Fodil Drici, le dessin l’anime
Artiste peintre et réalisateur spécialisé dans les films d’animation, Fodil Drici est notamment passé par l’école de cinéma Kourtrajmé, à Montfermeil. Originaire de Neuilly-sur-Marne, il vient de remporter deux prix au Festival européen du film court de Brest et la chaîne de télévision Arte lui a donné carte blanche pour la réalisation d’un court-métrage sur fond d’élection présidentielle. Portrait.
Il nous a donné rendez-vous au café de la Cinémathèque française (Paris 12e), un lieu où il traîne régulièrement ses guêtres, mais ça aurait très bien pu être à la médiathèque Antoine de Saint-Exupéry de Neuilly-sur-Marne, sa ville d’origine, ou à l’UGC Ciné Cité du centre commercial Rosny 2, à Rosny-sous-Bois, où il a ses habitudes. « Cela peut paraître étrange : ce n’est pas dans les cinémas d’art et d’essai parisiens que j’ai développé, enfant, mon appétence pour le cinéma mais à l’UGC de Rosny, un grand complexe sans âme qui sent le pop-corn. J’y allais avec ma mère. Aujourd’hui, j’y retourne parfois juste pour boire un café et bosser sur mes scénarios. »
Fodil Drici, 27 ans, est peintre et entame en parallèle une carrière de réalisateur, essentiellement dans l’univers du dessin animé. Contrairement à tant d’autres bambins, il dit avoir été assez peu biberonné aux mangas et autres Disney. Sa référence absolue : le Roi et l’Oiseau, mythique film d’animation créé dans les années 1950 (et achevé en 1980) par Paul Grimault sur des textes de Jacques Prévert. « C’est une œuvre intemporelle qui reste une source d’inspiration pour de nombreux auteurs et qui continue d’émerveiller par son animation traditionnelle. Celle-ci n’a pas pris une ride », confie le jeune homme, qui a passé toute son enfance et une partie de sa jeunesse à la cité de Fauvettes, à Neuilly-sur-Marne.
Belgique, Japon et Luxembourg
Fodil a grandi dans un milieu modeste, élevé lui et ses deux petites sœurs par une mère seule. « Le monde de l’art m’a toujours intéressé mais j’ai longtemps cru que je n’y aurais jamais accès, confie celui qui a récemment posé ses valises à Sevran. Il fallait que je brise cette barrière entre Paris et la banlieue. Mais depuis que je côtoie le milieu artistique parisien, je suis toujours très heureux de revenir chez moi où je me sentirai toujours plus à l’aise. »
S’il trouve rapidement sa vocation, le cinéma d’animation, il a conscience que cette passion sera difficile à concrétiser. En France, les écoles proposant une telle formation sont au-dessus de ses moyens. Aussi, Fodil se tourne dans un premier temps vers la peinture aux Ateliers beaux-arts de la Ville de Paris où il réalise des portraits sur des modèles vivants et où il fraie avec des références de la scène artistique comme Joël Trolliet et Olivier Di Pizio. « Je passais des journées entières dans leurs ateliers avec une envie féroce de faire partie de ce monde nouveau pour moi, lâche-t-il. Aîné d’une famille de trois enfants, j’aurais pu m’orienter vers des études de droit ou de médecine, plus sécurisantes sur le papier, mais ma mère m’a toujours encouragé à persévérer dans la voie que je voulais suivre, elle a été d’un grand soutien. »
En France, Fodil, touche-à-tout doué d’une curiosité inextinguible, est comme un lion en cage. Il a des envies d’ailleurs. Alors il part. A Bruxelles, tout d’abord, où il se forme durant un an à l’illustration. Puis au Japon, « pour réaliser un rêve d’enfant et découvrir l’art de ce pays fascinant dans toute sa diversité ». Il y reste trois mois, le temps de rencontrer l’artiste plasticien vedette Takashi Murakami, d’intégrer l’université des arts de Tokyo, où il peint beaucoup, et de se lier d’amitié avec un de ses colocataires, un Coréen… dessinateur dans un studio d’animation. « Le destin a voulu que nos chemins se croisent, je me suis dit que le temps était venu de partir pour faire comme lui. »
Cette fois, il opte pour le Luxembourg, pays connu pour ses banques et sa grande concentration de studios d’animation. Là-bas, après avoir été reçu au concours, il intègre pendant deux ans le prestigieux lycée des Arts et Métiers. « Durant la première année, c’est une tradition dans cette école, on ne touche pas une seule fois à la tablette graphique ou à l’ordinateur, on travaille uniquement sur papier, à l’ancienne, cela m’a beaucoup plu. » Il décide de rempiler un an et décroche un Bachelor (équivalent bac +3). Nous sommes en 2020. S’ensuit, crise sanitaire oblige, une période d’atermoiement – « heureusement, la peinture était là » - puis, une fois la situation apaisée, une désir ardent de vivre une nouvelle expérience, d’ajouter une corde supplémentaire à son arc en apprenant le métier de réalisateur de cinéma. Il lorgne l’école Kourtrajmé - fondée en 2018 à Montfermeil par Ladj Ly, le réalisateur des Misérables (prix du jury à Cannes, 4 César et une nomination aux Oscar) – qu’il finit par rejoindre en janvier dernier après avoir présenté au jury d’admission un film de trois minutes mixant animations et prises de vue réelles. A l’issue de sa formation, gratuite et qui aura duré six mois, il réalise un court-métrage avec cinq élèves de sa promotion.
Son nom au générique
Le reste de l’équipe de tournage est formée par les étudiants de l’école Louis-Lumière, à Paris. Le film s’appelle Ecrémé et dure 27 minutes. Tourné en Bretagne au mois de mars, il suit le quotidien d’un jeune habitant de Rennes qui, après avoir commis un délit, est envoyé dans une ferme pédagogique plutôt qu’en prison. Depuis, l’œuvre parcourt les festivals : celui de Cannes, dans le cadre du short film corner, de Berck-sur-Mer (Cinémondes dont le président cette année était Ken Loach) et de Brest (36e Festival Européen du Film Court du 9 au 14 novembre) d’où l’équipe du film est repartie avec deux récompenses, le prix du Public et le prix Bref Cinéma. « Sortir de l’école Kourtrajmé offre une belle carte de visite et l’opportunité de se constituer un gros réseau. Elle permet à ceux qui n’en ont pas les moyens de toucher le milieu du cinéma ou en tout cas d’en avoir les codes », estime Fodil. Toujours grâce à Kourtrajmé, la chaîne de télévision Arte vient de lui donner carte blanche pour réaliser un court-métrage dont le thème est le rapport des jeunes à la politique en Seine-Saint-Denis. « Ce sera un film d’animation qui montrera la vie de trois jeunes issus du quartier des Fauvettes un jour d’élection présidentielle en France », signale-t-il. Le message : comment cet enjeu national est-il accueilli dans les quartiers populaires alors que les jeunes qui les peuplent s’estiment oubliés par l’Etat ? Il doit rendre sa copie en février.
Autre projet mené en parallèle : l’adaptation libre de la bande dessinée TMLP (Ta Mère La Pute) de Gilles Rochier en film d’animation. Une initiative qui a été présentée en octobre lors du dernier festival Bédérama au Forum des images (Paris 1er) et qui fera l’objet d’une projection spéciale lors de la prochaine édition. Avant de nous quitter, Fodil nous livre une jolie anecdote. « Enfant, quand j’allais à l’UGC de Rosny 2 avec ma mère, je lui disais qu’elle verrait un jour mon nom inscrit au générique d’un film. Il y a deux ans, alors que j’étais encore étudiant, j’ai été invité à travailler sur Les Hirondelles de Kaboul [réalisé par Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec, ce film a obtenu le César du meilleur long-métrage d’animation en 2020]. A sa sortie, nous sommes allés le voir ensemble, à Rosny évidemment. Elle a ainsi pu constater qu’un rêve pouvait devenir réalité. »
Grégoire Remund
Photo : ©Patricia Lecomte
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