Au Studio Théâtre de Stains, « enfants de tous pays, unissez-vous »
Vingt ans après l’avoir créé, le Studio Théâtre de Stains reprend « J’espérons que je m’en sortira », jusqu’au 10 juillet. Cette pièce inspirée de rédactions d’enfants d’une banlieue populaire de Naples, mêlant réalité crue et poésie enfantine, n’a malheureusement pas beaucoup bougé, vingt ans après…
« A Arzano, les rues sont toutes déglingouillées. Mon grand-père passe son temps à réparer notre maison, et s’il y arrive pas, c’est que c’est mission impossible... » En quelques mots, on a déjà toute l’atmosphère de « J’espérons que je m’en sortira » : des paroles d’enfants extrêmement lucides, inquiètes parfois, mais jamais non plus totalement dépourvues d’espoir.
Il y a vingt ans, l’équipe du Studio Théâtre de Stains avait été happée par ce court recueil de Marcello D’Orta, un instituteur d’Arzano, une banlieue pauvre de Naples, qui avait collecté dans cet ouvrage certaines des rédactions de ses écoliers. En était né « J’espérons que je m’en sortira », grand succès du Studio Théâtre qui l’aura mené du festival d’Avignon jusqu’en Nouvelle Calédonie.
Vingt ans après, la metteuse en scène Marjorie Nakache a décidé de soumettre à nouveau la pièce au test du réel, en lui ajoutant cette fois-ci des rédactions d’enfants de Stains. « On a souhaité reprendre la pièce parce qu’on trouvait que c’était de circonstance après le Covid. Rien que le titre résonnait par rapport à cette période, explique la cofondatrice du STS, qui joue cette fois aussi sur scène le rôle de « la Mamma ». « Je me demandais aussi si 20 ans après, les paroles d’enfants allaient être les mêmes ou auraient évolué. Et bien sûr, ça n’a pas tellement changé : Italien ou Stanois, un enfant reste un enfant, lucide sur le monde mais aussi avec une forte capacité d’espoir. »
« Dure France »
Evidemment, certaines références ont dû évoluer, pour que la pièce puisse continuer à parler aux enfants d’aujourd’hui. Sonja Mazouz, également de l’aventure lors de la création, ne se déhanche ainsi plus sur Madonna, mais sur Dua Lippa et quand il est question de modèles de réussite, surgissent les noms de Ronaldo et « les influenceurs sur Youtube ». « Les enfants stanois ont aussi rajouté pas mal de commentaires sur l’état de la planète. La dimension écologique et aussi les inégalités sociales creusées par le Covid étaient très palpables dans leurs rédactions », remarque Marjorie Nakache. Mais pour le reste, le constat de Mimmo, Gina ou Flora, enfants d’Arzano confrontés à la misère, au chômage et aux écarts entre riches et pauvres reste le même, formulé dans des phrases pleines de poésie brute : « comme Dieu peut pas être partout, il a inventé les mamans », « ma mère dit que le tiers monde, il est encore beaucoup plus tiers que nous » jusqu’à un cinglant : « l’être humain est dégueulasse ».
Heureusement, cette désillusion glaçante est tempérée par certains moments de rêve et d’insouciance propres à l’enfance, qui sur scène se voient matérialisés par des séquences de cirque ou de magie apaisants. Isabelle Helleux, à travers ses numéros au trapèze et au tissu, transmet ainsi toujours la même poésie qu’il y a 20 ans. Elisa Habibi et Antoine Jacot, nouveaux venus dans le spectacle, apportent eux une fraîcheur par leurs numéros de jonglage.
Portée par ces moments de grâce, la magie de ce spectacle tout public opère : l’adulte se demande à quel moment il a cessé de regarder le monde avec une sincérité d’enfant, et les enfants se disent sans doute avec confiance que le monde ira mieux quand ils seront adultes. « Pour moi, la pièce parle de la famille, de l’école et de comment les enfants voient le monde. Je pense que si on se parle tous et qu’on ne refait pas les mêmes erreurs, ça ira mieux... », estimait ainsi Imen, venue ce jour-là au théâtre avec sa classe de CM1 à l’école Joliot-Curie de Stains. Son instituteur Pierre complétait : « Avant la pièce, on a étudié la chanson « Douce France » de Trénet, et ce qu’il en ressort, c’est que la plupart des élèves n’ont pas ce ressenti. Ils me parlent plutôt de « Dure France ». Globalement, beaucoup sont pessimistes, mais ce qu’ils disent aussi, c’est qu’on peut toujours compter sur la famille. » Sur la famille et sur une intelligence collective dont les enfants ne semblent pas manquer…
Christophe Lehousse
Photos : ©Benoîte Fanton
- J’espérons que je m’en sortira, adapté et mis en scène par Marjorie Nakache, d’après Marcello D’Orta- au Studio-Théâtre de Stains, 19 rue Carnot, jusqu’au 10 juillet.
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