Au Studio d’Aubervilliers, arrêt sur images sur les politiques d’accueil des migrations
Vendredi 25 mai, le Département a organisé avec l’aide de sa structure Vialemonde un ciné-débat sur la politique d’accueil des migrations en Europe, à partir d’un documentaire sur une expérience réussie en Italie. L’occasion de constater que beaucoup reste encore à faire en France.
En 2016, la rue principale de Riace, petit village de Calabre, revit : les rideaux des boutiques qui restaient auparavant clos comme des portes de prisons s’ouvrent à nouveau ; dans la rue, les gens se croisent, se saluent, font la fête. Tout cela grâce à l’arrivée de quelques centaines de migrants depuis 2015 et à la politique d’accueil volontariste du maire de la commune, Domenico Lucano, qui a enrayé la désertification massive qui avait frappé ce petit village du sud auparavant. L’Italie, on le voit, ce n’est heureusement pas que l’alliance de la Ligue du Nord et du Mouvement Cinq étoiles, parvenus récemment au pouvoir, et qui défendent eux au contraire la fermeture des frontières et une réduction drastique des flux migratoires.
« Un Paese di Calabria » : c’est ce documentaire signé Shu Aiello et Catherine Catella qu’a choisi Vialemonde – la structure de coopération internationale du Département de la Seine-Saint-Denis - pour organiser un ciné-débat sur les politiques d’accueil et d’hospitalité en France. Une conférence malheureusement dans l’air du temps compte tenu de la récente loi « Asile et Immigration » passée en première lecture à l’Assemblée, qui durcit encore les conditions d’accueil en France et de la situation préoccupante de 1600 migrants dormant dans le plus grand dénuement le long du Canal Saint-Denis.
Une situation face à laquelle le Département en tant que tel n’a que peu de prise. « La loi nous a confié la protection de l’enfance. A ce titre, nous devons prendre en charge les mineurs étrangers non accompagnés, et nous souhaitons continuer à le faire. C’est une mission que nous menons avec fierté et nous y avons acquis une certaine expertise », a rappelé Stéphane Troussel, le président du Département de la Seine-Saint-Denis. Qui a toutefois aussi exhorté l’État à prêter main forte aux collectivités locales. « Face à la hausse du nombre des mineurs isolés – de 450 fin 2015 à plus de 1200 aujourd’hui dans le département – et face à la diminution des ressources publiques en Seine-Saint-Denis, nous sollicitons aujourd’hui l’aide de l’État. Il faut qu’il tienne ses engagements : quand la France ratifie la Convention internationale des droits de l’enfant, elle revendique d’assumer sa part pour ces jeunes », a insisté l’élu de Seine-Saint-Denis.
De son côté, Jean Matringe, professeur de droit international à Paris-I a fait l’inventaire des arsenaux juridiques en matière de contrôle de l’immigration en France, pour aboutir à ce constat : « la politique étatique en matière d’accueil de l’immigration est - disons le franchement - une politique inhospitalière, une politique de fermeture des frontières. » Et de prendre quantité d’exemples, dont certains font partie de la dernière loi en date, déjà passée en avril à l’Assemblée nationale : « limitations au regroupement familial, durcissement des conditions à l’entrée sur le territoire, augmentation des délais en zone d’attente et de rétention, titres de séjour limités à un an... Comment voulez-vous qu’avec tout cet arsenal, un migrant puisse faire des projets d’intégration dans notre pays ? »
Une intervention pertinente de la salle a ensuite orienté le débat sur la question de la sensibilisation des citoyens grâce à des projets culturels. « Dans le film, on voit bien que les cultures et traditions de Riace ne s’effacent pas en en accueillant d’autres. Au contraire, elles coexistent et sont enrichies à leur contact », estime une spectatrice. « C’est là qu’on voit tout l’intérêt de travailler sur des œuvres culturelles ! s’enthousiasme en réponse Mohammed Ouaddane, de l’Inter-réseaux Mémoires-Histoires. Et ce militant associatif de souligner l’importance du concept de pluralité des identités : « Est-ce qu’on laisse réellement une pluralité d’identités s’affirmer aujourd’hui en France ? Ce n’est pas évident. Il faut toujours être une seule chose : français ou étranger, ceci ou cela. Quand tout le monde aura compris qu’un être humain est composé d’identités plurielles, là on pourra vraiment faire de l’accueil »
Un discours qui collait parfaitement aux exemples développés par Agnès Arquez-Roth, représentante du Musée de l’Histoire de l’Immigration. « Notre philosophie de base est qu’il faut faire émerger l’histoire de l’immigration comme étant une histoire de France, soulignait ainsi cette dernière. Et dans cette démarche, la place des collectivités locales a été fondamentale : à l’inverse d’autres musées nationaux, le projet du Musée de l’Immigration n’est pas venu d’en haut, mais de la part des différentes collectivités locales et de la société civile. » Une démarche à laquelle a bien sûr contribué la Seine-Saint-Denis, auteure avec le MHI du plus vieux partenariat.
« C’est peut-être une utopie, mais l’ambition de notre compagnie est de provoquer une prise de conscience chez les jeunes Français d’aujourd’hui, de les pousser à bâtir une société de l’accueil » a pour sa part souhaité Sophie Bulbulyan, chorégraphe de la compagnie de danse DK-Bel. Cette troupe a notamment été à l’origine d’une rencontre forte entre de jeunes Français, Grecs et des réfugiés sur l’île de Chios à l’été 2017 (voir encadré).
L’écran éteint, chacun s’en rentrait chez soi avec dans un coin de sa tête le dévouement des habitants de Riace pour accueillir des hommes arrivés là au péril de leur vie, et aussi cette question : « à quand un, deux, plusieurs Riace ? »
Christophe Lehousse
Photos : @Franck Rondot
@DK-Bel
The Beaming Project : Danser pour ouvrir les frontières
« Il y a un vrai lien qui s’est construit entre les jeunes réfugiés et nous. C’est quelque chose qu’on n’oublie pas. » Mounia, 19 ans, est encore émue par l’expérience qu’elle a vécue en juillet dernier sur l’Île de Chios, en Grèce. C’est là, dans le camp de Souda, que 40 jeunes – des danseurs de Villiers-le-Bel, mais aussi des jeunes de Pantin et de jeunes Grecs - ont rencontré de jeunes prétendants à l’asile en Europe. Un projet, baptisé « The Beaming Project » (« projet Rayonne ! »), monté par la compagnie DK-Bel, en partenariat avec le Lab de Pantin, une structure jeunesse pour les 16-25 ans.
S’appuyant sur un précédent projet déjà mené par le Lab en 2015, la compagnie DK Bel a souhaité faire se rencontrer ces jeunes citoyens du monde autour de la danse. « La danse s’y prêtait tout particulièrement, parce que c’est quelque chose d’universel et où on n’est pas dans la communication verbale », souligne Sophie Bulbulyan, chorégraphe au sein de DK-Bel, mais qui s’occupe aussi bénévolement de jeunes enfants réfugiés de 3 à 7 ans quand elle vit à Athènes.
Mounia en est revenue encore plus décidée à défendre une politique d’accueil pleine et entière. « Il s’est passé quelque chose de fort là-bas. D’abord, ce qu’on ne voit que par la télé devient tout à coup réel. On se rend compte qu’ils sont comme nous, qu’on est comme eux, qu’on pourrait être à leur place », dit la jeune femme, qui n’est pas près d’oublier les danses qu’ils ont partagées. « Ils nous ont montré les danses de leur pays : Afghanistan, Syrie, Iran, Irak et ont aussi dansé sur des musiques à nous. Depuis, on est toujours en contact, via les réseaux sociaux ». A leur retour, les danseurs de la compagnie K-Bel qui avaient participé à l’expérience ont d’ailleurs écrit un spectacle, « Qafaz » (le saut en arabe), inspiré des témoignages des jeunes réfugiés recueillis à Chios.
Actuellement en Licence I de Sciences politiques à Paris-8, Mounia, qui avait aussi visité Calais après l’évacuation de la « jungle » et le camp de Grande-Synthe dans un premier projet, espère quant à elle pouvoir repartir. Lucide du haut de ses 19 printemps, elle replace toutefois les choses dans leur contexte : « Des projets culturels tels que le nôtre aident à la prise de conscience. Mais ce ne sont que des politiques publiques intelligentes, menées avec les acteurs de terrain, qui changeront vraiment les choses ».
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