Dr Pommepuy : les « troubles psychiques risquent fort de s’aggraver »
La pandémie et le confinement ne sont pas sans conséquences psychologiques pour les enfants et adolescents, notamment s’ils s’accompagnent d’une surexposition aux informations ou d’une désorganisation du quotidien. Chef de pôle de psychiatrie infanto-juvénile à Ville-Evrard, le Dr Noël Pommepuy alerte sur ces risques et conseille aux parents, pour les réduire, de garder des rythmes, de limiter les écrans, de privilégier les activités et de ne pas rester isolés.
Quelles conséquences psychologiques peut avoir la situation actuelle chez les enfants et les adolescents ?
Cela dépend beaucoup de l’âge. Les plus petits – en-dessous de 5 ans – ne vont pas développer du stress par eux-mêmes mais ils réagissent en revanche beaucoup à l’ambiance autour d’eux, à l’effet que cela a sur leurs parents. Si ces derniers sont angoissés, regardent les chaînes d’information en continu, si le quotidien de la famille est désorganisé, ils vont être très perméables à cela. Cela peut se manifester par une agitation inhabituelle, des difficultés à s’endormir, voire une inversion du jour et de la nuit. Si des troubles psychiques existaient, ils risquent fort de s’aggraver.
Et chez les plus grands ?
Les 6-12 ans ont davantage conscience d’eux-mêmes et de leur place dans la société. Ils sont sensibles à ce qu’on pense d’eux, aux aspects sociaux, et ils comprennent l’événement. Le risque est donc plus grand qu’ils développent du stress par eux-mêmes. Selon les enfants, ils peuvent être inquiets, voire angoissés, être plus tristes, parler moins, manger moins, ou au contraire être très agités ou se retrouver absorbés de façon compulsive par les informations.
Chez les adolescents, cela va également souvent se traduire par un manque d’assiduité dans le travail scolaire, avec un risque important de décrochage scolaire. On peut aussi avoir des comportements transgressifs, et notamment un refus du confinement. C’est une manière de manifester leurs angoisses face à quelque chose qu’ils ne comprennent pas et l’impossibilité d’avoir des relations avec leurs amis.
Comment peut-on trouver les mots pour leur faire accepter ?
C’est toujours difficile. Il faut commencer par se demander si, soi-même, on en est convaincu et, si ce n’est pas le cas, s’en convaincre soi-même. Il ne faut pas non plus rester isolés mais au contraire faire appel aux liens familiaux. Les moyens de communication permettent de s’appeler, d’organiser des réunions familiales à distance. Cela permettra non seulement aux enfants et adolescents de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls à vivre cela, mais cela leur fera prendre conscience aussi de l’aspect solidaire de cette période : nous sommes tous unis contre le même problème ! Il faut enfin permettre aux adolescents de pouvoir s’isoler de temps en temps, même si c’est difficile dans des petits appartements. Ils en ont besoin et les parents doivent l’accepter.
Vous parliez des risques d’une désorganisation du quotidien....
Oui, il est important de garder des rythmes, notamment pour les plus petits. Mais cette désorganisation de la vie quotidienne est aussi très mauvaise pour les plus grands et les adultes. Elle peut entraîner du stress, des conflits, et possiblement des violences. Dans le guide que nous avons réalisé pour les familles [cf. encadré], nous conseillons d’organiser la journée en séquences du lever au coucher, en alternant les moments de jeu, de travail sur table, d’activités créatives, motrices, etc. Même si, dans ce contexte, il faut savoir lâcher sur certaines exigences, les enfants ont besoin de repères et de rituels.
Le problème ici, c’est que ce n’est pas juste le confinement, c’est aussi le contexte de pandémie. Ce n’est pas du tout comme les vacances d’été par exemple. Là, 1- nous n’avons pas de dates de fin ; 2- nous ne pouvons pas sortir ; 3- le contexte est très angoissant. Et l’angoisse est renforcée par l’omniprésence des écrans et leur non-régulation, notamment en Seine-Saint-Denis.
C’est-à-dire ?
Les populations précarisées sont déjà surexposées aux écrans en temps normal. Dans ce contexte, c’est pire encore. C’est comme après les attentats : les gens étaient restés scotchés à leur télévision. Et plus c’est horrible, plus on a du mal à arrêter de regarder. C’est un effet de sidération classique, mais c’est aussi très anxiogène. Même s’il n’y a pas de scènes horribles, de sang, on voit la peur sur le visage de certains journalistes, l’épuisement des soignants, etc. Il faut donc limiter l’exposition aux informations et, si on les regarde, le faire en famille, en parlant et en expliquant, avec du contenu adapté aux enfants. Il existe des outils comme Le Petit Quotidien par exemple.
D’une manière générale, pour réduire les angoisses des enfants et leur permettre de poursuivre leur développement, il faut limiter l’exposition aux écrans et privilégier les activités avec eux, les inciter aussi à participer aux tâches ménagères, etc. Mais quand on a soi-même été traumatisé dans sa vie - ce qui est le cas de la plupart des parents que nous suivons -, la mobilité psychique pour imaginer des activités n’est pas forcément au rendez-vous.
Vous êtes inquiet ?
Nous sommes très inquiets. La Seine-Saint-Denis risque de payer un prix fort. Certaines familles vont réellement décrocher et j’ai peur de la deuxième vague, voire même d’une troisième, avec les répercussions que la situation peut avoir sur les grossesses en cours et donc sur les enfants à naître. Mais le fait que les gens de Seine-Saint-Denis ont vécu des choses plus dures que la plupart d’entre nous - des guerres, des migrations douloureuses - est aussi une force ! Pour eux, cette pandémie peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, mais on peut aussi penser qu’ils sont mieux outillés que nous pour l’affronter.
La psychiatrie infantile mobilisée, et inventive !
La situation sanitaire a contraint les équipes de psychiatrie infanto-juvénile à limiter l’accueil physique de leurs jeunes patients dans leurs structures mais, dans la zone couverte par celle du Dr Pommepuy comme dans les autres, un plan dit de « continuation de l’activité » a été immédiatement mis en œuvre pour éviter au maximum une rupture des soins, comprenant une permanence téléphonique, la téléconsultation, un accueil d’urgence, des visites à domicile. « La situation nous oblige à réviser totalement nos modalités de prise en charge, mais cela dépoussière aussi nos façons de faire et amène de la créativité », révèle le Dr Noël Pommepuy. Ses équipes inventent par exemple de nouveaux outils pour aider les parents. En une semaine à peine, le pôle a ainsi rédigé un « kit d’organisation à l’usage des familles » et créé une page Facebook et une chaîne YouTube qui proposent activités, contenus et conseils aux parents, comme par exemple un parcours moteur pouvant être imaginé dans 25 m2 !
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