A Aubervilliers, un HLM à remonter le temps
L’exposition « La Vie HLM » a ouvert ses portes dans des logements sociaux de la Cité Emile Dubois, le 16 octobre. Son concept : restituer ce qu’ont pu être les vies des familles qui les ont occupés à différentes périodes, grâce au travail de recherche des historiens de l’Association pour un Musée du Logement populaire. Seine-Saint-Denis Magazine a suivi les guides aux côtés des 3e du collège Jean-Lurçat de Saint-Denis.
Quel ancien habitant du 7 de la barre « Grosperrin », dans la Cité Emile Dubois d’Aubervilliers, un futur musée du logement populaire devrait-il mettre à l’honneur ? Pour se décider, ce matin du 10 novembre, les élèves et historiens en herbe d’une classe de 3e du lycée Jean Lurçat, à Saint-Denis, doivent farfouiller dans trois grosses boîtes grises. La première renferme des articles de presse, la seconde, des archives municipales, la troisième, des entretiens personnels. Chacune des trois équipes formées doit ensuite extraire de ces documents des informations sur le personnage qui lui a été attribué, et coller les documents sous une frise chronologique accrochée au tableau.
Les trois personnages ont vécu dans des appartements similaires à celui dans lequel nous nous trouvons, qui tient lieu, jusqu’à sa démolition dans le cadre de la rénovation urbaine, de terrain d’enquête à nos 3e, et d’hôte pour l’exposition « La Vie HLM », ouverte depuis le 16 octobre. A l’origine de cette initiative, l’Amulop, association pour un logement populaire, qui poursuit le projet d’adapter en France le « Tenement Museum », un musée new-yorkais, qui raconte la vie des migrants qui y sont passés depuis le XIXe.
Achour, Jeanine, François et moi
Une fois le dépouillement terminé, Aïsseta passe au tableau et raconte, au nom de son équipe, Léna et Charifati, la vie d’Achour Moualed. « Il a trois enfants, Nadia, Rachid et Madjid. Sa femme s’appelle Jeanine. Il est né en Grande Kabylie en 1928, ça on le sait grâce à la liste des électeurs. Il a fait les métiers de câbleur, pompier, et vannier. Il était militant au Parti Communiste Algérien- on a retrouvé dans les boîtes une fiche avec ses timbres de cotisations- et il est mort en Algérie en 1995 ». Elle se retourne pour coller une photo d’époque sous la frise : « Et là il est en petit « date » tranquille avec sa femme Jeanine ».
Au tour de Naël, de raconter l’histoire d’Antoinette, dont on sait qu’elle est née en 1934 à Paris et qu’elle était crémière - « celles qui font le yaourt ! »- et qu’elle vivait, avant la barre Grosperrin, au 156 de la rue de Casanova, grâce aux documents d’attribution du logement trouvés dans les archives de l’OPH. « Avant son HLM, elle n’avait ni gaz, ni poubelle, et on lui dit qu’elle doit désinfecter ses meubles avant de rentrer dans son logement. Et aussi, dans son entretien, elle raconte qu’elle a vu les barricades de 1968 », poursuit Naël. Le troisième personnage est plus connu : François Asensi est désormais maire de la commune de Tremblay. Sous la frise, s’étalent des photos qui le montrent étant jeune, jouant au babyfoot à la MJC, ou participant à une manifestation pour la liberté de la presse. « Il est né à Santander en 1945, puis vit dans le quartier du Landy à partir de 1947. Son père a participé à la guerre d’Espagne. Ils ont du attendre huit ans pour obtenir un HLM », lit Anita. « On voit que l’histoire de ces trois habitants est liée à l’histoire nationale, et même internationale », commente Elodie Paillet, l’enseignante qui anime l’atelier et membre de l’Amulop. A la fin, c’est Jeanine, girlpower oblige, qui emporte les suffrages de la salle.
Une histoire « hors-les-murs »
A la pause, on demande à David Ladent, professeur et organisateur de la sortie, d’amener ses élèves voir cette exposition. « Je suis cette histoire de près depuis cinq ans, parce que mon collègue Cédric David, professeur d’histoire-géographie fait partie de l’association », commence-t-il avant d’être interrompu par Aïsseta : « Oui c’est son BFF » (comprendre son « Best friend for ever »). Le jeune prof, amusé, reprend : « A chaque fois que je les interroge sur leur lieu de vie, c’est au travers de problématiques d’aménagement urbain, qui ne permettent pas de faire le lien avec leur quotidien. Ils ne se disent pas « Et moi, mon bâtiment ». Or je crois qu’une histoire « hors-les-murs » est fondamentale, il faut qu’ils apprennent à voir l’Histoire au travers de l’espace public », plaide David Ladent en manipulant les maquettes en bois de la barre Grosperrin.
Il est temps pour le petit groupe de se diriger vers l’un des appartements de l’exposition, au numéro d’à côté. Asma, une jeune guide, nous fait rentrer dans le salon, où le décor de la famille Marie est reconstitué au moyen d’un gros buffet. Tout comme l’histoire de sa famille, grâce au travail de recherche des membres de l’Amulop. « Bernard Marie travaillait à l’usine Babcock, à La Courneuve, et il habitait à Dammartin et devait tous les jours faire 12 km de vélo avant de prendre les transports à Mitry. Dans sa première lettre de demande de logement social en 1948, il indique qu’il est pupille de la nation- que son père est mort en servant dans l’armée. Les Marie finissent par obtenir leur logement en 1955, parce qu’ils ont trois enfants et que la mère de Bernard, veuve, les a rejoints. Ils passent d’une chambre de bonne à un HLM avec des toilettes, une baignoire, une planche pour pouvoir laver le linge, et surtout, luxe suprême, une chambre séparée pour les parents », déroule Asma.
Gloire et décadence de la Cité Emile Dubois
Dans la pièce voisine, les contours de deux lits sont retracés avec du scotch sur le sol. Sur les murs, des posters de Johnny, de Sheila, un disque de Tino Rossi. Une machine à frisette orange rappelle les couleurs appréciées en ces années 70. Nous sommes dans la chambre de Liliane, Sylviane et Bruno Di Meo. Alma décrit l’ascension sociale que leur a permis de réaliser l’obtention du logement social. Car rapidement, Sylviane devient sténodactylo, et Liliane, comptable. Les trois salaires permettent de mettre de côté pour accéder à la propriété d’une maison. Retour à une réalité moins riante, celle de la dégradation de la résidence, moins entretenue après le choc économique de 75 qui entrave le paiement des loyers, voit poindre l’opposition intergénérationnelle entre les jeunes, au chômage, et les plus âgés, de l’arrivée du métro en 1979, et surtout, le carnage de l’héroïne dans les années 1980.
La troisième et dernière pièce évoque la vie de la famille Soukouna, qui accède elle aussi à un rêve en entrant dans la cité Emile Dubois en 1999. « Ce fut un grand soulagement. Comme si on quittait la brousse, le Moyen-Âge, les rats, pour retourner en ville. Les enfants avaient leur propre chambre », explique Mme Soukouna dans une archive audio. Cette Malienne d’origine, qui s’est mariée très jeune à un homme en situation irrégulière, a passé des années dans un appartement insalubre du Landy avant d’obtenir un HLM. On apprend aussi qu’elle a servi par la suite d’interprète lors de l’occupation de l’université de Cachan par des sans-papiers, et qu’elle fut marquée, en 2005, non par les révoltes de banlieue, mais par les incendies d’immeubles du Landy.
Le début de quelque chose
A la fin de la sortie, et pendant que les jeunes reprennent leurs manteaux pour rentrer au collège, les guides, les profs, et les bénévoles de l’Amulop se concertent déjà autour des ajustements nécessaires à l’exposition pour mieux concerner les publics scolaires. « Il faut qu’on trouve une manière de faire encore plus immersive, qu’on parvienne à aller les chercher », assure Gaïd Andro, une des chercheuses, qui conclut : « On essaye de se perfectionner au maximum, on essaye de théoriser notre modèle opératoire, de remettre en jeu, au travail, le rapport entre la science et la société. On veut avoir un discours construit et une ambition solide pour présenter, à l’avenir, notre projet de musée. Pour nous, c’est le début de quelque chose ».
Elsa Dupré
Photos : Sophie Loubaton
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