« L’Autre Champ » fait éclore des cinéastes de proximité
L’association « L’Autre Champ » anime des ateliers cinéma pour nourrir de films « Villetalocale », un média de création audiovisuelle sur Villetaneuse, réalisé par les habitants de la ville. Au menu, des sujets sur les problèmes d’ascenseurs, de rénovation urbaine, des portraits d’habitants, et des dialogues entre les plantes de leur jardin. Making-of.
« Et vous, quelle est votre relation avec votre ascenseur ? » Cet après-midi d’octobre, il a fallu attendre que quelques voisins passent sans qu’elle n’ose les aborder pour que Coumba se lance dans sa carrière d’intervieweuse. Sa condition pour s’exécuter : qu’on lui souffle les questions à l’oreille. Il faut dire aussi, que nous sommes juste en bas de l’immeuble où elle réside, ce qui ajoute à sa timidité. Peu à peu, alors que Coumba tergiverse, un trio de petites filles, intriguées par la caméra, s’est approché. Plus jeunes, elles trépignent presque d’être interviewées, évoquant avec délice la fois où elles se sont retrouvées coincées dans l’ascenseur, leurs petites astuces pour ne pas avoir peur en montant dans la machine, le retard qu’elles prennent pour aller à l’école quand un des deux ascenseurs de leur immeuble est en panne et que l’autre dessert tous les étages aux heures de pointe. Si bien qu’une fois toutes les questions de Coumba épuisées, les trois gamines ne se font pas prier pour aller chercher d’autres candidats à l’interview, qu’elles se proposent de mener elles-mêmes.
« Un, deux, trois, Action ! »
Elles ramènent leur copine Djeneba. Dans les parages, la petite fille tombe à pic : non seulement elle avait eu des problèmes d’ascenseur, mais en plus, elle vit dans une des tours du « 66 » - du 66 route de Saint-Leu à Villetaneuse, promise à la démolition. Or, recueillir les souvenirs de ces habitants avant qu’ils ne se dispersent est justement la tâche fixée à la seconde équipe de tournage. Si Djeneba est ravie de quitter son appartement devenu trop exigu pour en intégrer un nouveau, l’appréhension est plus palpable dans la voix de Mohammed, autre habitant conerné par la rénovation urbaine. Collégien entouré d’une dizaine de copains, il connaît Samuel, animateur de l’association L’Autre Champ, qui organise l’atelier vidéo, et qui est aussi son voisin. Mohammed chante d’avance la nostalgie de la solidarité de son futur ex-quartier, aussi bien les barbecues géants que l’entraide entre voisins.
Pendant qu’il se plonge dans ses souvenirs, Djeneba tient à son tour fermement le pied de la caméra- elle aussi en a profité pour passer de l’autre côté. Yaya tournicote autour du groupe pour réaliser un making-of. A 16 ans, ce lycéen va jusqu’à Sarcelles pour passer son bac « Système numérique option audiovisuel, réseau et équipements domestiques », dans l’espoir de pouvoir bifurquer sur un BTS audiovisuel, puis de gagner l’université, afin de devenir cadreur. Plus tôt dans l’après-midi, avec Siamak, il a réalisé des images pour illustrer le sujet sur les ascenseurs : digicode, porte d’entrée, gros plan sur une main qui appuie sur un bouton... « Il faut démultiplier les images pour avoir de quoi illustrer vos sujets ! Vous devez filmer tout ce qui signifie l’ascenseur », avait bien briefé Samuel.
Double champ
En ligne de mire de ces activités, la création de « Villetalocale », un « média de création audiovisuelle », explique Samuel. Dans les tuyaux de ce futur média, le portrait de Modibo, à peine dix ans, frère de Coumba, mais surtout coureur de l’équipe omnisport cycliste de Villetaneuse, tout juste de retour du Paris-Roubaix. Et le portrait de Louis, ancien cultivateur de pivoines de Villetaneuse, qui habite un pavillon mitoyen au jardin.
Le fondateur de l’Autre Champ n’en est pas à son coup d’essai. L’association, dont l’objet premier était de réaliser un journal, est passée de l’écrit au son et à l’image en 2014, en même temps qu’elle lançait un jardin partagé. D’où son nom, « Autre champ », qui joue sur le double sens du mot, agricole et visuel. « Pour le jardinage comme pour le cinéma, l’idée, c’est d’amener les gens à des formes d’autonomies, qu’ils deviennent eux-même des auteurs de contenus audio-visuels, qu’ils se forment à la technique pour pouvoir s’exprimer. A L’Autre Champ, nous réalisons des contenus, de l’écriture au tournage, en passant par les choix de plans, d’angles, de scénarios. Le jardin partagé procède de la même dynamique collective, pour que les gens s’approprient l’espace et le fassent vivre eux-mêmes. C’est un lieu d’apprentissage et de circulation des pratiques agro-écologiques », explique Samuel.
Cartes postales cinématographiques
Entre 2017 et 2019, l’association a créé « Raconte ta ville », qui consistait à « mettre en image des expériences urbaines », selon le responsable associatif. Cartes postales cinématographiques, balade urbaine dans les lieux préférés des cinéastes en herbe, du stade à une friche, de leur immeuble au jardin... Le mieux, c’est encore de regarder les onze films de la playlist, dont certains ont été sélectionnés et diffusés dans des festivals comme « Cinébanlieue » ou « Quartier Libre ». Autre playlist de films à regarder absolument, « L’UPE2A fait son cinéma », très poétique elle-aussi, réalisée par les collégiens d’une classe d’apprentissage du français du collège Descartes, au Blanc-Mesnildans le cadre des ateliers scolaires animés par L’Autre Champ.
L’association a ainsi animé, depuis sa création, des dizaines d’ateliers. « Le cinéma, c’est une pratique assez élitiste, qui, quand on parle de cinéma marchand, demande beaucoup d’argent. Avec Charles, l’autre fondateur de L’Autre Champ, on faisait du cinéma avant. La démocratisation de la vidéo nous a permis d’explorer une autre manière d’exercer notre passion, en faisant du cinéma de proximité, avec les gens, et de manière collective », résume l’autodidacte. On laisse le tableau de la fin à Yaya, qui explique manier la caméra comme il a passé son brevet, et conseille à qui veut bien l’entendre : « T’y vas au talent ». Une bonne devise pour L’Autre Champ.
Elsa Dupré
Photo : ©Association L’Autre Champ
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