Théâtre

Bezace, le communard

Didier Bezace, metteur en scène et directeur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, centre dramatique national, est décédé mercredi 11 mars 2020. Ardent défenseur d’un théâtre de qualité accessible à toutes et à tous, plusieurs fois récompensé par un Molière, nous l’avions suivi en 2009 toute une journée alors qu’il jouait "Après la répétition" d’Ingmar Bergman. Voici le reportage tel qu’il est paru alors dans le magazine départemental de novembre 2009.

Avec le Théâtre de La Commune d’Aubervilliers, Didier Bezace a trouvé à la fois l’outil pour exercer son art de la scène et l’envie de le partager avec les habitants.

Il aime sa « maison », son théâtre. Sa grande salle aux boiseries choisies par Alfredo Arias. Il aime son équipe dont il vante les qualités à chaque occasion. Il en aime le plateau, malgré son absence de dégagement côté jardin, son pilier mal placé. Il aime ses compagnons de scène tels Pierre Arditi, Anouk Grinberg… Il aime son public, toujours à reconquérir, mais à l’enthousiasme chaleureux.
Déjà douze ans que Didier Bezace a quitté son Théâtre de l’Aquarium pour répondre à une invitation-défi de Jack Ralite, alors maire d’Aubervilliers. « Il faut du temps. Mon enracinement dans la maison, la ville, le territoire, créent des liens avec le public, la population en général. Le théâtre est important même pour ceux qui n’y viennent pas. Ils en sont fiers. »
Le rôle d’un centre dramatique national (CDN) est de mettre en place des projets de haut niveau, d’accompagner et de découvrir de jeunes créateurs et d’élargir le public. Pour Didier Bezace, cette définition est à la fois une contradiction et l’expression d’une grande ambition. « Diriger un CDN n’est pas la même chose dans une grande ville de province, dans des lieux où la vie est plus aisée, que dans un territoire où la situation sociale n’est pas simple. L’exercice d’un art, même populaire, peut y apparaître comme la dixième roue du carrosse ! » Cela demande une aide particulière. « Or l’Etat restreint les budgets, alors que la création artistique dans des territoires tels que le nôtre est fondamentale, pour la vie des gens, leur dignité, leur citoyenneté. »
Le Théâtre de la Commune travaille particulièrement les relations avec le public, en multipliant les types d’interventions : théâtre hors les murs, dîners, lectures, liens avec les associations, les établissements scolaires... Son amour du théâtre, Bezace cherche à toute force à le partager. « Nous devons susciter le désir. Les gens aspirent à être étonnés, à découvrir. Nous devons passer au-delà d’écrans qui masquent cette envie. »
Comédien reconnu, metteur en scène de talent, Didier Bezace a su cultiver des amitiés artistiques fidèles, notamment avec de grands comédiens populaires. Il n’hésite pas à utiliser leur talent et leur notoriété pour attirer un nouveau public au théâtre.
« Avec Pierre Arditi et Evelyne Bouix, j’ai monté il y a deux saisons un texte de Nathalie Sarraute, pas d’une grande facilité. Une bonne partie du public n’est pas venue pour Nathalie Sarraute, mais pour les acteurs. » Peu importe car à l’issue du spectacle, certains habitants qui avaient franchi pour la première fois les portes du théâtre s’exclamaient « Passionnant ce texte ! » Le théâtre organise également des ateliers de rédaction de critiques théâtrales. « Après avoir écouté ces personnes, raconte Didier Bezace, j’en suis ressorti regonflé. Leur acuité de jugement, de réflexion, l’implication de l’art dans leur vie… Après cela, pour qu’un technocrate me convainque que la démocratisation culturelle ne marche pas, il faudra qu’il se lève de bonne heure ! »

24 heures avec Didier Bezace

En une journée, le directeur du Théâtre de la Commune, Didier Bezace endosse tour à tour les rôles d’administrateur, de metteur en scène et de comédien.
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11h00
La vie d’un directeur de théâtre est rythmée par les représentations. Lorsqu’il joue le soir, Didier Bezace arrive plus tard le lendemain matin. Si le spectacle tourne en province, de longs rendez-vous téléphoniques avec son équipe sont organisés pour gérer le quotidien de cette entreprise culturelle qui emploie 24 permanents et plus de 200 intermittents par an.
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13h00
Didier Bezace se sent aussi bien à table que sur scène. Les déjeuners avec son équipe sont à la fois des moments de détente et de travail. Quels que soient les sujets évoqués, l’actualité, le théâtre n’est jamais loin. Les restaurants sont aussi une occasion de rencontres avec les Albertivillariens. Des moments auxquels le comédien est sensible :
« -Tiens, Didier Bezace, on vous a vu à la télé. Mais pourquoi vous êtes là ?
 Je dirige le théâtre, là-bas.
 Formidable ! On viendra vous voir, vous jouez cet hiver ?
 Ah non, je mets en scène.
 Ah bon ? Oh, ben on vous verra à la télé alors… »

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14h30
Dans la petite salle, Laurent Caillon, conseiller artistique a préparé une séance d’écoute de différentes musiques pour la prochaine création de Didier Bezace, Les Fausses Confidences de Marivaux. Deux versions baroques des Quatre saisons de Vivaldi, une pour piano seul et une curiosité pour cinq saxophones. Chaque version suggère une ambiance différente, influe sur la dramaturgie, voire la scénographie. « Le piano, il faudrait l’avoir sur le plateau !
 Oui, mais avec le risque qu’il attire trop l’attention, perturbe l’action.
Sans compter qu’il est anachronique.
 Mais il amène une dimension romantique intéressante. »

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16h30
Le surlendemain, Didier Bezace est invité à donner une lecture de Conversations avec ma mère lors de l’inauguration de la salle Jean-Bouise de Villeurbanne. Quelque temps pour relire le texte, organiser le voyage avec son équipe, suivre le projet d’une salle de répétition dans le quartier des Quatre-Chemins. « Je me dois d’être à la fois sérieux et insouciant. Sérieux dans la direction du théâtre, et suffisamment insouciant pour donner au public. »

17h30
Didier Bezace se retire et fait une sieste. Il s’agit d’être en forme ce soir, pour la pièce Après la répétition, mise en scène par Laurent Laffargue, l’un des deux metteurs en scène en résidence à la Commune avec Ezquiel Garcia-Romeu. Une heure trente durant, Bezace sera sur scène, donnant la réplique tour à tour à Fanny Cottencon et Céline Salette.
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19h00
L’heure du lever de rideau approche, il est temps de se maquiller. Didier Bezace se confie aux mains de Dyssia Loubatière, assistante à la mise en scène. L’ambiance est décontractée, pas de tension, juste de l’application. C’est un moment important, un passage vers la scène.
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19h15
Dans le petit salon où les comédiens attendent avant de monter en scène, on entend la salle dans des haut-parleurs. Les spectateurs ont l’air tout proches. Chez Bezace, pas de trace de trac. Une tasse de café à la main, il plaisante avec les techniciens. Une lueur de gourmandise dans le regard, il demande : "quel est le menu ce soir au bar du théâtre ?" La jeune Céline Salette, elle, s’est retirée dans sa loge pour se concentrer. Fanny Cottençon déclame une réplique de la pièce à venir.
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20h30
En scène !
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22h45
Après cinq rappels, les comédiens rejoignent le bar du théâtre. Didier Bezace répond au public, salue d’autres comédiens, se fraye un passage jusqu’à sa table. Il tient à ces soirées, où l’on échange avec le public, les metteurs en scène associés, les comédiens, des propos sur la pièce, l’actualité… « Ces échanges sont importants pour que la force de créativité, le désir continuent d’être le moteur de cette maison. »

Reportage photos : B. Géminel et E. Charbeau

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