moins sûrs, aussi.
A l’époque, la mairie de La Courneuve met en place des « opérations grande lessive », alliant contrôles policiers pour verbaliser le travail dissimulé, le nettoyage de la voirie et des parkings. « La plupart des mécaniciens de rue étaient des personnes sans-papiers exploitées par un réseau mafieux. Nous sommes venus à bout de ce réseau. Il n’y a plus de points avec 15, 20 voitures en attente de réparation. Mais il reste des poches ça et là, et les mécaniciens de rue se sont surtout déplacés vers les communes limitrophes », concède Rachid Maïza.
Une alternative à l’illégalité
Il en est convaincu : la répression, seule, ne peut régler les problèmes inhérents au développement, depuis une quinzaine d’années dans les villes de banlieue, de la mécanique de rue. Et pour cause : si elle pose un problème en termes d’occupation de l’espace public, cette économie de la débrouille représente aussi une solution pour des habitants de plus en plus pauvres, qui ne peuvent se payer les services, de plus en plus chers, des garages classiques. Impossible, pour nombre d’entre eux, peu qualifiés, d’utiliser le vélo pour rejoindre leurs lieux de travail à l’autre bout de l’Ile-de-France ou en horaire décalés. « Il nous est arrivé, pendant des contrôles, de tomber sur des véhicules en réparation qui appartenaient aux mêmes personnes qui se plaignaient des nuisances », relève Rachid Maïza pour mettre en lumière les contradictions du problème.
Une solution émerge à partir de 2015, sous l’impulsion d’un jeune ingénieur alors élu, Seyffedine Cherraben, et de son acolyte, consultant en stratégie d’entreprise, Olivier Esclauze. "On a vu un reportage à la télé sur les garages solidaires, et on avait, dans notre entourage, des gens pour qui la question de la mobilité était un vrai frein au fait de trouver un travail. On a regardé en Ile-de-France, il n’y avait pas grand chose qui se faisait, alors que c’était déjà bien développé dans certains coins de France", narre Olivier Esclauze. En 2015, le duo mène une étude de faisabilité, puis s’entoure de jeunes de la Courneuve, devenus juristes, communicants, pour monter le projet. Ils baptisent leur association "Les Cités d’Or".
1000 bénéficiaires en deux ans
« Le montage du projet a été une prise de tête internationale. Pour créer un chantier d’insertion dans le domaine de la mécanique, c’est plus lourd que pour un chantier de jardinage. », explique Olivier Esclauze. Les bénévoles des Cités d’or remplissent une quarantaine de dossiers de financement, et obtiennent le soutien de leur mairie, de Plaine Commune, mais aussi d’organismes privés telles que la Macif, Batigère, EDF ou l’Arc de l’innovation. En octobre 2018, "Mobilhub" ouvre ses portes aux confins de la ville, sur l’ancienne friche d’Airbus. Un an plus tard, le garage déménage au cœur de la ville, à cinq minutes de la gare, dans les murs monumentaux d’une ancienne usine de métallurgie, qu’il pourront occuper jusqu’à sa destruction d’ici cinq ans, pour laisser la place à un nouveau quartier.
Le garage solidaire joue à la fois sur l’offre et la demande du marché informel. Il embauche deux anciens mécaniciens de rue en contrat d’insertion : Raymond, 55 ans, carrossier depuis toujours, artisan lâché par les banques et tombé dans la spirale de la pauvreté, et Ibrahim, migrant soudanais qui se forme à la mécanique grâce aux conseils du chef de chantier. En contrat pour deux ans, ils reprennent pied grâce à leur conseillère d’insertion. De l’autre, Mobilhub propose aux clients alentours deux tarifs : l’un, « grand public », l’autre, plus bas, pour les bénéficiaires des minimas sociaux. Depuis deux ans, il a attiré un millier de « bénéficiaires », dont 70% de personnes en difficulté sociale.
Les défis de Mobilhub
Une fois sur les rails, le garage doit se faire connaître : "On nous avait prédit qu’on croulerait sous la demande. C’était faux. Pôle Emploi, les CCAS ne pensent pas systématiquement à la question de la mobilité lorsqu’ils rencontrent les bénéficiaires. Nous avons dû faire un vrai effort de communication, et notre principal prescripteur reste le Bon Coin", explique Olivier Esclauze. Il leur faut aussi faire en sorte que les bénéficiaires éventuels se munissent de leurs justificatifs pour bénéficier du tarif préférentiel.
"Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un point de stabilité. Nous allons développer le garage en recrutant deux nouveaux mécaniciens- dont, nous espérons, une mécanicienne- et en achetant d’autres machines. Mais aussi en proposant de mettre à disposition notre matériel pour que les mécaniciens de rue réparent dans de meilleures conditions, et sans nuisances, en proposant un service de nettoyage écologique, et un atelier de vélo avec des initiations, notamment pour les mamans", poursuit Olivier Esclauze.
L’innovation à la portée de tous
L’homme nourrit l’espoir de mettre sur pied un "Mobilab". "Le mot "innovation" évoque surtout les grands laboratoires, ou les université. Nous, on voudrait rendre l’innovation accessible aux gens des quartiers. Ils ont souvent de supers idées, mais ils s’autocensurent", argumente le consultant. Il a déjà recensé quelques idées parmi les soutiens du garage : une femme qui aimerait développer un boitier pour faire de l’autopartage, un homme qui veut adapter le fauteuil de son voisin, handicapé, ou encore un apiculteur qui a déjà posé des ruches dans la cour du garage et aimerait monter un rucher mobile pour faire de la sensibilisation à l’apiculture au pied des immeubles. "Moi-même, j’aimerais mettre au point, pour les JO, une solution de mobilité douce pour transporter les athlètes ou les journalistes d’un site à l’autre", confie Olivier Esclauze.
Parviendront-ils à réaliser ces rêves ? L’avenir le dira. Leurs premiers succès en suscitent en tout cas au-delà des frontières du 93 : une vingtaine de mairies sont d’ores-et-déjà venues visiter le garage pour savoir si elles pouvaient s’en inspirer.
Photos : ©Simon Lambert
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