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AESH, derrière ces quatre lettres, trois femmes en or

On les appelle AESH, pour accompagnants d’élèves en situation de handicap. Essentiels, ils ont pour mission d’aider des enfants en situation de handicap dans leur vie scolaire et leur apprentissage. Pourtant, la France et en particulier la Seine-Saint-Denis en manque cruellement, ce métier étant souvent précaire et sans statut propre. Portrait de trois d’entre elles.

Méconnus du grand public, en manque de reconnaissance, précaires et sans statut propre, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ne sortent de l’ombre médiatique que quand il s’agit de dénoncer leurs conditions de travail. Pourtant, leur présence est capitale auprès des enfants à besoins particuliers dans les écoles (maternelles et élémentaires), les collèges et les lycées. Aussi, avons-nous décidé de donner la parole à Frédérique, Catherine et Coumba (90 % des AESH sont des femmes) pour qu’elles nous livrent leurs perceptions d’un métier qu’elles affectionnent particulièrement, en dépit des difficultés.

« Notre métier demande une sacrée adaptabilité »

Frédérique, 51 ans, habite à Romainville et travaille aux Pavillons-Sous-Bois.

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« Parmi les AESH, on peut dire que je suis une privilégiée », lâche tout de go Frédérique, accompagnante d’élèves en situation de handicap qui intervient dans le même établissement scolaire, le collège Anatole-France des Pavillons-sous-Bois, depuis sept ans. Une stabilité rare dans ce métier. « Parmi les collègues, il y a ceux à qui on demande de changer chaque année d’école et ceux qui sur une même année sont mobilisés sur cinq ou six établissements différents, de la maternelle au lycée, en passant par l’élémentaire et le collège, assure-t-elle. Cela demande une sacrée adaptabilité car on est sur des publics qui n’ont rien à voir, le boulot n’est pas le même d’une catégorie d’âge à l’autre. Et puis, si avec des gamins qui ont besoin de repères, de tranquillité, on ne crée pas des habitudes, ce qu’on fait ne sert à rien. » Autre « privilège » pour Frédérique : elle travaille à temps complet (35 heures) alors que la plupart de ses homologues doivent se contenter d’un contrat à temps partiel (24 heures). Une situation enviable qui n’empêche pas les difficultés auxquelles tous les AESH sont confrontés : le manque de moyens et le sentiment de devoir se débrouiller tout seul. « Pour obtenir une formation (je souhaiterais apprendre la langue des signes), c’est la croix et la bannière, or un AESH bien formé, c’est automatiquement plus de garanties de réussite pour un élève en situation de handicap. » AESH-co (ou à titre collectif) de son état, Frédérique accompagne une classe de 14 élèves orientés en unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS). « Dans la classe, il y a l’enseignant coordonnateur, les élèves et moi. J’aide ces derniers en fonction de leurs besoins : écrire, répéter les consignes pour un exercice ou les remobiliser quand ils sont trop dispersés. Je suis à leur entière disposition. »

La Romainvilloise a connu un parcours professionnel atypique. Après avoir fait des études de cinéma options réalisation et production, elle a travaillé pendant 17 ans au Printemps Haussmann. « Ce qui au départ n’était qu’un simple job étudiant est devenu mon métier pendant de longues années. J’ai occupé de nombreux postes dans cette enseigne, j’ai commencé comme caissière pour finir responsable du service relation clientèle au pôle sport. Puis, j’ai craqué et claqué la porte du jour au lendemain. Comme il a fallu que je trouve du travail rapidement, je suis devenue surveillante dans un lycée (Claude-Nicolas-Ledoux aux Pavillons-sous-Bois). » Son implication et sa générosité plaisent : au bout d’un an, elle est propulsée à un poste d’assistante pédagogique, où elle apporte aide et soutien aux élèves en difficulté. « Plusieurs membres de ma famille souffrent d’un handicap, j’y suis très sensible et c’est donc tout naturellement que je me suis ensuite tournée vers le métier d’AESH (AVS, auxiliaire de vie scolaire, à l’époque). » Frédérique a tout appris sur le tas. Sa première formation n’est survenue qu’au bout de trois ans (depuis 2018, les AESH ont droit à 60 heures de formation initiale). Et a dû patienter six ans, et un changement d’établissement scolaire, avant de signer son premier CDI (un contrat auquel les AESH n’ont pu prétendre qu’à partir de 2014 sous l’impulsion de l’ancien président de la République François Hollande). « Au collège Anatole-France, j’ai retrouvé une équipe très chouette, confie l’intéressée. Les AESH essuient parfois le mépris du corps enseignant mais pas moi. J’ai toujours été traitée d’égal à égal. »

« Si demain les enfants avaient affaire à une autre AESH, cela pourrait prendre une tournure dramatique »

Catherine Torres, 55 ans, habite et travaille à Stains (école élémentaire Victor-Hugo).

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Au groupe scolaire Victor-Hugo de Stains où elle intervient depuis maintenant neuf ans, elle est connue comme le loup blanc. Tous les enfants l’appellent par son prénom, Catherine. « Je suis arrivée dans cet établissement scolaire en 2013 côté maternelle et j’ai été basculée sur l’élémentaire en 2019, il y a donc des enfants qui sont aujourd’hui en CM2 et qui me côtoient depuis leur première année de maternelle. Les liens sont d’autant plus forts que je n’ai connu que cette école », raconte-t-elle. Avant ? Catherine était assistante maternelle mais, « après quelques années heureuses », elle a eu envie de changer d’air, « sortir de [son] chez [elle] », où elle a aussi élevé quatre fils, tout en restant dans le champ de la petite enfance. « C’est ma conseillère au Pôle emploi qui m’a parlé du métier d’AESH. Je n’en avais jamais entendu parler. Un poste s’est libéré et je me suis dit ‘’pourquoi pas’’. » Le handicap ? Elle n’y avait jamais été confrontée. « Pour mon premier jour, on m’a accueillie dans une classe et on m’a dit : ‘’Voici Léo’’, l’enfant autiste dont je devais m’occuper alors que je ne savais strictement rien de ce trouble. » Après un rapide entretien avec l’enseignante référente handicap, il convient qu’elle fait l’affaire, mais doit patienter six mois avant de bénéficier de la formation initiale de 60 heures. « Pour certaines collègues, cela a été beaucoup plus long », tente-t-elle de relativiser.

La signature de son premier CDI (ou CUI, contrat unique d’insertion, à l’époque) aussi s’est fait désirer, Catherine se heurtant à des règles administratives ubuesques. « Pour être définitivement embauchée, il fallait avoir travaillé six ans et pas un jour de plus, détaille-t-elle. Après trois contrats consécutifs de deux ans, je pensais être dans les clous mais comme ces contrats ont, à chaque fois, abouti sur des périodes de six mois de chômage, on a considéré que j’avais travaillé 7 ans et demi. » Après un courrier adressé au directeur académique par son binôme enseignant et la directrice de l’école pointant l’ineptie du système, elle finira par obtenir le précieux sésame. A l’école, elle partage son temps entre deux enfants atteints de troubles neurologiques, 8 heures par semaine avec l’un, 16 heures avec l’autre. « Je les suis depuis plusieurs années, on a créé de grandes affinités. Une relation de confiance s’est progressivement mise en place. Ils se sont habitués à moi et ça c’est très important pour leur développement. Si demain ils avaient affaire à une autre AESH, cela pourrait prendre une tournure dramatique. » Catherine touche environ 850 euros nets par mois. Bien sûr, elle aimerait travailler plus pour gagner plus mais ne changerait de métier « pour rien au monde ». « Notre rôle est capital, nous sommes en quelque sorte les garantes de l’inclusion, je réclame juste un peu plus de reconnaissance. »

« Avec les collègues de la ville, c’est en mutualisant nos forces qu’on avancera »

Coumba Thiam, 32 ans, habite et travaille à Epinay-sur-Seine (école élémentaire Victor-Hugo).

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Repenser l’environnement de travail, mettre en place de nouveaux projets éducatifs, mentionner l’humeur du jour (ce qui va, ce qui ne va pas)… Tout ce qui a trait aux deux enfants dont elle s’occupe (Denis et Mohamed) et qui est susceptible d’améliorer leur quotidien, Coumba Thiam le consigne dans son cahier de suivi, précieux vadémécum qui ne la quitte jamais. Cette jeune femme de 32 ans est accompagnante d’élèves en situation de handicap à l’école élémentaire Victor Hugo d’Epinay-sur-Seine. Un métier qu’elle a commencé il y a tout juste trois ans après avoir connu de multiples expériences dans des domaines très différents : serveuse au McDo, engagée volontaire à l’armée de terre en tant que brancardière secouriste ou encore animatrice dans les centres de loisirs. C’est cette dernière activité, qu’elle a exercée pendant une dizaine d’années, qui lui a donné envie de devenir AESH. « Les enfants, leur contact, c’était pour moi une évidence, explique la Spinassienne. Lors de ma dernière année dans l’animation, j’ai accueilli, dans mon groupe déjà constitué d’une trentaine d’enfants, un petit souffrant de troubles autistiques. Le feeling a été immédiat. »
Coumba entame sa carrière en tant qu’AESH en janvier 2019, sans entretien préalable. « Et sans prendre la peine de vérifier si j’étais une malade mentale ou une personne violente avec les enfants. J’ai quand même eu à prouver que mon casier judiciaire était vierge puis on m’a dit : ‘’il faut signer ici, Madame’’. »
Fin mars, elle s’est réengagée pour trois ans à la faveur d’un nouveau CDD. Un renouvellement dont elle est fière même si elle n’entend pas faire carrière dans cette profession. « Il faut énormément de motivation et être forte dans sa tête, fait savoir cette mère de trois enfants. Dans ce métier, on est souvent livré à nous-même et pas assez formé, hormis quelques cours théoriques pas forcément conformes avec la réalité et qu’on oublie le soir même. » Pour « recueillir quelques précieux conseils, devenir meilleure », Coumba souhaiterait aller sur le terrain, dans les IME (institut médico-éducatif), auprès de psychomotriciens, de psychologues, d’orthophonistes. « L’idée, ensuite, serait de faire un partage d’expérience avec mes collègues qui travaillent sur la ville pour leur donner des outils, signale la titulaire d’un bac pro services accueil assistance conseil. Certaines manquent de repères, c’est en mutualisant nos forces qu’on avancera. »

Grégoire Remund
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