"La force du service d’archéologie ? 25 ans d’investissements sans à-coups"
Claude Héron est le chef du Bureau du patrimoine archéologique du département de la Seine-Saint Denis. Y exerçant depuis sa fondation, l’archéologue nous raconte les origines, les grands moments, et présente les perspectives de cette équipe de voyageurs dans le temps.
Pourquoi le département dispose-t-il d’un service d’archéologie ?
Le service d’archéologie du Conseil Général de Seine-Saint-Denis est né en 1991. Jusque là, il n’y avait pas de tradition archéologique en Seine-Saint-Denis, hormis aux abords de la basilique de Saint-Denis, ce qui explique l’existence d’un service municipal d’archéologie à Saint-Denis. L’idée était qu’il n’y avait rien à voir, parce que tout était déjà construit. Au début des années 1990, comme partout en France, les élus se sont dit que finalement, il y avait peut-être des choses a expertiser. Ils se sont rendu compte que l’archéologie pouvait devenir un atout pour l’attractivité du territoire, et ont créé ce service. Depuis 25 ans, nous bénéficions d’un investissement continu, sans à-coups, du département. Aujourd’hui, le service compte 16 personnes : archéologues, techniciens de fouille, photographes, dessinateurs etc.
Quelles sont vos activités ?
Nous répondons à une problématique, qui est la même partout : comment ménager la conservation des traces du passé et l’aménagement du territoire. Et cela consiste à sonder le sol, avant de construire un bâtiment, pour ne pas détruire les vestiges du passé. L’archéologie préventive est notre principale activité. Avant la réalisation de nouveaux aménagements, nous faisons un diagnostic, et, s’il révèle des choses intéressantes, nous organisons des fouilles préventives. Dans le domaine, il y a trois types d’acteurs : l’INRAP, au niveau national, les services des collectivités, et les opérateurs privés. En plus de cela, nous effectuons également des fouilles programmées : exclusivement à but scientifique, ignorant les contraintes de délai de l’archéologie préventive, elles peuvent se faire sur le moyen ou le long terme.
Nous sommes financés par le budget des collectivités territoriales, par la fiscalité, et nous bénéficions aussi de la redevance d’archéologie préventive, qui sert à financer les diagnostics. Nous facturons aux aménageurs le prix des fouilles que nous réalisons pour leur compte.
Quels ont été les « grands moments » de l’histoire de ce service ?
Juste après notre création, en 1992, nous intervenons fortuitement à Bobigny avant la construction d’un nouveau bâtiment à l’hôpital Avicenne. Sur ces anciens terrains maraîchers, le sol est jaunâtre, moucheté par des tâches noires, marron, rougeâtres, signe d’anthropisation. On fouille et on commence à trouver des fragments de poterie, de monnaie, de bracelets en verre. Ce sont les traces d’une occupation gauloise insoupçonnée jusqu’alors. Puis, en 1995, à 500 mètres de là, dans la ZAC de la Vache à l’Aise, nous découvrons la suite de ce qui se révèle être un vaste habitat, qui, au 2è siècle avant J.-C. , couvre une cinquantaine d’hectares !
Nous allons revenir régulièrement sur le site. En 2002, à la faveur de la construction de nouveaux bâtiments dans l’enceinte même de l’hôpital Avicennes, nous trouvons une dizaine de tombes. Nous étendons la fouille, encore et encore... elle se révèle infiniment plus riche que ce que suggérait le diagnostic préalable. Les 500 tombeaux ainsi découverts révèlent la nécropole la plus importante que l’on connaisse en Europe pour cette époque. Et cette découverte a lieu pile au moment où se dessine un cadre législatif pour l’archéologie en France, ce qui permet de faire la démonstration de l’importance de l’archéologie préventive. A l’époque, toute la presse nationale en parlait ! La fouille qui vient de commencer, dans le parc départemental de sports de la Motte, juste au sud de l’hôpital Avicennes, s’inscrit dans la suite de ce chantier. Le département veut aménager un pôle « sport et handicap » sur la moitié de ces 15 terrains de sport, au cœur du site gaulois et antique de Bobigny. Le fait qu’elle s’effectue sur le territoire du chef-lieu du département, qu’elle fasse intervenir plusieurs partenaires : l’APHP, le département, etc. à un endroit où les enjeux urbains sont très forts, lui donnent une ampleur d’autant plus grande.
Vous avez parlé de « fouille programmée »...
Le site de la Haute île, à Neuilly-sur-Marne, est un autre de nos terrains d’action important. A la fin des années 1980, le département s’était rendu acquéreur de cette boucle de la Marne, et voulait en faire une base de loisirs. A la faveur d’un premier diagnostic, en 2000, les archéologues ont trouvé des vestiges remontant à 6500 avant J.-C. Ils concernent plusieurs périodes : le Mésolithique et le Néolithique, les âges des Métaux (âges du Bronze et du Fer), et l’Antiquité.
Entre temps, le projet d’aménagement évolue. On décide finalement d’aménager un parc urbain mettant en valeur les milieux humides de bord de Marne. L’un des sites mis en évidence se révèle très intéressant : après la fouille de 20 mètres carrés de surface, on a mis au jour une, deux, trois, quatre sépultures datant de 6000, 7000 avant Jésus-Christ, juste avant l’arrivée de l’agriculture. Sont-elles isolées ? Était-ce un cimetière ? Les plus anciens cimetières découverts jusqu’ici dans le monde datent de cette époque : En France, le plus grand d’entre eux se trouve sur l’île d’Hédic, en Bretagne, et compte 30 sépultures. Sur ce site, où plus aucune construction n’est prévue, nous avons mis en place une fouille programmée. Nous allons lentement, car il faut être extrêmement minutieux, par exemple, prélever chaque éclat d’outil en silex pour pouvoir le reconstituer ensuite. Il y a eu une phase de fouilles en 2012, une autre en 2015, et nous reprendrons en 2018 : on est pas pressés. Sans compter qu’il faut à peu près autant de temps de fouille que de temps d’exploitation et de traitement des découvertes qu’on a fait pendant ces fouilles. Nous travaillons sur le temps long.
Vous avez donc deux terrains d’intervention principaux...
On peut aussi parler de la très belle fouille de Noisy-le-Grand, en 2008-2009, grâce à laquelle nous avons révélé un cimetière du Moyen-âge, de celles de Tremblay en France, où l’on enregistre une occupation continue depuis l’époque gauloise. En 2012, à Noisy-le-Grand, nous avons accompagné par des observations archéologiques la restauration d’une église... Nous avons alors révélé l’existence d’une peinture murale inconnue datant du début du 16e siècle !
En 2012, nous avons aussi restauré une église à Noisy-Le-Grand : un restaurateur, en enlevant un enduit, a révélé une peinture de la Renaissance. Nous ne voulons pas accréditer la thèse qu’il y aurait des endroits riches et d’autres, pauvres en terme archéologique : il y a des choses partout.
Et, à l’avenir, quelles sont vos orientations ?
Nous poursuivons notre travail d’archéologie préventive, en particulier, pour le département, qui est en pleine période de construction de collèges, ce qui remplit pas mal notre plan de charges. Et nous voulons mettre l’accent sur la valorisation, la transmission de nos découvertes et des connaissances que nous produisons. Après chaque opération archéologique, nous rédigeons un rapport de fouille et nous publions des articles dans des revue scientifiques. Récemment, nous en avons publié un sur les fouilles conduites à Drancy entre 1996 et 2008.
Mais il faut également que l’on s’adresse au grand public. Pour cela nous travaillons main dans la main avec le bureau de valorisation du patrimoine du département. En 2009, par exemple, nous avions encouragé l’APHP à faire, avec notre collaboration, une exposition sur ce qu’on avait trouvé lors de la fouille de la nécropole de l’hôpital Avicenne. Sur les deux premiers mois de fouilles du stade de La Motte, nous avons reçu 500 scolaires, et cela va reprendre dès mars. Nous contribuons aux opérations de valorisation conduites dans l’archéosite du parc de la Haute Ile.
Si vous êtes tenté par une expérience sur le terrain, participez cet été à notre jeu "De Visu" !
« Il faut toujours rappeler que l’archéologie est une des rares sciences à laquelle chacun peut participer. Pour contribuer de manière authentique à une démarche archéologique, il faut trois minutes de formation initiale : savoir se servir d’une truelle, qu’il faut gratter en reculant, que quand ça change de couleur, on fouille à plat, on cherche proprement, et que, quand on sait pas, on s’arrête. N’importe qui peut y participer, c’est comme l’ornithologie. Notre service accueille des collaborateurs bénévoles. Faire participer des jeunes à une fouille, c’est aussi s’assurer que lorsqu’ils seront aménageurs, ou responsables dans une collectivité, ils se souviendront de l’importance de notre travail !
Pour participer bénévolement à un chantier de fouilles, vous pouvez téléphoner au secrétariat du service qui se fera un plaisir de vous répondre : 01 71 29 48 35
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