Le mariage forcé est une VIOLence
Amandine Maraval, responsable du LAO (Lieu d’Accueil et d’Orientation) à Bagnolet, est l’une des invité·e·s de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes, ce 9 mars. Aux côtés de Ernestine Ronai sa directrice, du juge pour enfants Edouard Durand, du prix Goncourt des lycéens Djaïli Amadou Amal. Interview avant de suivre l’émission télévisée de 9h30 à midi le 9 mars sur ssd.fr/endirect
Quel rôle a joué la crise sanitaire dans la vie du LAO ?
Le LAO avait 6 mois d’existence lorsque la crise sanitaire est arrivée. On a vu les jeunes femmes arriver par vagues. Les premières semaines de confinement, on n’a eu aucune jeune femme et aucun appel. Et puis d’un coup plein de demandes. Comme on est dans les locaux de la maison de associations, la crise sanitaire nous a contraints à fermer. Il a fallu s’organiser pour mettre en place des dispositifs à distance. Mais ce confinement nous a aussi apporter des moyens financiers ce qu’on n’a pas forcément tout le temps. Il nous a aussi permis d’explorer d’autres dispositifs, comme de permettre à des jeunes femmes de s’installer dans des Appart’hotels plus adaptés que des appartements dans leur situation. Quand elles arrivent, elles sortent à peine de la situation de danger. Elles sont généralement encore sous emprise. Elles ont besoin d’un cadre particulièrement sécurisant et cocoonant. C’est avant tout un problème de sécurité.
Comment les jeunes filles, les jeunes femmes, appellent-elles le LAO ?
Les jeunes femmes ont choisi de le rebaptiser Pow’her ou LAO Pow’her lors d’un atelier. Il faut savoir qu’ici tout est travaillé avec les jeunes femmes, du règlement à la communication.
Pourquoi viennent-elles surtout autour de 18 ans ?
Les parents utilisent le mariage forcé dès la majorité avant de perdre tout « contrôle » sur la jeune femme et lui éviter de perdre sa « virginité » avant le mariage.
C’est aussi, dans certains cas, la période où les parents apprennent que la jeune femme a un petit copain. Le mariage forcé est alors un outil pour réprimer le droit des jeunes femmes et lui choisir un conjoint conforme à leurs attentes.
Et quand elles sont mineures que pouvez-vous faire ?
Notre association fait un signalement à la Crip (Cellule de recueil des informations préoccupantes). Une enquête est menée. Et généralement, cela peut suffire à dissuader les parents qui reviennent sur leurs décisions.
Quels sont les différents cas de figure ?
Il n’y a pas de parcours type. 24 d’entre elles nous ont dit qu’elles ont été mariées de force par tradition. Deux d’entre elles, que la famille voulait ainsi cacher leur homosexualité. Certains hommes qui vivent ici, vont aussi chercher une « femme au bled », « une bonne ménagère » comme disent les filles, car « ils trouvent les Françaises un peu trop libres » ce sont leurs mots. Lorsqu’elles arrivent ici, on leur explique quels sont leurs droits pour qu’elles sortent aussi de ce mariage qu’elles n’ont pas désiré.
Qui sont ces hommes avec lesquels on les marie de force ?
Nous avons pu remarquer que beaucoup ont l’âge du père ou du grand-père. Bien souvent ce sont des personnes de la famille ou des proches. L’oncle, le grand-oncle, le grand-cousin, ou des amis des parents avec des écarts d’âge assez importants. Cela dépend des pays. En Inde, au Sri Lanka, le refus d’un mariage s’accompagne de beaucoup de violences. Parfois, comme en Côte d’Ivoire, les mariages ont lieu sans la jeune femme, juste entre les pères des mariés. Celles qui ont fui le mariage forcé et le pays d’origine dans lequel elles ont été mariées de force se trouvent en grandes difficultés sociales et en grande précarité et font de mauvaises rencontres. Nous les aidons ici à se reconstruire.
En cas de retour au pays, de vacances en vue d’un mariage forcé, la victime peut demander à la préfecture d’être interdite de sortie de territoire. N’est-ce pas ?
Oui, nous demandons aussi systématiquement aux jeunes femmes d’écrire un courrier au cas où. Ce document signé de leur part disant qu’elles ne souhaitaient pas partir à l’étranger peut être utile, si on n’a plus de nouvelles.
C’est une des mesures du protocole contre les mariages forcés créé en 2008 en Seine-Saint-Denis par l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes qui vous semble efficace ?
Oui. Nous les informons aussi de qui elles peuvent aller voir dans le pays d’accueil au cas où.
En cas de mariage forcé, les jeunes femmes ont la possibilité de saisir la justice, d’écrire au juge des enfants lorsqu’elles sont mineures, au procureur lorsqu’elles sont majeures. Le font-elles ?
Il y a des démarches que les jeunes filles ne veulent pas faire. Elles ne veulent surtout pas porter plainte contre leurs parents, ne pas leur poser de problèmes. Elles ne veulent pas que les parents soient ennuyés d’une manière ou d’une autre. Ici, sur l’ensemble des jeunes filles, une seule a porté plainte contre ses parents et deux contre leurs conjoints. C’est tout. Elles ne veulent vraiment pas. Elles veulent fuir.
Êtes-vous parfois amené à prendre des décisions à la place de ces jeunes femmes ?
Les jeunes femmes savent qu’au LAO on ne prendra jamais de décision à leur place.
Aucune des décisions n’est prise sans elle. On va à leur rythme. Nous les informons, nous les accompagnons, mais la décision, ce sont elles qui la prennent. Si elles n’arrivent pas à faire de choix - en fait elles en ont très envie mais elles ont très peur de la prendre- on leur dit : « Est-ce que tu veux qu’on prenne une décision à ta place ? est-ce que tu veux qu’on te mette en sécurité à ta place ? » Elles ont besoin que d’autres personne prennent le relais sur leur décision. Mais dans tous les cas, on leur demande si elles veulent qu’on prenne cette décision-là. C’est subtil, mais ça leur permet de passer le pas. Et de prendre la décision sans se sentir responsable.
Est-ce que vous aidez ces victimes à revendiquer leurs droits ?
La justice n’est pas forcément la réponse à tout. Dans certaines situations, la plainte peut mettre en danger si elle n’est pas accompagnée d’une mise en sécurité de la jeune femme. Le fait de partir, de fuir, c’est aussi une manière de s’émanciper. Les parents réalisent ainsi le choix de la jeune femme. Certaines font leur vie et cinq ans plus tard reprennent contact avec leur famille de manière différente mais finalement de manière plus apaisée.
Combien d’entre elles savent qu’il est interdit de se marier religieusement avant de l’avoir été à l’état civil ?
Très peu. Dans le cas des mariages forcés, ça ne se fait jamais dans le sens inverse. Les jeunes filles me disent que c’est comme si c’était des fiançailles. Une fois le mariage religieux conclu, il est compliqué pour elles de porter plainte contre le représentant religieux qui l’a validé.
Pour combattre les mariages forcés, la ville de Paris a choisi de former ses élu·e·s. Qu’en pensez-vous ?
Il faudrait que tous les élu·e·s soient formé·e·s au repérage des jeunes femmes mariées de force, pour ne pas hésiter au moment de célébrer un mariage à faire intervenir le procureur de la République et qu’il mène une enquête. Il y a de petits signaux d’alerte. Mais si on en n’a pas, il faut pouvoir se poser la question.
Propos recueillis par Isabelle Lopez
Photographie Nicolas Moulard
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