Le Comte de Bouderbala, lancer franc, parler franc
Dans ses spectacles, Sami Ameziane alias Monsieur le comte, part de son expérience. Celle d’un gamin de Saint-Denis, passé par une carrière de basketteur pro avant de rebondir en tant qu’humoriste. Interview.
Comment es-tu venu au stand-up ? C’est Grand Corps Malade je crois qui t’a en partie lancé…
« Oui, mais ça avait commencé bien avant ça. Au départ, c’est notre pote Jacky (Ido) qui nous avait amenés à la Teranga, rue des Dames, où il y avait une scène slam. C’était fin des années 90, encore avant le Café Culturel de Saint-Denis. Le slam était en pleine ascension et on a eu un coup de foudre pour ce genre d’expression. Au début, on se voyait pas aller sur scène déclamer des textes, et puis on s’est lancé. C’est d’ailleurs de là que viennent nos blazes : Fabien avait choisi Grand Corps Malade, Jacky c’était John Pucc’Chocolat et moi Le Comte de Bouderbala. Pour Fabien et moi, ça nous est resté… »
Pourquoi Le Comte de Bouderbala ?
« Bouderbala, ça veut dire « haillons » en arabe. Et le Comte, pour le côté royal de Saint-Denis, la Basilique tout ça. Ca donnait un personnage d’aristocrade, ça me faisait rire. Après, en slam, moi j’étais lugubre. Je pense que c’est parce que je calquais trop l’ambiance des prises de parole que j’avais vues à ma découverte de la discipline. Je crois que j’ai bien fait d’évoluer vers le stand-up, ça me réussit plus… »
Les talents du stand-up sont nombreux à venir des quartiers populaires. D’où ça vient selon toi, cet art de la vanne dans les cités ?
« Je pense que ça a à voir avec les rapports de force. Quand tu grandis en cité, tu essaies de te battre et te débattre avec tes armes : le physique, le mental mais aussi le cérébral via l’art oratoire. Pouvoir manier des concepts, la langue, c’est esquiver, montrer qu’on peut amener du décalage. Et puis, le rire te permet de casser les frontières sociales. Après, il n’y a pas qu’un seul type d’humour dans les quartiers populaires : il y a le rire salvateur, mais pas que : le rire de résistance, la déconne... Bref, il y a autant de formes d’humour que d’humoristes. »
Qu’est-ce qui te donne envie d’écrire ? Par exemple, un de tes sketches les plus connus porte sur les rappeurs. Comment c’est devenu un sketch, qui fonctionne bien d’ailleurs ?
« J’écris sur ce qui me touche ou que je trouve drôle. Pour le rap, c’est venu assez naturellement, étant fan de cette musique et de ses différents styles. Je me disais : ça serait marrant de s’attaquer aux rappeurs parce que le rap a toujours été mal charrié. Soit c’était par des gens qui n’y connaissaient rien, soit c’était carrément par des gens comme Laurent Gerra où on frôlait le racisme de classe. Moi j’ai préféré m’attacher aux textes : je trouvais ça marrant de tailler les rappeurs avec des extraits sonores, façon reprise maître d’école. »
Un autre de tes sketches, sur les mendiants Roms, avait en revanche suscité la polémique. Tu avais compris les critiques ?
« Oui, mais je maintiens que les critiques n’avaient pas compris le message du sketch. D’une part, j’y fais clairement le distinguo entre Roms, roumains et mendiants roms, ce qui veut justement dire qu’à la différence d’autres, je ne m’imagine pas que tous les Roms sont mendiants. Et puis, à mes yeux, rire du mendiant que tu croises et qui te demande de l’argent pour la 15e fois, c’est le socialiser, l’humaniser. C’est aussi rire de ton propre malaise face à la pauvreté. »
D’accord avec cette dernière affirmation, pas avec le reste… Est-ce que quand on fait du stand-up, il ne vaut pas mieux s’en prendre aux puissants, surtout quand on s’appelle le Comte des haillons ?
Effectivement, mais le problème, c’est que la plupart du temps, les gens qui te disent ça sont eux-mêmes au service des puissants… Mais je n’ai pas de problème avec le fait de m’en prendre aux puissants : dans le nouveau spectacle que j’écris, je parle de la fascination complètement malsaine de nos politiques pour les Etats-Unis, où le capitalisme le plus sauvage a triomphé. De toute manière, s’intéresser aux Etats-Unis, c’est utile parce qu’on voit avec 20 ans d’avance ce qui va nous arriver…
Et l’alternative à ça, ce serait quoi ?
Revenir au meilleur du service public, à une meilleure redistribution de l’impôt. Mais ça demande du courage politique...
Pour revenir à la Seine-Saint-Denis, le fait qu’elle soit toujours résumée à des clichés ne t’agace pas ? Est-ce que ça ne te donne pas envie d’écrire, ça ?
« Mais ça fait 40 ans que c’est comme ça… S’il y a bien un truc qui ne change pas en France, ce sont les a priori. Je n’ai plus le temps de me prendre la tête avec ça, c’est se battre contre des moulins à vent. Et puis, de toute manière, LA banlieue, ça n’existe pas : en Seine-Saint-Denis, dis-moi ce qu’il y a de commun entre Stains et Le Raincy ? Donc j’essaie tout simplement de ne pas penser avec un « nous » parce que le « nous » ça englobe et ça tue tout. C’est ça qui provoque les clichés. C’est aussi pour ça que dans mon premier spectacle, j’ai voulu traiter d’un Français qui part aux Etats-Unis et qui regarde sa ville natale qui se trouve être Saint-Denis. Si j’avais traité la France du point de vue d’un enfant d’immigrés algériens, c’aurait été caricatural. »
Est-ce aussi caricatural de dire que malheureusement les jeunes des quartiers populaires sont d’abord perçus par bêtise comme sources de problème plutôt que comme des gens possédant eux aussi des talents, une double, triple culture ?
OK, ça c’est vrai. D’ailleurs, je pense franchement qu’un mec des quartiers populaires a plus de chances de cartonner à l’étranger qu’un mec de Neuilly. Parce qu’il va peut-être maîtriser plusieurs langues, là où le gars de Neuilly est perdu. Quand t’es aux Etats-Unis, t’es plus Rachid le Maghrébin de banlieue, t’es un Français qui parle trois langues… Je l’ai vécu. C’est d’ailleurs une des choses que j’ai envie de transmettre aux jeunes à travers mes spectacles : les inciter à se lancer, éventuellement à partir, mais pour revenir. C’est comme ça qu’ils se construiront un avenir et c’est comme ça qu’ils amélioreront notre pays. Parce qu’il ne faut quand même pas oublier que malgré ses défauts, c’est la France qui nous a fait grandir, où nous sommes allés à l’école puis à l’université.
Tu as choisi de racheter le Caveau de la République en 2014. Tu ne rêves pas de rouvrir aussi le Café culturel de Saint-Denis, lieu tremplin pour toi et fermé en 2009 ?
D’une certaine manière, je l’ai fait en rachetant cette salle mythique, le Caveau de la République et en faisant venir ici des tas d’humoristes talentueux, dans lesquels les gens se reconnaissent : Nora Hamzawi, Haroun, Matthieu Longatte, Laurie Peret... Il faut arrêter de croire que les gens de Seine-Saint-Denis ne passent pas le périph, de les assigner à résidence. Quand ils trouvent leur compte, quand le spectacle est bon, ils viennent.
Avant de monter sur scène, tu as eu une première vie où tu étais basketteur de haut niveau. Le sport c’est une bonne école de la vie ?
Disons que ça m’a transmis la ténacité, la volonté d’y arriver, dont je me sers encore aujourd’hui. J’ai été formé au PSG basket, mais l’AS Bondy a aussi compté pour moi. C’est là que j’ai fait mes vraies gammes. A l’époque les pros s’entraînaient avant nous, les espoirs. Je voulais tellement intégrer l’équipe A que je venais avant ma séance pour déjà faire de la corde sur le côté. Savo Vucevic, le coach de l’époque, m’a dit pendant toute l’année : « Maintenant il faut arrêter de venir ». Je disais « oui oui bien sûr » et le jour suivant j’étais à nouveau là. Et à la fin de l’année, en 2000, j’ai signé mon premier contrat pro… Ca prouve qu’il ne faut jamais lâcher. La plupart du temps, ceux qui taffent le plus finissent par être récompensés… »
Et qu’attends-tu des Jeux olympiques de 2024, dont une bonne partie se déroulera sur le territoire de la Seine-Saint-Denis ?
Très franchement, j’attends de voir. Si on prend le Stade de France, je considère qu’il a bien plus profité au consortium qu’aux habitants de Seine-Saint-Denis. Je ne suis pas sûr qu’ils soient très nombreux à bosser dans les entreprises qui ont émergé autour du Stade de France. Donc je ne veux pas être naïf face aux Jeux…
Pour les futurs chantiers liés aux Jeux, des clauses prévoient pourtant que 25 % des marchés publics soient réservés aux PME de Seine-Saint-Denis et 10 % des heures travaillés aux personnes en insertion…
« C’est très bien, mais 25 % c’est encore trop peu je trouve. Il faudrait mettre encore plus en oeuvre pour que des quartiers puissent s’en sortir. Enfin, c’est déjà un début... »
Propos recueillis par Christophe Lehousse
Photos : ©Eric Garault
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