La banlieue investit 20 millions pour la reconstruction de la flèche de la basilique de St-Denis
Le 23 décembre dernier, on aurait pu faire sonner les cloches de la basilique de Saint-Denis à toute volée. Le Fonds de Solidarité Interdépartemental et d’Investissement, qui rassemble les sept départements périphériques de la capitale, va financer à hauteur de 20 millions d’euros la reconstruction de sa flèche. Cette cagnotte est en réalité l’aboutissement d’une décennie de travail, qu’a bien voulu nous conter Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques de Seine-Saint-Denis.
Seine-Saint-Denis le Mag : Alors ça y est, c’est désormais certain, avec les 20 millions d’euros du FS2I (Fonds de Solidarité Interdépartemental et d’Investissement), la flèche de la basilique de Saint-Denis va être remontée ?
Jacques Moulin : J’aurai des certitudes sur la reconstruction de la flèche de la basilique le jour où on posera le coq dessus ! Ces 20 millions d’euros représentent une formidable consolidation du projet, dont ils financent environ deux tiers. C’est à la fois l’affirmation publique, de la part d’élus locaux, que ce monument les concerne- longtemps, on a considéré que les cathédrales relevaient exclusivement de l’Etat. Et c’est aussi la reconnaissance du fait que ce monument appartient à toute la banlieue.
L’idée date de plus d’un siècle, mais les démarches entreprises pour la réaliser sont plus récentes...
Je ne saurais vous dire pourquoi, mais l’idée de la réédification de la flèche n’a jamais disparu à Saint-Denis. En 1850, 60, 70, les cartes postales éditées représentent systématiquement une vieille photo de la flèche disparue. Il faut dire qu’elle était structurante pour la ville : toutes les routes convergeaient vers elle. Même le tracé du Canal de Saint-Denis est orienté en fonction du clocher ! L’idée a vraiment repris forme en 1971, quand Marcelin Berthelot a commandé une étude pour savoir s’il était possible de la reconstruire.
Vous étiez alors déjà impliqué dans cette histoire...
Je me suis passionné pour la basilique dès mes études en architecture et histoire de l’art, où la figure de Pierre de Montreuil, architecte de la Basilique, était restée gravée dans les mémoires. Lorsqu’elle fut construite aux XIIe et XIIIe siècle, c’était-entre autres- dans un contexte de concurrence avec l’évêché de Paris et sa cathédrale Notre-Dame de Paris. La flèche de 90 mètres de haut, un exploit architectural à l’époque, était une réponse aux deux tours de la cathédrale parisienne. Lorsque je suis arrivé en 2010 à Saint-Denis, la basilique était méconnue et sous-fréquentée -à peine 100 000 visiteurs par an. La façade était noire, le musée de la sculpture qu’elle abrite n’était ni chauffé, ni accessible aux handicapés. Alors qu’il s’agissait de l’une des plus connues au monde, que c’était le tombeau des rois de France, qu’elle a inventé l’architecture gothique, et qu’elle se trouvait au beau milieu de l’Ile de France et à côté d’un métro. J’ai alors créé un électrochoc en réorientant les crédits vers la rénovation de la façade de la Basilique, qui a été réalisée entre 2012 et 2015. C’est à ce moment que le président de la communauté d’agglomération Plaine Commune, Patrick Braouezec, est venu me trouver pour évoquer le vieux rêve de reconstruction de la flèche. Nous avons créé dans la foulée l’association « Suivez la flèche ».
Dix ans plus tard, la reconstruction n’a toujours pas commencé !
Et oui, un tel ouvrage prend du temps ! Une fois la volonté municipale acquise, il nous a fallu prouver la faisabilité technique de la reconstruction. Nous avons réuni une documentation sur la flèche plus volumineuse que celle portant sur la flèche de la cathédrale de Chartres ! Nous nous sommes penchés sur les raisons de sa démolition afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ensuite, nous avons présenté notre projet à la commission des monuments historiques du ministère de la culture, non sans faire grincer quelques dents : jusqu’ici, l’idée était de garder un monument dans son dernier état. Alors reconstruire une flèche vieille de 150 ans... En 2017, la ministre d’alors, Mme Azoulay, a enfin donné son accord. Et, avec lui, des crédits d’Etat pour rénover la rose sud, étayée depuis 15 ans.
Ainsi, la flèche permet d’attirer l’attention et les fonds vers le reste de la basilique...
Exactement ! C’est le rêve de la flèche qui a fait venir deux fois le président de la République à Saint-Denis, et d’obtenir des fonds pour rénover la basilique, pas la crypte ou les tombeaux ! Nous proposons de financer la flèche sans crédits d’Etat, car ils sont réservés aux investissements sur le reste de la basilique. Si ce projet de reconstruction de la flèche est un outil de communication pour attirer l’attention, qui doit bénéficier à la basilique elle-même, c’est aussi un formidable outil pédagogique. Nous voulons profiter de l’exceptionnalité du projet pour en faire un événement public durable. Les restaurations fascinent le public. Dans les années 1980, j’avais obtenu qu’un double échafaudage soit monté devant la façade de la cathédrale d’Orléans afin que le chantier puisse être visité. En réalité, il y a un chantier opérationnel, et un chantier pédagogique en parallèle. Mais une telle opération prend plus de temps qu’un chantier simple. Aujourd’hui, on pourrait très bien construire la flèche en trois ans avec un dispositif plus simple, mais nous préférons prendre plus de temps, faire défiler tous les élèves d’Ile-de-France et s’assurer ainsi de la pérennité de la fréquentation du monument. Maintenant que nous pouvons compter sur ces 20 millions, nous avons trois mois pour choisir les modalités exactes du chantier pédagogique. La reconstruction elle-même devrait commencer début 2022.
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