Manon Bucciarelli, de chair et de papier
Installée à Rosny-sous-Bois, cette illustratrice de 35 ans s’est spécialisée dans la couverture de romans pour de nombreuses maisons d’édition. Son style, tout en subtilité et en couleur, puise toujours dans la matière des récits qu’elle est chargée d’illustrer. Découverte d’un métier.
Un paysage bleu nuit pour illustrer « Les Hauts de Hurlevent ». Un autre rouge feu pour suggérer l’incendie de « Jane Eyre ». Ces couvertures de classiques donnent une bonne idée du travail de Manon Bucciarelli. Inventive et méticuleuse, cette illustratrice de 35 ans basée à Rosny veut avant tout provoquer une chose à travers ses couvertures sensibles et colorées : le goût de lire. « Mon métier consiste à faire venir le livre entre les mains des lecteurs. A mes yeux, la couverture est un pont, une passerelle. » Passée par la prestigieuse école de graphisme Duperré, à Paris, la Rosnéenne a souhaité se spécialiser depuis 6 ans dans l’illustration de romans par « besoin de fond et de narration ».
« Avant ça, j’ai travaillé pendant 10 ans dans l’édition de livres pratiques, déjà en free lance. Mais à un moment, j’ai souhaité sortir un peu du lifestyle pour me confronter à des romans, et notamment à des classiques », confie cette grande amatrice de Steinbeck et de Georges Pérec. Dans cette spécialisation, son blog Plat 1/Plat 4 l’aura bien aidée : ce défi au départ tout personnel de dépoussiérer les grands classiques à travers des couvertures créatives est remarqué par plusieurs maisons d’éditions qui lui confieront de plus en plus de commandes. Parmi elles, l’éditeur Gründ lui demandera même de concevoir une collection de luxe à partir de ces couvertures : « Le Rouge et le Noir », « Docteur Jekyll and Mister Hyde », « Une saison en enfer » appelleront ainsi de leurs lettres de feu de nouveaux lecteurs.
Rigoureuse, Manon Bucciarelli n’imagine pas composer la couverture d’un livre sans l’avoir lu. « J’ai besoin d’aller chercher les détails de chaque roman pour les faire ressortir. A une exception près : certains livres étrangers que je dois illustrer avant même qu’ils ne soient traduits, auquel cas je me contente d’un résumé », explique celle qui est aujourd’hui directrice artistique des éditions Nil et qui travaille pour tant d’autres- 10/18, Belin… Le tout depuis son cocon de Rosny-sous-Bois, une ville « agréable, mélangée », où elle se sent bien. « On a atterri à Rosny totalement par hasard, il y a 7 ans, se souvient-elle. On ne connaissait pas du tout, on cherchait simplement comme tant de Parisiens une maison avec jardin. Et on s’est dit qu’on aurait dû le faire bien plus tôt... La librairie Les Jours Heureux, qui a ouvert en 2016, n’a fait que dynamiser la ville. »
Des jours heureux, vous en passerez assurément, même en ces temps tourmentés de Covid, avec les livres richement illustrés de Manon Bucciarelli.
Secrets de fabrication
- Les Hauts de Hurlevent et Jane Eyre, chez 10/18
« 10/18 avait décidé de republier des classiques mythiques, dont ces deux romans des sœurs Brontë. En regardant ce qui avait déjà été fait, on avait constaté avec la directrice artistique de 10/18 que les couvertures de ces deux romans étaient toujours très narratives, avec des personnages féminins silhouettés, très victoriens. On ne voulait pas proposer quelque chose qui soit vu et revu. J’ai donc travaillé l’émotion et l’idée de paysage pour retranscrire l’ambiance romantique et tourmentée de ces romans. »
- L’irrésistible histoire du café Myrtille, de Marie Simsès, chez Nil
« C’est le premier livre sur lequel j’ai travaillé quand Nil m’a demandé de refaire toute la charte de leurs couvertures. Le style naïf de cette celle-ci colle bien je trouve à cette comédie romantique. Cette première couverture a donné le ton pour toutes celles d’après, pour cette maison d’édition dont je suis devenue la directrice artistique. Là, je travaille justement à la suite de L’irrésistible histoire… C’est sympa parce qu’on peut entrer dans un jeu de résonances. »
- Le Parfum, de Patrick Süskind, chez Fayard
« Pour les 70 ans de l’auteur, la maison a souhaité re-publier ce roman étrange et fort dans une édition à couverture cartonnée avec dos rond et jaspage (ndlr. tranche de couleur). Ça devait être un objet élégant mais qui reflète la noirceur du personnage principal et sa quête – créer le parfum ultime, celui auquel personne ne peut résister. Une fois encore, ce chef d’œuvre de la littérature mondiale avait été mille fois interprété, et en couverture revenait le plus souvent l’image d’une femme rousse assassinée, moment de bascule pour l’intrigue du roman. Je voulais éviter de dévoiler cette scène aux nouveaux lecteurs, mais je souhaitais l’évoquer à ceux qui connaissaient déjà le texte, j’ai donc choisi le orange comme unique couleur au centre d’un bleu nuit intense. Puis j’ai composé le titre avec des milliers de petits points convergeant au centre de la couverture, comme autant de particules de parfum, précieuses et intelligibles qu’une fois réunies... »
Christophe Lehousse
Photo d’ouverture : ©Nicolas Moulard
Autres : ©Manon Bucciarelli
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