Avec La Collective, des mamans célib, mais plus seules
A Montreuil, depuis environ un an, des mères célibataires ont décidé de s’organiser pour briser leur isolement, s’entraider, penser ensemble leur situation et les manières de l’améliorer. Le 7 mai dernier, autour d’un bac à sable, ces mamans nous expliquaient pourquoi elles avaient adhéré à La Collective et ce qu’elles en avaient fait.
Pour elles, le 19 mai n’a pas été synonyme de déconfinement et de pintes en terrasse. « C’est un mode de vie inhérent à notre situation. Ça fait six ans que je fais TOUT : l’école, les médicaments, l’administratif, les réparations... La liste ne s’arrête jamais. Avant le Covid, je travaillais loin de Montreuil, et ne prenais pas de pause-déjeuner pour pouvoir faire mes 39 heures. Avec le télétravail, ça va mieux, mais il se passe parfois des semaines entières sans que je ne parle à un adulte », souffle Marlène. Alors qu’elle fait partie des toutes premières membres de « La Collective », un groupe de mères célibataires qui s’est fondé avant le premier confinement, c’est la première fois, ce 7 mai, qu’elle rencontre pour de vrai les autres « mamans solo », profitant des premiers rayons de soleil printaniers sur les tables en bois du square « Papa Poule », dans le Bas-Montreuil.
Un répit
Sophia, Séverine, Claire, Sarah, Sandrine, aucune ne songerait à lui reprocher cette absence, car toutes partagent la même réalité : devoir s’occuper de leurs bambins en permanence, ne pas avoir de relais, ni de répit, devoir assurer en permanence, ne jamais montrer de faiblesse, ni craquer. Briser l’isolement en permettant un relais de temps à autre, ou en tout cas une prise en charge plus collective des marmots, c’est justement le premier objectif de La Collective. « Un jour, j’ai eu un moment de grande détresse. Je me suis retrouvée à pleurer à en trembler en pleine rue, avec ma poussette. Ce jour-là, heureusement que la PMI était ouverte, que les travailleuses sociales m’ont accueillie, se sont occupées de ma fille d’un côté, et de moi de l’autre », raconte Sarah Lebailly, à l’initiative de cette petite organisation. Et même si les rencontres en chair et en os sont compliquées par les contraintes sanitaires et l’inflexibilité de leurs plannings, « déjà, faire partie du groupe Whatsapp, ça me fait me sentir moins seule », estime Marlène.
Militante dès ses 15 ans à Ni Putes ni Soumises, Sarah Le Bailly, après s’en être éloignée, a au moins conservé une conviction : celle de la nécessité de s’organiser. Ou plutôt, elle l’a rattrapée, lorsque la jeune femme a fait connaissance avec les galères qui vont de pair avec la parentalité, et encore plus lorsqu’elle n’est pas partagée : trouver un mode de garde, un logement social plus grand qu’un studio, payer les factures inhérentes à l’éducation d’un enfant. Après deux années d’isolement, à bout, Sarah a décidé d’envoyer sur tous les groupes Facebook de parents montreuillois un appel à la fédération des mères célibataires. « En 10 heures, nous étions une vingtaine », se souvient-elle encore.
Montreuil, ville « kidsfriendly »
Il faut dire que Montreuil réunit plusieurs points attractifs pour ces mamans : le prix de l’immobilier y est moins cher qu’à Paris- or l’accès au logement est une des problématiques centrales pour cette population dont 35% vit sous le seuil de pauvreté. « Montreuil est une ville de trentenaire « kidsfriendly ». J’ai été saisie, quand je suis venue visiter, de voir les enfants jouer dans la rue pendant que leurs parents boivent l’apéro. On ne verrait jamais ça à Paris. Les bars comme La Grosse Mignonne ont même des espaces dédiés aux enfants ! », explique Claire. Les Montreuilloises et résidentes des villes mitoyennes s’ajoutent sur un groupe Whatsapp, et ouvrent bientôt plusieurs « fils ».
Le premier sert à s’échanger des infos, des dessins marrants, à se remonter le moral. Le second, à s’entraider. « Une des filles a eu le courage de dire qu’elle n’arrivait pas à joindre les deux bouts. Une autre maman lui a proposé des tickets restos. Ça prouve le niveau de confiance qui existe entre les mamans de la Collective », se réjouit Sarah. Les mamans échangent aussi des vêtements, des bons plans, comme des paniers AMAP des "Castors bio" avec des prix bas spécialement pour les membres de La Collective, et se gardent les enfants les unes des autres de temps en temps. Ainsi, Sandrine est venue déjeuner avec Sophia lorsqu’elle s’est faite opérer du genou, et Sarah a pris le fils de Sandrine lorsque celle-ci était immobilisée. « Car être maman solo, c’est aussi ne pas avoir le droit de tomber malade », relève Sophia. Jade, qui souffre d’un cancer, ajoute : « On vous propose des aides ménagères, des aides pour vous soigner, mais rien pour accompagner votre enfant à l’école ou à ses activités ».
Se retrouver pour échapper aux jugements
Un troisième fil accueille les discussions politiques, autour de la prise en compte plus fine des problèmes auxquels sont confrontés ces mères. « C’est en échangeant des articles que j’ai découvert la galaxie des masculinistes et de leurs idées, que je ne connaissais pas du tout. Ce sont des hommes qui proposent d’avoir un droit de véto sur le fait qu’on avorte. Dans le même genre, le Figaro vient de publier un article qui qualifie les mères célibataires de « coureuses de pension alimentaire » », s’ébahit encore Sarah. « Mais il y a des trucs à dire à tous les étages, sur le coût des cantines, les féminicides, l’endettement plus important des mères célib, le nombre de places en crèche », ajoute Sandrine, qui a abandonné son CDI faute de mode de garde.
Le quatrième fil porte sur les questions juridiques, des échanges de noms d’avocat, des numéros d’associations d’aide aux victimes, des appels à se faire accompagner aux commissariats. Car cet après-midi, à l’écart des oreilles des petites têtes blondes et brunes, on comprendra que la majorité des mamans célibataires présentes mènent des poursuites judiciaires contre leurs ex violents. « Se retrouver entre mères célib, c’est aussi échapper au regard des autres. Soit on te voit comme une hystérique qui a fait fuir ton mec, soit comme une femme blessée qui veut le reconquérir... Les retours, même bienveillants, sont systématiquement dans le jugement : on essaye de te recaser, dans les yeux des autres, on lit « C’est de ta faute, car sinon, tu n’aurais pas rencontré un tel type ». T’as l’impression d’avoir 16 ans, et d’être tombée enceinte du quarterback du lycée », explique Marlène. Sophia renchérit : « Moi, la Collective m’a permis de penser ma situation. De comprendre ce qui m’arrivait, que je n’étais pas seule, que je n’étais pas coupable. On n’ -est pas des cas particuliers, on s’inscrit dans une histoire de domination », explique la jeune femme. « Ici, quand je dis que le père est un pervers narcissique, il n’y a personne pour lever les yeux au ciel et dire : « encore une qui casse du sucre sur le dos du mari », ou « encore un truc à la mode » », confirme Claire. Autre point positif, à ses yeux : le groupe de mamans célib permet à sa fille, Saskia, de rencontrer d’autres enfants « comme elle ». « Je n’ai pas de signe de vie de son père depuis deux ans, et tous les jours, elle me demande de ses nouvelles. La compréhension de la notion de carte postale a été compliquée pour elle. Du coup, elle supporte mal de voir les papas de ses copines, très investis dans leur éducation. Et même pour moi, les apéros avec les parents d’élèves quand tout le monde est en couple, mis à part moi, c’est pas toujours facile ». La Collective, au-delà d’un espace d’entraide, d’échange de tuyaux et de politisation, c’est donc aussi une autre manière de faire famille.
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