Le Département se saisit de la question du racisme dans le sport à travers des conférences
Vendredi 19 mars, le Département a organisé une journée de conférences sur le racisme et les discriminations raciales dans le sport. Un événement qui a réuni toute sorte de spécialistes (historiens, sportifs de haut niveau, responsables d’associations, etc.) et qui était à suivre en vidéo sur le site SSD.fr. Morceaux choisis.
Si le sport est un formidable « outil d’émancipation et de vivre ensemble », comme l’a indiqué en préambule Silvia Capanema, vice-présidente du Département en charge de la jeunesse et de la lutte contre les discriminations, il est l’un des derniers lieux où le racisme s’exprime publiquement et trop souvent impunément. Il n’est pas non plus à un paradoxe près : si les discriminations raciales et le rejet de l’autre y existent malheureusement, le sport est aussi capable de rassembler les foules et de célébrer les différences le temps d’un succès. Alors sport et racisme indissolublement liés ? L’Histoire et l’actualité récente le prouvent, malheureusement. Cette union regrettable a fait l’objet d’une journée de conférences le 19 mars dans la salle des séances de l’hôtel du département. Un évènement retransmis en direct et en vidéo sur le site SSD.fr.
Pour comprendre pourquoi le racisme a la vie dure dans notre société, et donc dans le sport qui n’en est que le reflet, Yvan Gastaut, historien, maître de conférences à l’UFS STAPS de l’université Côte d’Azur et spécialiste de l’immigration en France et de ses rapports avec le sport, a proposé de remonter aux origines. « Il y a quatre notions à mettre en avant », a dit le spécialiste. D’abord, la diversité. « Lors de grandes compétitions, comme les Jeux olympiques, la dimension de brassage est très importante. » En la matière, le sport est même « à l’avant-garde dans la société de la fin du 19e siècle. » La versatilité, ensuite. « En sport, on a tout et son contraire », a résumé l’historien. En 1936, les JO de Berlin, exploités par le régime nazi à des fins de propagande, ont lieu dans un climat raciste. Et pourtant, c’est Jesse Owens, athlète afro-américain, qui marque de son empreinte cette compétition. Un véritable camouflet pour Hitler dont l’objectif lors de ces Jeux était de prouver la supériorité de la race aryenne. Il y aussi l’ambigüité. « A l’époque de la France coloniale, l’athlète issu des diversités fascine autant qu’il agace la presse et les spécialistes, a raconté Yvan Gastaut. Quand celui-ci accède au rang de vedette, on se met à tout lui pardonner et à en oublier ses origines. » Une situation qu’on rencontre encore de nos jours. « Zinedine Zidane incarne la réussite à la française et a même été élevé au rang d’icône mais il est aussi la figure d’une frange de la population qui est parfois victime de racisme », a rappelé l’universitaire. Enfin, la mobilisation. « Dans les années 1980, une sensibilité au racisme a commencé à émerger. On s’est ému d’abord du comportement des hooligans anglais dans les stades de foot puis, plus globalement, de ces groupes de supporters inquiétants auteurs de cris de singe ou de jets de banane dès qu’un joueur noir de l’équipe adverse touchait le ballon. » Le monde amateur aussi est gangréné. Sur le terrain, les insultes vont bon train entre joueurs. Entraîneurs et dirigeants ne sont pas en reste. Face à ces constats, des mobilisations se sont peu à peu mises en place. « Les institutions sportives se sont lancées dans des programmes de lutte contre le racisme et ont été suivies par les athlètes. » Dont les gestes épiés par les caméras du monde entier ont cette capacité à marquer à tout jamais les esprits. Hier, c’était les poings levés et gantés des athlètes Tommie Smith et John Carlos lors des JO de Mexico en 1968 pour s’ériger contre le racisme et l’exclusion dont sont victimes les Afro-américains aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le genou à terre sur les terrains de sport du monde entier en hommage à George Floyd, tué par des policiers blancs.
Contre le racisme, « j’ai longtemps fait l’autruche, j’étais trop seule pour me battre »
Durant cette journée, des sportifs de haut niveau ont fait part de leur propre expérience sur la question du racisme. « Quand j’allais jouer des matches de coupe d’Europe avec mon club de Besançon en Italie ou dans des pays de l’Est [début des années 2000], le public se levait et imitait le gorille », a témoigné l’ancienne joueuse de handball Stéphanie Fiossonangaye, vice-championne du monde avec la France. Le pire, peut-être : l’indifférence de certaines de ses coéquipières qui lui demandent de faire fi des injures et de se ressaisir. « Si ce comportement m’a toujours donné envie de me surpasser sur le terrain, j’ai longtemps fait l’autruche en dehors, j’étais trop seule pour me battre, ajoute-t-elle. Mais depuis quelques années, les sportifs ont sonné la révolte, il y a un bel élan de solidarité. Les choses avancent. » Multiple champion du monde et d’Europe de para-taekwondo, Bopha Kong a lui aussi été victime de racisme. « Pas dans mon sport mais quand j’étais à l’école où on me traitait de sale Chinois et on imitait mes yeux bridés », a témoigné celui qui officie comme ambassadeur du sport santé au pôle ressources humaines du Département.
Etre sportif de haut niveau n’est pas donné à tout le monde. Pas seulement en raison du talent mais aussi des discriminations dont de nombreux jeunes sportifs font l’objet, notamment dans les milieux populaires. « L’association que je représente se donne pour mission de faire respecter l’égalité des chances dans le sport de haut niveau, est intervenue Carine Montrésor, président de Jumps. L’équitation ou le golf sont des disciplines encore trop élitistes, or le coût d’une activité sportive ne saurait être un frein pour un jeune qui a fait le choix de s’épanouir dans un sport. »
Ces dernières années, l’UNSS (Union nationale du sport scolaire), représentée par Edouard Andreassian, directeur national adjoint de l’UNSS, et Céline Delhautal, directrice départementale, est passée de la parole aux actes pour lutter contre toutes les formes de discriminations. Sur le sujet, l’association a distribué un livret pédagogique dans les établissements scolaires et multiplié les opérations de sensibilisation (conférences-débats avec des sportifs de haut niveau, théâtre forum, évènements et compétitions de l’UNSS organisés par les élèves eux-mêmes pour les responsabiliser et accepter davantage les autres, etc.).
Ancien professeur d’EPS, Christian Cordier est aussi membre de « 733, Jesse Owens », une association qui se sert de l’exploit de Jesse Owens en 1936 à Berlin pour dénoncer les inégalités et les intolérances dans notre société. « Nous diffusons dans les écoles le film ‘’La couleur de la victoire’’ pour revenir sur l’histoire exceptionnelle de cet athlète et rappeler que, malgré nos différences de religion et de couleur de peau, le stade est un magnifique lieu de rassemblement », a-t-il tenu à préciser.
« Passer d’une mise en émotion identitaire à une culture du jeu absente de préjugés »
Pour Pierre Tartakowsky, ancien président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et rapporteur en 2018 de l’avis du CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) sur le racisme et les discriminations raciales dans le sport, la pratique sportive est synonyme « de solidarité, de collectif, de dépassement de soi mais elle est aussi porteuse de préjugés. La solidarité du nous peut très vite se nourrir d’un sentiment d’altérité clivant avec les autres, ceux qui ne font pas partie du nous. Ce qui peut déboucher sur des comportements de type raciste ou discriminants. » Selon lui, la construction d’une culture antiraciste dans le sport n’est pas l’apanage des instances spécialisées mais relève aussi des pouvoirs publics et de la société civile. « Pour ce faire, les collectivités locales sont des terrains propices car les acteurs sont près les uns des autres », a-t-il fait ressortir. Et de conclure : « Il faut développer ou légitimer d’autres pratiques du sport que celles qui dominent [comme le football]. Passer d’une mise en émotion identitaire à une culture du jeu absente de préjugés. Il ne s’agit pas de révolutionner un milieu dont la compétition et les rivalités font partie intégrante mais d’apporter des pédagogies alternatives » capables de bousculer les mentalités.
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