Firmine Richard : « Il ne faut jamais se laisser bloquer par les imbéciles et les racistes ! »
Débarquée à la fin des années 80, sur un coup de dés du destin, dans le milieu du cinéma, cette « pétulante » comédienne s’est imposée au fil de ses rôles et de sa gouaille sur les écrans hexagonaux. Une trajectoire que la Pantinoise, actrice engagée sur les questions de société et de racisme, nous brosse à grands traits au moment où son autobiographie est en librairie.
C’est au Vertigo à Pantin au bar-restaurant du Ciné Le 104 que Firmine Richard a donné rendez-vous à Seine-Saint-Denis le Magazine. Dix ans déjà que la Guadeloupéenne a rejoint son « havre de paix entre deux tournages » dans le quartier du Petit Pantin. Profitant d’une journée off en juin pendant le tournage de son prochain film, "Maison de retraite, MDR" une comédie avec Gérard Depardieu, elle nous a retracé un peu de son itinéraire de femme et comédienne engagée entre la Guadeloupe, Paris et « sa » Seine-Saint-Denis.
« Ce qui t’est destiné, le courant ne l’emporte pas », c’est le titre de votre autobiographie (1) : question un peu téléphonée pour commencer, ce titre n’a pas été choisi par hasard ?
Non ! C’est un titre qui fait, en effet, référence à une expression très répandue chez moi en Guadeloupe qui signifie que ce que tu vis, tu dois finalement le vivre. En créole, c’est un dicton populaire qui se dit comme ça : « Sa ki la pou w, dlo pa ka chayé i. » Bref, ça veut dire que s’il t’arrive quelque chose ou si tu dois faire quelque chose de spécial, c’est que ça t’es destiné. Dans mon cas, par exemple, si je fais un casting et que je ne suis finalement pas choisie, je me dis juste que le rôle n’était pas pour moi. Bref, si je me suis retrouvée à faire du cinéma à la quarantaine après une vie tout à fait normale, c’est que je devais le faire ! Tout simplement parce que la rencontre entre deux et trois heures du matin avec la directrice de casting du film de Coline Serreau, Romuald et Juliette, sorti en 1988, n’avait rien de programmée... Et finalement, toute ma vie est un peu comme ça, alors j’ai trouvé que ce dicton populaire des Antilles résumerait bien mon parcours.
En tout cas, votre autobiographie n’est pas qu’un simple "bouquin" de souvenirs, c’est aussi un livre engagé...
Oui, mais c’est tout simplement parce que ce livre, c’est d’abord mon histoire et ça raconte donc effectivement comment j’ai vécu et je vis encore ce racisme latent et hypocrite qui est toujours quelque part en sourdine dans la société française. Attention, je ne vais pas dire que le racisme en France aujourd’hui est aussi violent qu’aux Etats-Unis... Mais, si on est sérieux deux minutes, on ne peut pas dire non plus que dans notre pays, il n’y a pas de racisme, comme l’a dit l’ex-Ministre de l’Intérieur, au sein de la Police française. Moi je dis que si le racisme existe en France, il existe aussi dans cette corporation qu’est la Police, je suis désolée ! Après, si on regarde les choses en face, il faut aussi relativiser : il y a aussi beaucoup d’imbéciles ! Là-dessus, j’ai aussi un peu changé parce que dans ma jeunesse, j’étais beaucoup plus virulente face aux cons !
Vous l’êtes restée, non ? Sinon, vous n’auriez pas participé en 2018 au livre-manifeste « Noire n’est pas mon métier » où des actrices noires dénonçaient collectivement les discriminations dont elles sont victimes dans le milieu du cinéma français...
Lorsqu’on a fait ce manifeste en 2018, c’était effectivement pour bouger les choses. Parce qu’à force qu’on me demande pourquoi on ne me voyait pas plus au cinéma, je me suis dit qu’il fallait expliquer les choses clairement au public. Ce qu’on voulait avec ce texte, c’était participer à changer la mentalité des « fameux décideurs » qui nous serinaient et nous serinent encore que le grand public n’est pas prêt à voir des noirs à la télé, au cinéma... Mais, c’est faux, c’est dans leur tête que ce genre d’idées existent ! En fait, le racisme est quelque chose de subtil dans la tête des gens qui affirment qu’ils ne sont pas racistes. Les racistes, ce sont ceux qui ne voient pas l’autre comme eux et c’est quelque chose que vivent malheureusement, encore trop, les jeunes et plus largement les gens d’un département comme la Seine-Saint-Denis. Après, malgré tout ça, je dis aux jeunes de Seine-Saint-Denis ou d’ailleurs qu’il ne faut pas se laisser bloquer par ce genre de choses. Si vous avez envie d’être comédien, de travailler dans le milieu du cinéma, donnez-vous les moyens de le faire et d’avancer quel que soit votre origine, votre couleur de peau !
Cette envie de bouger les choses, c’est ce qui vous a poussé à "tâter" un peu de la politique en devenant conseillère municipale à Paris en 2008 ?
Oui, et c’est comme ça que je suis entrée en politique derrière l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë. Au début des années 2000, je lui avais fait remarquer qu’il n’y avait pas beaucoup de noir.e.s sur ses listes et il m’avait dit que ça allait changer. Du coup, j’ai été élue conseillère municipale en 2008 et 2014 dans le 19e arrondissement à Paris comme membre de la société civile. A Pantin, ensuite, j’ai soutenu en 2020, le comité de soutien de l’actuel maire Bertrand Kern, mais c’était plus un engagement de citoyenne au sein d’une ville où je me sens bien.
-Comment le « destin » vous-a-t-il mis sur la route de la Seine-Saint-Denis et de Pantin ?
Ca remonte à 2011 maintenant : à l’époque je cherchais un endroit avec un jardin et une maison afin de pouvoir prendre ma mère, qui était malade, avec moi. Bref, je cherchais une maison de plain-pied pour maman qui avait la main verte et j’ai débarqué comme ça en Seine-Saint-Denis. Bon, je me suis un peu fait avoir et je me suis même fait carrément couillonner parce que j’ai acheté cette maison, bien trop cher. Mais, ça va ! Ca va parce que j’aime beaucoup mon quartier du Petit Pantin, c’est calme avec une vraie vie de quartier et à 200 mètres, même pas, du métro Raymond-Queneau ! Non, vraiment, je ne regrette pas mon coup de cœur de l’époque et mon prunier qui a commencé à donner de belles prunes... Dix ans après mon arrivée en Seine-Saint-Denis, j’y ai pris mes marques et j’aime ma vie pantinoise. Là, on est au Vertigo, le bar-restaurant du « Cinéma Le 104 » et c’est un peu ma cantine. J’y viens, par exemple, travailler tranquillement sur mon prochain seule-en-scène.
Justement, venons-en à votre actualité artistique, il y a ce seule-en-scène et puis aussi un film « Maison de retraite » réalisé par Thomas Gillou avec Gérard Depardieu qui sera bientôt sur les écrans ?
Exact. Là, ça s’enchaine bien... Parce que le cinéma, c’est fait de hauts et de bas. Surtout avec le Covid-19 qui a stoppé net le tournage de cette comédie sur les seniors avec Depardieu, Mylène Demongeot, Daniel Prévost, Marthe Villalonga. Mais, le tournage a fini par reprendre, donc restons optimiste et attendons sa sortie en 2021.
Quel rôle avez-vous dans ce film ?
Je joue le rôle d’une pensionnaire d’une maison de retraite un peu spéciale... J’ai beau ne pas faire mes quelque 70 ans, je suis maintenant évidemment « castée » sur des rôles de senior ! Enfin, tout ce que je peux vous dire avant sa sortie, c’est que c’est une comédie co-écrite par Kev Adams où on s’est bien marrés. A part ça, je continuerai à tourner de nouvelles saisons de Mortel, une série Netflix. Bref, je suis occupée et je fais surtout avec les règles sanitaires du Covid-19 en multipliant les tests. D’ailleurs, je peux vous garantir que le test du goupillon dans le nez, c’est plus que désagréable !
Et votre « seule-en-scène », c’est pour bientôt ?
Je prends mon temps... Je vais le peaufiner au fur et à mesure sur scène justement. Si vous voulez tout savoir, c’est un spectacle qu’on a intitulé « D’après mon histoire vraie » qui tournera un peu partout où on voudra bien nous accueillir. Sur scène, je raconte la trajectoire d’une gamine élevée seule par une mère docker saisonnière sur le port de Pointe-à -Pitre, arrivée en France dans le cadre du regroupement familial, devenue comptable et qui se retrouve un jour à « faire » l’actrice et monter les marches de Cannes.
-Bref, on va continuer de vous voir à l’écran et sur scène. A vous écouter faire défiler vos projets, on a l’impression que vous avez envie de mourir sur scène comme Molière ?
(Elle rit). Soyons clair, je n’ai pas une retraite qui va m’inciter à arrêter de travailler demain ! Et ce n’est vraiment pas la retraite de ma carrière à La Poste ou à la RATP qui va me permettre de vivre tranquillement jusqu’à la fin de mes jours. D’ailleurs, ça me fait penser que je n’ai toujours pas bouclé les démarches pour obtenir ma retraite de cheffe de station à la RATP ! J’ai un peu d’argent qui dort, donc autant aller le chercher...
Puisqu’on parle de la Poste, votre premier contact avec la Seine-Saint-Denis se fait, peut-être, au bureau de Poste du Bourget, votre premier emploi comme guichetière aux PTT de l’époque. C’était à la fin des années soixante...
Ah, dîtes donc vous avez lu mon bouquin en fait ! C’est exact, mais c’est quand même mieux que les gens aillent acheter le livre pour lire la suite !
(1) Editions Michel Lafon
Photos : ©Bruno Lévy
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