« 1,2,3 pensez... », la philo pour tous à Romainville
Depuis 2009, la ville de Romainville a entrepris de populariser la philosophie auprès des enfants à travers sa Maison de la philosophie, qui intervient dans les écoles, les centres sociaux ou encore les médiathèques. Nous sommes allés voir les Socrate en herbe à l’école Fraternité.
« Pourquoi la nature meurt-elle ? » « Pourquoi la nature est-elle belle ? » « La nature, ça a débuté quand ? » Non, ce ne sont pas les énoncés des sujets du bac de philo 2019, mais certaines des questions formulées par les élèves de CE2-CM1-CM2 de l’école Fraternité à Romainville. Chaque vendredi après-midi, sur le temps périscolaire, ces « penseurs volontaires » se réunissent pendant une heure avec une animatrice de la Maison de la philo de Romainville pour réfléchir ensemble et apprendre à se poser les bonnes questions.
Apparue sur le tard en France par rapport à d’autres pays, la « philosophie pour enfants » a été développée à Romainville par Johanna Hawken, une jeune étudiante débarquée en 2009 au centre social Nelson-Mandela, qui cherchait alors à lancer ce concept à titre expérimental.
Dix ans plus tard, on n’a jamais autant philosophé à Romainville puisque les désormais 8 ambassadrices de la Maison de la philo interviennent non seulement dans les centres sociaux, mais aussi les écoles, certains collèges et même le cinéma. A tel point que les ateliers hors temps scolaire vont passer en septembre 2019 de la médiathèque Romain-Rolland à une nouvelle Maison de la philo, qui ouvrira ses portes à côté de la mairie. « Le but, c’est vraiment de démocratiser un maximum la philosophie, de faire comprendre à ces enfants que les mots, les concepts sont aussi leur patrimoine », exposait Johanna Hawken, qui a même consacré sa thèse universitaire à son expérience à Romainville.
Vendredi, les élèves de Fraternité s’étaient en tout cas déjà bien approprié un sujet, proposé par l’intervenante Julia Duñach : la nature. « Parce qu’ils m’en avaient déjà parlé durant l’année et parce que j’essaie toujours de partir de leurs centres d’intérêt, en l’occurrence les animaux, très présents dans l’imaginaire enfantin », argumente cette étudiante à Paris-I, animatrice de la Maison de la philo depuis 2 ans.
Après un premier tour de chauffe au sein d’un cercle composé de 10 penseurs arrive le moment de la bulle à questions, où chaque élève énonce une question qu’on pourrait se poser à propos du concept étudié. Un petit rituel aide pour cela à briser la glace : après avoir lancé son traditionnel « 1,2,3 pensez », Julia fait circuler dans l’assistance le bâton de parole. « Ce sont des petits repères qui favorisent à la fois la concentration et l’écoute », explique la jeune femme souriante. Il faut croire que ça marche puisque très vite les élèves lancent des questions pertinentes. « Pourquoi la nature est-elle belle ? », s’interroge Aïssata l’esthète. « Pourquoi détruisons-nous la nature ? », se questionne Haby l’écolo. « Est-ce qu’il y a des animaux qu’on ne connaît pas encore ? », se demande Eliott le curieux. Et l’inévitable « Comment la nature a-t-elle été faite ? » ne tarde pas à surgir. Pas mal du tout pour des enfants de 8 ans…
Plus étonnant, quand Julia l’intervenante leur demande à son tour de quoi est composée la nature, les réponses fusent : « les animaux, les fleurs, les éléments, les saisons ». Mais « l’homme » reste étrangement absent. Le signe d’une génération qui nous considère déjà comme des sortes de cyborgs, extérieurs à la nature tant nous l’avons malmenée ? Il faut attendre un moment avant qu’une petite voix n’avance « les humains ».
Ce qui permet à Julia de faire la transition avec la question suivante : « Est-ce que les humains ont besoin de la nature ? » Bousculade dans le cercle, tout le monde ou presque veut le bâton de parole. « Oui, répond Haby, mais ils s’en servent tellement qu’ils la détruisent » « Oui, parce qu’on en a besoin pour manger et pour vivre. Et en même temps non, parce qu’avec les appareils électroniques, bientôt on pourra appuyer sur un bouton et aller au MacDo », répond Alexandre en parfait dialecticien.
L’heure tourne. Après un dernier tour d’opinions sur la place de l’homme dans la nature, tout le monde tombe finalement d’accord sur cette affirmation : « si la nature n’avait jamais existé, on ne serait pas là ».
Les dix rangent les chaises dans un calme étonnant pour un vendredi après-midi. Alexandre poursuit sur sa lancée : « Ça m’a intéressé, ce thème de la nature. Mais je préfère encore le thème de l’infini : le très grand et le très petit, je veux savoir ce qu’il y a après », dit-il dans un vertige. Cindy elle retient l’idée que l’homme n’est pas au-dessus de la nature. « J’aime bien me poser des questions et en parler avec les autres. », glisse-t-elle tout doucement.
Julia Duñach aussi a le sourire : « Ces ateliers visent avant tout à favoriser l’écoute mutuelle et à amener les enfants à cultiver un étonnement vis-a-vis des grandes questions qui les touchent. Je trouve qu’ils y arrivent plutôt bien… »
L’atelier se conclut sur un petit jeu destiné à préparer les séances suivantes. Nos dix cartésiens en herbe doivent chacun entourer 5 concepts qui les intéresseraient en vue des prochaines séances. Au petit sondage des concepts les plus fascinants, le rêve et la guerre l’emportaient... Signe des temps ?
Christophe Lehousse
- Gisèle de verre, de Béatrice Alemagna. L’histoire d’une petite fille transparente dont on voit toutes les pensées.
- Je me demande, de Jostein Gaarder. L’amour, la liberté, la mort : toutes les grandes questions de l’existence formulées par un enfant.
- Les livres d’Anne Herbauts- Cette auteure belge s’est fait connaître par des ouvrages sensibles et poétiques comme « Que fait la lune, la nuit ? » ou « Et trois corneilles… » récompensé au Salon du Livre Jeunesse de Seine-Saint-Denis
A lire aussi, « La philo pour enfants expliquée aux adultes », livre de Johanna Hawken sur son expérience riche de 10 ans à la Maison de la philo de Romainville.
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