Avec Cartooning, la Seine-Saint-Denis se mêle des crayons
Vendredi 24 mai, le dessinateur du Monde Jean Plantu et son association Cartooning for Peace ont accueilli quelque 120 élèves de Seine-Saint-Denis au Forum des Images, à Paris. Avec trois dessinateurs internationaux, il a été question de liberté d’expression, de tolérance et de laïcité, dans une ambiance joyeuse et libre comme un coup de crayon.
Derrière son pupitre, Ali, dessinateur iranien, projette à l’écran le dessin de Kadda, un élève du collège Poincaré de La Courneuve où il s’est rendu récemment. « Pourquoi as-tu fait une fleur blanche dans l’obscurité ? » « Parce que ça représente l’espoir », répond timidement le garçon. « J’aime beaucoup ton dessin. Comme moi, tu es un optimiste », dit en riant ce caricaturiste avec un humour tout iranien, lui qui a dû fuir son pays il y a quelques années, menacé par le régime autoritaire.
Dans l’auditorium du Forum des Images, il règne une ambiance chaleureuse et en même temps concentrée. Pas de questions tabous pour Lassane Zohoré, dessinateur ivoirien, Michel Kichka, Israélien né en Belgique (voir interview), et donc Ali, qui préfère qu’on cite juste son prénom. Les trois ont passé plusieurs jours dans différents collèges de Seine-Saint-Denis où ils ont organisé des ateliers sur le dessin de presse et ses enjeux, dans le cadre d’un partenariat entre Cartooning for Peace et le Département de la Seine-Saint-Denis.
« Ce partenariat est né en 2015, au lendemain des attentats à Charlie Hebdo, explique ainsi Stéphane Troussel, président du Département. On a senti qu’il fallait alors se regrouper autour des valeurs fondamentales de la République - liberté, égalité, fraternité mais aussi laïcité – à l’heure où d’autres voulaient s’emparer de cette tragédie pour tenter de diviser. Et comme Cartooning portait justement ces valeurs-là, ça a été assez naturel. »
Treize ans que Cartooning for Peace, fondé par le dessinateur Jean Plantu défend en effet la tolérance et les droits de l’homme, en réunissant des dessinateurs du monde entier. En 2006, en pleine affaire des caricatures danoises, le dessinateur du Monde avait réussi à faire se rencontrer caricaturistes juifs, musulmans, chrétiens et athées. Aujourd’hui, voilà Ali et Michel, un Iranien et un Israélien l’un à côté de l’autre quand les gouvernements de leur pays attisent pourtant allègrement la haine de l’autre. « A en croire nos gouvernements, on devrait être des ennemis, Ali et moi. Eh bien, pas du tout, on est amis. Ça vous montre qu’il faut toujours aller au-delà des idées préconçues », souligne Michel Kichka.
Connu notamment pour « Deuxième génération. Ce que je n’ai pas dit à mon père », bande dessinée où il raconte ses liens à son père, rescapé des camps, ce dessinateur israélien n’a pas son crayon dans sa poche : « En France on a le droit de critiquer les religions. Le blasphème n’est heureusement pas répréhensible au regard de la loi. On a aussi le droit d’intenter des procès en justice quand on s’estime blessé. Mais les intégristes islamistes ne représentent pas l’Islam. Ils en sont une dérive minoritaire. Et dans le Coran, il n’est écrit nulle part qu’il faut assassiner pour des idées exprimées. » Voilà pour la piqûre de rappel.
Lassane Zohoré, venu lui de Côte d’Ivoire, ajoute : « Vous ne pouvez pas vous imaginer la chance que vous avez de pouvoir vous exprimer : ce n’est pas le cas dans tous les pays. Après, la liberté, il faut aussi en faire bon usage. Ce n’est pas parce qu’on peut tout dire qu’il faut blesser l’autre. » Venu avec Willy ZeKid, un dessinateur congolais contraint lui aussi de quitter son pays, ils expliquent tous deux à l’assistance comment le dessin de presse leur a permis de gagner la confiance des « enfants-microbes », gamins des rues de Côte d’Ivoire, tombés dans la délinquance.
Et à l’heure des questions, les enfants ne se font pas prier. « Pourquoi la caricature est-elle interdite dans votre pays ? » demande une jeune fille à Ali, qui suscite particulièrement la curiosité. « En général, la dictature n’aime pas trop faire rire d’elle. Elle préfère faire peur. », répond le dessinateur iranien, inquiété notamment pour un dessin qui montrait une femme iranienne avec la bouche fermée par une fermeture éclair et dont la crémaillère ressemblait au drapeau iranien. « Les sujets qu’on ne peut toucher chez nous sont la religion, l’autorité chiite et le statut de la femme dès lors qu’il est associé à des valeurs occidentales. Plus généralement parlant, République islamique, c’est une contradiction dans les termes : en Iran, le pouvoir n’appartient pas au peuple, mais au Guide suprême », nous confiera-t-il ensuite.
Au milieu de tout cela, Plantu administre les débats, jouant les clowns mais rappelant aussi quelques vérités. « Un dessinateur hollandais, Djanko, a fait un jour un dessin qui montrait un monsieur sur une échelle, la tête dans un nuage. L’autre, en bas, qui tient l’échelle, lui demande : « Et alors ? » Eh bien ce dessin tout doux, qui ne prend pas parti, qui défend juste la possibilité de douter, est interdit dans certains pays de la Méditerranée. Mais nous, en tant que dessinateurs, on est traversé par le doute ! »
Au sortir de la conférence, il y en a aussi quelques-uns dans les têtes des élèves. On est ainsi témoins d’échanges intéressants. « Moi, je suis pour la liberté d’expression, du moment qu’on respecte les autres. Pour moi, il faut quand même se demander si ton dessin peut blesser les autres », affirme une jeune fille du collège Pasteur à Villemomble. « Non, pour moi, il faut avant tout penser au message que tu veux faire passer, et tant pis s’il blesse quelqu’un. Le principe d’une caricature, c’est qu’elle est à prendre au second degré. Il faut quand même avoir un peu d’autodérision. », lui oppose une autre. Qui a dit que le plus important, c’était le dialogue ?
Christophe Lehousse
Photos : ©Nicolas Moulard
Michel Kichka : « Un bon dessin doit faire réagir »
Ce dessinateur belgo-israélien, connu notamment pour ses croquis contre le racisme, s’est rendu durant la semaine dans plusieurs collèges de Seine-Saint-Denis à l’invitation de Cartooning. Entretien.
Quelle est la question qui est revenue le plus souvent dans les ateliers avec les enfants ?
« Peut-on rire de tout ? », qui est aussi une question récurrente que les médias posent depuis les attentats de Charlie Hebdo. Je réponds immédiatement et sans hésitation "NON" ! Car c’est la vérité. Puis je nuance en ajoutant que chacun se fixe ses propres limites. Et aussi que chaque pays a ses lois qui fixent les limites de ce qui légal.
Et je termine en ajoutant que caricaturer n’est pas nécessairement rire ni faire rire. Qu’on peut faire de l’humour noir, de l’humour grinçant ou provoquant. Un bon dessin doit faire réagir, faire réfléchir, énerver, déranger. Un dessin qui laisse indifférent est un mauvais dessin. »
Je crois que vous les avez aussi fait dessiner. Quels étaient les sujets abordés ?
« J’ai proposé deux thèmes : Tous égaux et Racisme. Tous se sont prêtés à l’exercice, même ceux qui disaient ne pas savoir dessiner. Je les ai encouragés et convaincus que c’est l’idée qui prime. Que même un dessin très brouillon peut marcher si l’idée est claire. »
Quand un enfant vous dit : « Moi je ne suis pas Charlie Hebdo », que peut-on lui répondre ?
« Je commence par raconter ce qui s’est passé le 7 janvier 2015. Les gosses que j’ai rencontrés avaient 10 ans, il est bon de raconter, de mettre des mots sur les faits avérés. Puis j’explique le sens du slogan qui a émergé spontanément en plusieurs millions d’exemplaires lors de la marche silencieuse du 11 janvier. « Je suis Charlie » ne veut pas dire « j’aime Charlie », « j’aime les dessins et les articles de Charlie ». « Je suis Charlie » veut dire que je soutiens leur liberté d’être un journal satirique indépendant qui s’exprime librement dans un pays démocratique, que j’aime ou non ce qu’ils font. »
Vous est-il arrivé de regretter d’avoir fait un dessin ?
« Non. Je réfléchis bien avant chaque dessin pour ne pas en arriver a regretter un dessin réalisé. »
Le fait que vous dessinateur israélien témoigniez de votre métier à côté d’Ali, dessinateur iranien, alors que les régimes de ces pays s’ingénient à monter l’un contre l’autre, c’était symbolique pour vous ?
« C’était surtout symbolique pour les élèves. Ça brise d’un seul coup tout ce qu’ils pouvaient imaginer sur nos deux peuples et tout ce que les médias véhiculent. »
Vous avez terminé votre intervention en rappelant aux élèves de Seine-Saint-Denis comme à ceux de Molenbeek (banlieue de Bruxelles, qui avaient été pointée du doigt après les attentats du 13 novembre 2015) qu’ils étaient formidables. Comment peut-on lutter contre cette stigmatisation dont est victime le département ?
« Je ne connais que les rencontres humaines et le travail sur des projets communs pour briser les murs de la stigmatisation et construire des ponts. »
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