Mémoire du Covid : les archives du département mettent l’histoire sociale à l’honneur
Alors que la pandémie nous fait basculer dans l’Histoire avec un grand H, les services d’archives du Département ont à cœur de collecter, en plus des documents administratifs traditionnels, les productions qui relatent la vie des citoyens ordinaires. De nombreuses collectes ont été lancées auprès du grand public.
« Vous êtes entrés dans l’histoire. Il faut laisser une trace pour les générations à venir », a annoncé solennellement Nardissa Meftahi à ses élèves en introduction de leur première réunion sur Zoom, le lundi du début du confinement. Cette professeure de Français d’un collège de Bobigny à demandé à ses élèves de tenir un journal tout le temps du confinement. « Le genre biographique est au programme de 3e. Les élèves l’ont abordé au travers de textes du Journal d’Anne Frank, de Mme de Sévigné, ou des Confessions de Rousseau ». L’enseignante insiste pour que les ados laissent une place à l’expression de leurs émotions, fassent de leur journal un exutoire. « Au début, ils étaient timides, mais ils se sont progressivement appropriés l’exercice, et se sont lâchés sur leurs sentiments. Ils ont raconté l’inquiétude pour leurs parents qui travaillaient, la difficulté de ne pas pouvoir serrer leur grand-mère dans les bras au moment du déconfinement, le sentiment de stagnation ».
Rapidement, l’enseignante prend contact avec les archives départementales de Seine-Saint-Denis. Son projet répond aux questions que se pose le service. « D’un côté, il ne fallait pas qu’on loupe le coche, car c’est l’Histoire en mouvement qui se déroulait sous nos yeux. De l’autre, on se demandait par où commencer : le Mucem de Marseille a appelé à une collecte des objets symboliques du déconfinement, et s’est retrouvée avec une boîte de biscottes sur les bras », raconte Agnès Da Costa, la cheffe du service du traitement des fonds des archives départementales de Seine-Saint-Denis. Elle s’appuie donc sur la proposition de l’enseignante pour lancer un appel à collecte des archives des collégiens du département. « D’abord, les collèges comptent parmi les compétences du Département, cela a donc du sens pour nous de collecter leurs productions. Ensuite, cela nous permet de parler de l’intérêt des archives aux collégiens. Enfin, nous trouvons qu’il est passionnant de recueillir les productions de jeunes qui entrent dans la vie avec cette crise. Le monde de demain, c’est le leur », expose Agnès Da Costa. Le service réfléchit également à revenir sur les souvenirs de ces collégiens à mesure qu’ils grandiront, à la manière dont l’association Programme 13 novembre a traité la mémoire des attentats.
Cette activité de collecte auprès du public s’ajoute aux missions habituelles des archives, à savoir garder des traces du travail administratif afin d’assurer la continuité de l’Etat. Elle permet d’offrir un contrepoint à cette histoire « par le haut ». Le souci est partagé par les services d’archives municipales : les villes de Pantin et d’Aubervilliers, par exemple, ont appelé leurs résidents à verser leurs archives de confinement. « Le département des Vosges a lancé dès le 20 mars son hashtag #memoiredeconfinement. Nous nous sommes engouffrés dans cette brèche en appelant les Albertvillariens à déposer, numériquement d’abord, physiquement ensuite, des écrits, des sons, des vidéos », relate Elodie Belkorchia, responsable conservation et médiation aux archives municipales d’Aubervilliers... Témoignages d’agents, journaux de confinement, dessins, photos de vues de chez soi, vidéos d’enfants expliquant les gestes barrières, une trentaine de dépôts leur a pour l’instant été fait. « On entre dans les familles, dans les foyers, ce qu’on a très peu habituellement. On est capable de vous raconter mai 68 à partir de documents administratifs, mais il nous manque l’essentiel, dans un mouvement social : la parole de ceux qui y participent. Désormais, on a cette préoccupation de recueillir les témoignages des habitants », poursuit l’archiviste.
Ces politiques archivistiques s’inscrivent également dans la philosophie de l’appel « Pour une mémoire ordinaire de l’extraordinaire », paru dans Libération le 25 avril dernier, dont voici quelques lignes : « Afin de ne pas reproduire une histoire des dominants, il est primordial de conserver la mémoire des gens ordinaires : caissier·ère·s, parents, postier·ère·s, soignant·e·s, ouvrier·ière·s, agent·e·s de transports, camionneur·euse·s, prisonnier·ère·s, infirmier·ère·s, travailleur·euse·s migrant·e·s, réfugié·e·s ou enfants ; autrement dit, de collecter des récits citoyens et de ne pas s’en tenir aux seuls documents administratifs ». Dans le 93, le message a été entendu.
Attention, les Archives départementales restent pour l’instant fermées au public.
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