A Sevran, le vécu de la Covid par des collégien·ne·s devient podcast
La compagnie de théâtre (S) – Vrai a travaillé pendant une dizaine de jours avec des élèves du collège Evariste-Galois de Sevran et des membres d’une association de seniors sur des ateliers d’écriture, sur fond de dystopie liée à l’épidémie de Covid-19 et de douloureux souvenirs d’enfance. Cette initiative, qui entre dans le cadre du dispositif CARE (la Culture et les Arts pour la Résilience) mis en place par le Département dans son Plan de rebond 2020, a donné lieu à l’enregistrement d’un podcast, le 12 mai dans l’enceinte du collège.
La salle polyvalente du collège Evariste-Galois, à Sevran, est plongée dans un silence de cathédrale. Mohamed règle la hauteur de son micro, souffle un bon coup et s’élance : « Nous allons vous raconter ce que nous avons vécu pendant les dix derniers jours. Nous vous disons ‘’nous’’ mais nous ne sommes que la moitié. […] Nous avons dû diviser nos classes pour une histoire de virus. Mais nous portons les voix des autres. » Sherazad, sa camarade, enchaîne : « Le lundi 3 mai, il faisait assez beau sur le collège Evariste-Galois de Sevran, c’était bien de revenir mais en même temps c’était dur de se lever parce qu’après cinq semaines de confinement, on était un peu fatigués, on avait perdu l’habitude de nous lever tôt. » Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’une séance de psychothérapie de groupe pour traiter les effets de la crise de Covid-19 chez les adolescents. Sherazad, Mohamed et leurs camarades de classe (des 4e du collège sevranais) ont, le 12 mai, restitué à l’oral, et avec un certain sens du jeu et de la formule, dix jours d’atelier d’écriture.
Dix jours sous la houlette de Jana Klein et Stéphane Schoukroun, de la compagnie de théâtre (S) – Vrai, qui à travers leur dispositif « Quartiers/Fictions », leur ont demandé d’imaginer des scénarios de fictions dont ils seraient les personnages principaux et dont l’action se déroulerait dans leur quartier. Un projet qui fait lui-même suite à la création de "Se construire", un spectacle produit par le théâtre de la Poudrerie. « L’objectif principal était, qu’ensemble, les élèves puissent se jouer des représentations médiatiques et des clichés sur les jeunes de banlieue, explique Stéphane Schoukroun, comédien, metteur en scène et créateur de (S) – Vrai, dont l’essentiel des actions est dirigé vers la jeunesse, notamment les établissements scolaires. On leur a proposé des axes dramaturgiques, une sorte de cadavre exquis (jeu qui consiste à commencer une phrase qui sera terminée par les autres, ndlr) puis ils ont eu carte blanche, c’est eux qui ont tout inventé. » Cerise sur le gâteau : cette restitution sous forme de performance théâtrale (les textes sont parfois déclamés tels des slams et les élèves invités à camper des personnages – présentateurs de JT, experts scientifiques, etc.) a fait l’objet d’un enregistrement audio qui donnera lieu à un podcast diffusé sur des web radios locales.
Prendre ses distances avec la réalité
Omniprésente dans leur quotidien depuis plus d’un an, l’épidémie de Covid-19 n’a pas manqué d’inspirer les élèves. Dans leur imagination, celle-ci vire parfois au cauchemar, où le ridicule le dispute à un réalisme inquiétant. « Suite à mes dernières recherches, je peux vous confirmer que la verminelle vient d’une plante, la ‘’verminator dangerosis’’. Le pollen de cette plante se répand dans l’air à une vitesse improbable qui, hélas, attaque les jeunes », déplore Aya qui joue une scientifique invitée dans une émission de radio. « On n’a toujours pas trouvé de vaccins sans effets secondaires, il provoquent des grossissements de la tête », s’inquiète Nazil, autre expert présent sur le plateau. Mais Dylan, qui fait aussi partie de cet aréopage, corrige : « Contre la modique somme de 5000 Krypto la dose (un montant dont très peu de personnes peuvent s’acquitter, ndlr), il est possible de vous faire vacciner entre 2 et 6h du matin dans un laboratoire du 16e arrondissement et d’intégrer ainsi les fameuses bulles VIP », des espaces où l’on peut s’adonner sans restriction à des activités sportives, se rendre à des spectacles et tenir table ouverte en nombre illimité, comme au bon vieux temps. Pour Jana Klein, comédienne et partie prenante du projet avec la compagnie (S) – Vrai, la fiction a ceci de magique qu’elle permet de prendre ses distances avec la réalité pour mieux l’analyser, la moquer ou la réparer. « Cette liberté, où on peut pleinement exprimer ses rêves comme ses frustrations, a plu aux élèves et contribué au fait qu’ils aient facilement adhéré au projet. Tous ont joué le jeu », dit-elle.
Catherine et Ariel aussi ont « joué le jeu ». Ces deux octogénaires membres de l’association municipale Sevran Seniors ont tenu à participer à cette opération (dont le cahier des charges comprend des échanges intergénérationnels), non pas pour se projeter dans le futur comme l’ont fait les ados, mais pour convoquer des souvenirs souvent douloureux et bien réels, eux. Ainsi, Catherine a-t-elle évoqué le refus de ses parents de porter l’étoile jaune pendant la Seconde Guerre mondiale, l’arrestation puis la déportation de sa famille dans les camps de concentration. Ariel, quant à elle, s’est souvenue que son père avait invité à la maison quand elle était petite une rescapée d’Auschwitz afin qu’elle leur raconte son histoire. Des témoignages qui font froid dans le dos mais qui ont retenu l’attention des élèves. Lesquels, une fois l’enregistrement terminé, se sont tournés vers les deux aînées pour en savoir davantage sur la barbarie de la guerre.
Grégoire Remund
Photos : ©Jean-Louis Bellurget
Un exemple de parcours CARE
Cette initiative fait partie du dispositif CARE (la Culture et les Arts pour la Résilience) qui, lui-même, figure dans le Plan de rebond écologique et solidaire 2020 lancé par le Département de la Seine-Saint-Denis. A travers CARE, le Département a souhaité mettre en place des parcours artistiques (une cinquantaine menés dans une vingtaine de villes du département) à destination des habitant·e·s et des professionnel·le·s du territoire qui ont été impacté·e·s par la crise sanitaire et sociale. Les contenus s’élaborent autour des expériences de la crise qui deviennent alors le fil rouge des projets. « L’art est ainsi appréhendé comme un outil fédérateur, un levier de résilience permettant de s’approprier le présent, d’envisager un futur durable et souhaitable et de dessiner de nouveaux possibles », résume-t-on du côté du Département.
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