« Logement d’abord », un outil prometteur dans la lutte contre le mal-logement
Le 1er octobre, ce dispositif national, que le Département a rejoint en 2017, a été présenté à Aubervilliers. Il vise à faire accéder des personnes sans abri ou en situation de grande précarité à un logement pérenne, plutôt que de continuer à solliciter un système d’hébergement d’urgence déjà saturé. En Seine-Saint-Denis, une quarantaine de familles, sur les 300 logements prévus d’ici fin 2020, sont déjà entrées dans leur nouveau chez eux.
Depuis début avril, Liliana a le coeur léger : cette mère de deux enfants a troqué les nuits d’hôtel du Samu social pour la quiétude d’un appartement du bailleur social Seine-Saint-Denis Habitat à Montfermeil, tournant du même coup la page d’une situation inconfortable de plusieurs années. « Pour une fois, j’ai vraiment l’impression d’être chez moi », sourit cette femme joviale, qui a désormais aussi le temps de travailler sur son projet professionnel : lancer sa propre affaire de traiteur, elle qui adore cuisiner.
Comme Liliana, 40 autres ménages ont déjà pu signer en Seine-Saint-Denis un bail locatif grâce au dispositif national « Logement d’abord », qui faisait l’objet d’une présentation mardi 1er octobre à Aubervilliers. Et ce n’est qu’un début : 150 logements, dont deux tiers provenant de bailleurs sociaux et le reste du parc privé, doivent être mis à disposition pour 2019, en attendant la même quantité en 2020.
Le principe de ce dispositif : proposer à des ménages sans abri ou en grande précarité un logement pérenne plutôt qu’un hébergement d’urgence via le 115 ou des places en Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), comme c’est habituellement le cas. « L’approche de Logement d’abord, c’est qu’on ne va pas créer des conditions préalables d’accès au logement, mais qu’on va renverser les choses : donner un accès direct au logement, ce qui présente le double avantage de désengorger l’hébergement d’urgence et de pouvoir mieux travailler sur l’accompagnement social. », s’enthousiasmait Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, représentant de l’État.
Des promesses qui étaient en partie corroborées par les acteurs de terrain. « Un des avantages de Logement d’abord, outre la stabilité que donne le fait d’avoir un endroit à soi, concerne la qualité de l’accompagnement, confirmait ainsi David Ferrag, coordinateur de la plateforme d’accompagnement de Logement d’abord en Seine-Saint-Denis. En centre d’hébergement, il y a quantité de règles, ce qui a tendance à rendre les personnes moins autonomes et qui met un peu à mal l’accompagnement. Là au moins, on est tout de suite dans une co-construction... »
Un accompagnement de qualité
Déjà expérimenté au Canada et aux Etats-Unis dans les années 90 puis en Finlande à l’échelle nationale, le dispositif a donné dans ces pays des résultats encourageants. « La philosophie qui a été appliquée dans le modèle finlandais, c’est de considérer le logement comme un droit et non plus comme une récompense à la fin d’un parcours d’intégration. Qui plus est comme un droit humain fondamental qui conditionne l’accès à tous les autres droits », voulait retenir Chloé Serme-Morin, chargée de projets à la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abris.
Mobilisation collective
Lancé en France en septembre 2017, le projet a logiquement trouvé écho en Seine-Saint-Denis, qui a choisi de contribuer à l’effort commun en même temps que 23 autres collectivités territoriales. « Il était naturel de nous porter candidats à Logement d’abord compte tenu des problématiques que nous rencontrons en matière de logement, expliquait ainsi lors de son intervention Stéphane Troussel, président de la Seine-Saint-Denis, avant de rappeler quelques chiffres : 23 % des prises en charge hôtelières de la région via le 115 se font en Seine-Saint-Denis et avec 9 400 nuitées hôtelières par an là où on en comptait 200 en 2006, le Samu social 93 a malheureusement atteint ses limites. « Tous les outils sont donc bons à prendre, notamment ceux diminuant la saturation des hébergements d’urgence. Mais la mobilisation doit être collective, poursuivait l’élu, pointant par exemple « des contradictions dans l’action publique étatique : les bailleurs sociaux manquent ainsi de moyens pour faire grandir leur parc social... »
Sur un mode encore plus offensif, Christian Page, écrivain et ancien SDF à Belleville, se chargeait de rappeler quelques réalités : « J’ai envie de dire que « Logement d’abord » est une belle idée, mais j’insisterai moins sur le mot « d’abord » que sur le mot « logement ». On manque de logements sociaux en France, en grande partie par manque de volonté politique. Or si on n’a pas accès à ces logements, ça bouche fatalement toute la chaîne qu’il y a avant. C’est comme avoir une piscine qui se remplit et essayer d’écoper avec un verre d’eau alors qu’il faudrait fermer le robinet... »
En attendant de voir si le Logement d’abord peut déboucher sur le « changement de paradigme » promis par une table ronde de la présentation, le Département a en tout cas choisi de jouer le jeu en mettant sur la table 40 % des 1,5 millions d’euros débloqués pour le dispositif en Seine-Saint-Denis. Des chiffres qui prenaient encore plus de consistance quand on voyait le sourire de Liliana.
Christophe Lehousse
Leur regard sur le dispositif Logement d’abord
- Christine Pommier, assistante sociale au Service Solidarité Logement du Département
« Je suis évidemment favorable au fait de tenter l’expérience, de mettre un logement à disposition d’une personne en difficultés. Pour une raison évidente : quelqu’un qui est sécurisé, qui sait où dormir de manière pérenne va pouvoir mieux rebondir sur le plan de son insertion sociale ou professionnelle. Après, ça n’efface pas l’importance et la légitimité d’autres dispositifs : des solutions en logements intermédiaires ou en centres d’hébergement. »
- Delphine et Fanny, travailleuses sociales Interlogement 93
« A nos yeux, Logement d’abord peut être un outil intéressant. Déjà parce qu’il permet un accompagnement renforcé de personnes qui étaient auparavant à la rue ou dans des situations de grande précarité. Cet accompagnement renforcé, qui n’est pas toujours possible dans des suivis plus classiques, va permettre une remobilisation. Et puis, l’aspect global du dispositif est lui aussi innovant : on prend en compte l’insertion professionnelle, la santé... Les partenariats tissés sont aussi intéressants, comme avec la Banque Solidaire de l’Equipement (lancé à Aubervilliers par Emmaüs Défi). Un bémol : le peu de personnes sélectionnées pour le moment, compte tenu du nombre relativement modeste de logements à disposition. »
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