L’Etat soutient l’innovation de la Seine-Saint-Denis pour lutter contre la prostitution des mineures
Mardi 9 novembre, le secrétaire d’État à l’enfance et à la famille Adrien Taquet a écouté les témoignages du Département et de ses partenaires (Justice, associations…) engagés ensemble dans la lutte contre la prostitution des mineures. Il a annoncé que l’État soutiendrait à hauteur d’un million d’euros leur dispositif expérimental pour l’évaluation et la prise en charge des mineures en situation de prostitution. Reportage vidéo.
Les locaux de l’AVVEJ (Association Vers la Vie Pour l’Education des Jeunes) de Bobigny n’avaient pas connu pareille affluence depuis longtemps. Tous les acteurs de Seine-Saint-Denis mobilisés pour lutter contre la prostitution des mineures étaient présents : Nadia Azoug vice-présidente du Département chargée de l’enfance, services de l’Aide sociale à l’enfance, Parquet de Bobigny, juges des enfants, Bâtonnier du tribunal de Bobigny, associations (Amicale du Nid, la Sauvegarde, l’AVVEJ)… Tous et toutes étaient réuni·e·s pour faire part à la fois de la terrible réalité vécue par un nombre croissant de jeunes filles victimes de prostitution, mais aussi des dispositifs partenariaux innovants mis en place dans notre Département.
En France, 6 000 à 10 000 mineures seraient en situation de prostitution, principalement des jeunes filles de 13 à 16 ans. (source réseau ECPAT international). « En Seine-Saint-Denis, le Parquet reçoit en moyenne deux signalement de prostitution de mineures par semaine, détaille Eric Mathais, procureur de Bobigny. L’âge moyen des victimes est de 15 ans, on compte 100 enquêtes en cours et en 2021, 24 affaires ont été jugées. »
Face à ce constat, les partenaires se sont mobilisés et « en juillet 2020, raconte Simon Benard-Courbon, substitut du procureur près le tribunal judiciaire de Bobigny, un protocole expérimental a été signé. Le Département a financé un poste d’éducateur à temps plein au sein de l’Amicale du Nid. Concrètement, cela a permis d’accélérer l’évaluation sociale de mineures en situation ou danger de prostitution. Ainsi en huit jours seulement les jeunes peuvent être confiées à l’Aide sociale à l’enfance. En un an, 26 actions éducatives en milieu ouvert ont été ainsi prononcées par le juge des enfants. Il existe également un dispositif d’action renforcée, 20 mesures de ce type ont été prononcées, mais six autres sont en attente, faute de lieux d’accueil adaptés. »
Prévention et formation
L’ASE et l’Amicale du nid organisent depuis février 2012 des sessions de sensibilisation à destination des professionnels de l’enfance. Le 4 octobre dernier, l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes avec le Parquet de Bobigny, l’Amicale du Nid et le Lieu d’Accueil et d’Orientation de Bagnolet ont mené une journée de formation sur la prostitution des mineures à destination des professionnel·e·s de l’enfance (ASE, PMI, PJJ…) et le 14 octobre une autre à destination de ceux de l’éducation. Un guide d’accompagnement à usage des professionnel·le·s a été publié. L’ASE a élargi ses dispositifs d’accompagnement (hébergement, suivi psychotraumatique…) et travaille avec la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques.
Alors que le Département de Seine-Saint-Denis finance ces dispositifs à hauteur d’un million d’euros, le secrétaire d’Etat Adrien Taquet a annoncé « la volonté de l’Etat de s’engager lui aussi à hauteur d’un million d’euros, pour amplifier cette expérimentation, augmenter les solutions d’hébergement. Ce type d’expérimentation est utile, dans l’optique d’une modélisation et d’une extension possible à l’ensemble du territoire. »
Pour Marie Pellieux, responsable de L’Amicale du Nid, « ce financement va permettre la création d’un nouveau temps plein. Cela signifie que nous pourrons toucher plus de jeunes et former plus de professionnels de l’enfance, de l’éducation, pour prévenir et repérer les jeunes filles en danger de prostitution. »
Dispositif expérimental pour l’évaluation et la prise en charge des mineur·e·s en situation de prostitution, signataires : président du tribunal de Bobigny, procureure de la République, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, PJJ Seine-Saint-Denis, directrice du centre départemental enfants et familles, Amicale du Nid, Croix Rouge, association Jean Cotxet, Sauvegarde 93, AVVEJ
- Quelles difficultés rencontrez-vous dans la poursuite du proxénétisme ?
Le proxénétisme est l’un des aspects importants de la criminalité en Seine-Saint-Denis, mais qui est au milieu de toute une série de criminalité organisée. Je pense notamment aux trafics divers et variés et en particulier le trafic de drogues. Il y a donc toujours des difficultés à trouver des audiences, surtout qu’il s’agit d’audiences longues, car ce sont des réseaux que nous jugeons, cela prend toujours du temps. Une des préoccupations, c’est d’arriver à trouver du temps d’audience pour juger correctement ces dossiers. On y arrive mais parfois, notamment lorsque les personnes ne sont plus détenues mais sous contrôle judiciaire, le jugement intervient un peu tard.
- Qui vous adresse des affaires de prostitution des mineures ?
A peu près 42% des dossiers nous sont adressés par les services de police. Tout le reste se répartit entre les juges des enfants qui nous signalent des dossiers de prostitution qui nous permettent ensuite de remonter sur du trafic et du proxénétisme, l’Education nationale également 10% désormais, et tout le réseau des travailleurs sociaux qui nous signale des situations de prostitution des mineures. Mes collègues ont développé depuis de très nombreuses années un travail en réseau, ce qui fait que les informations nous remontent assez facilement.
- Pour gagner en efficacité, quelle mesure vous semble importante dans un futur proche ?
La première, comme nous l’avons dit lors de cette rencontre, c’est que ce protocole marche, mais nous avons actuellement six mineures qui attendent d’être prises en charge par une AEMO (action en milieu ouvert renforcée) donc il faudrait augmenter le nombre de places en foyer. La deuxième, c’est de continuer à mettre en place des dispositifs qui nous permettraient de prendre en compte les auteurs sur un temps un peu long, car il n’y a pas que la prison dans la vie, notamment pour les clients de la prostitution. Et également un protocole plus radical de protection par la délocalisation, « mettre au vert » un certain nombre de victimes pour les protéger du risque de retomber dans la prostitution.
- Vous avez évoqué la poursuite des clients, est-ce souvent le cas ?
Il y a quelques poursuites mais c’est un point encore à développer. Tout le monde a des priorités, y compris les services de police. Alors que dans certains pays la loi sur la pénalisation des clients a très bien marché, en France en général et à Bobigny en particulier, elle n’est tellement appliquée. Il faut que l’on réfléchisse à pourquoi on n’utilise pas cet outil.
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