Des champions comme les autres
Les 21 et 22 juin, le stade Jean-Delbert de Montreuil accueillait les championnats de France d’athlétisme sport adapté. Deux jours de dépassement de soi, de performances, de déceptions, de joies, de fatigue et de bonheur. Tous les athlètes présentaient une déficience intellectuelle ou un trouble psychique. Et alors ? Qu’est-ce que ça change ?
C’est le moment des 100m. Plusieurs courses se succèdent, en fonction de l’âge, du sexe et du type de handicap. Sur la ligne de départ, les silhouettes sont parfois assez éloignées des canons habituels des sprinteurs. Lors des phases d’attente, le regard de certains concurrents semble se perdre vers les tribunes, ou bien vers l’aire de saut ou bien vers... D’autres trépignent, sautillent, ont hâte de courir. Parfois les officiels prennent le soin d’expliquer qu’il faut rester dans leur couloir, entre les deux lignes blanches. Mais lorsque le starter énonce « A vos marques ! », chacun d’eux est tendu, les yeux fixés sur la ligne d’arrivée. Départ ! Tous s’élancent, à fond, donnent tout ce qu’ils ont. Souvent, des différences de niveau sont flagrantes, les premiers ont déjà passé la ligne quand certains sont encore en plein effort. Peu importe, tous donnent leur maximum, cherchent à se dépasser. Leur victoire, c’est déjà d’être là, sur la piste.
Grégoire est autiste. Il est venu d’Echirolles, en banlieue de Grenoble pour participer au 400m et au saut en longueur. Deuxième de son championnat régional, il espère gagner à Montreuil, « surtout en course, c’est ce que je préfère. Je m’entraîne pour ça deux fois par semaine malgré mon emploi du temps de ministre. » Et de me détailler l’ensemble de sa journée, depuis le lever et le brossage de dents, ses activités, l’arrivée sur le stade, l’échauffement… Sa mère qui l’accompagne stoppe gentiment l’énumération. Grégoire reprend : « Courir, ça me fait du bien. Particulièrement lorsque je me casse la tête, que je réfléchis à mon passé, mon présent, si mon futur sera en adéquation. »
Performances et manque de moyens
Dans les tribunes où tous les concurrents attendent leur tour et encouragent les autres, Kenny ne tient pas en place. Il sautille, fait des écarts… Vingt ans, longiligne, il est taillé pour le sprint et le saut. Il m’aborde d’un air franc : « Vous êtes journaliste ? Je veux bien vous répondre, mais posez-moi des questions adaptées car je suis autiste. » Il est venu de Nantes où il avait tout d’abord commencé l’athlétisme « en milieu ordinaire. Mais certains ne respectaient pas ma différence. Alors j’ai cherché longtemps un autre club et je suis maintenant en milieu adapté et cela me convient tout à fait. Depuis, je m’entraine trois fois par semaine et j’ai constaté de réels progrès. »
En passant dans les tribunes, on remarque sur les maillots le nom de grandes villes, Limoges, Nantes, mais aussi d’autres beaucoup moins connues et beaucoup plus petites comme Puellemontier, dans la Haute-Marne. En effet, la plupart des clubs de sport adapté sont liés à des établissements accueillant des personnes porteuses d’un handicap mental. « Tous nos sportifs viennent de l’ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail), du foyer de vie ou de l’IME (Institut Médico Educatif) présents sur la commune », explique Ludovic, l’un des encadrants de l’ASCP (Association Sportive et Culturelle de Puellemontier. « Le sport fait partie des activités thérapeutiques. Les bénéfices sont nombreux : dépassement de soi, satisfaction personnelle… Mais le sport, c’est aussi savoir perdre. Cela permet de travailler sur la frustration, leur apprend à relativiser s’ils passent à côté d’une médaille… » Tout cela avec des moyens financiers modestes : « Pour la saison et 18 personnes, nous avons un budget de 4300 euros. Avec cela, nous devons financer les équipements, les déplacements, l’hébergement, les salaires des encadrants… ça n’est pas simple, mais nous tenons à venir aux championnats de France. Pour tous nos sportifs, c’est le Graal ! »
Un champion monde sur la piste
C’est aussi l’occasion pour eux de côtoyer l’élite des champions, comme Charles-Antoine Kouakou, champion du monde du 200m, vice-champion du monde du 400m. Charles-Antoine a intégré l’IME Ladoucette de Drancy en 2010 et court sous les couleurs du club Sport-toi bien 93. Il s’entraîne trois fois par semaine, et une fois par mois en stage à Reims avec ses camarades de l’équipe de France. Du fait de son handicap, Charles-Antoine n’est pas un bavard. Alors Emmanuelle Mougel, son enseignante en activité physique adaptée raconte que « Le sport lui permet de parler avec son corps. Depuis qu’il pratique l’athlétisme, Charles-Antoine se redresse, sourit de plus en plus, est capable d’aller un peu plus au-devant des autres. Il a réussi à se valoriser, à s’épanouir. »
Alain Romary, son éducateur référent, poursuit : « le sport joue un grand rôle en lui apportant plus d’autonomie, de rigueur. Les compétitions, l’entraînement, le motivent. Il se rend même tout seul à l’entraînement à Dugny. Sa pratique sportive est un facteur d’émancipation. » Avec un chrono de 22’25 sur 200m, il peut espérer briller lors des JOP de Tokyo l’an prochain et le Département de Seine-Saint-Denis l’a intégré dans son programme d’aide aux espoirs sportifs Génération Jeux, pour qu’il puisse fouler en 2024 la piste olympique du Stade de France et peut-être gagner...
Photos : Sylvain Hitau
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