Nadir Dendoune : Des cités aux cimes
Journaliste originaire de l’Ile-Saint-Denis, ce touche-à-tout a la bougeotte : il a bouclé un tour du monde à vélo, vécu en Australie et gravi l’Everest en 2008. Huit ans plus tard, un film racontant cette folle épopée - L’Ascension - sort en salles le 25 janvier. Sourires garantis.
« Je n’arrive jamais à me souvenir si à la fin, le mec meurt ou pas… » En ce matin de projection presse avant la sortie du film en salles le 25 janvier, Nadir Dendoune est d’humeur rigolarde. Comme son personnage du reste, interprété à l’écran par Ahmed Sylla. Qu’on se rassure tout de suite : l’histoire finit bien. Et pour cause : l’homme à l’origine de tout ça est devant nous, pugnace et déterminé comme à son habitude. Le 25 mai 2008, Nadir Dendoune, enfant de la cité Maurice-Thorez à l’Ile-Saint-Denis, dompte l’Everest. Le Franco-Algérien, qui au passage a aussi acquis la nationalité australienne après un séjour aux antipodes de 7 ans, racontera cette aventure hors du commun dans « Un tocard sur le toit du monde », avec la passion et l’humour qui le caractérisent. Huit ans plus tard, au moment où sort le film inspiré de son récit, le journaliste indépendant n’a rien perdu de son mordant pour défendre les causes qui lui tiennent à coeur : l’image de la Seine-Saint-Denis, la Palestine, le combat du pot de terre contre le pot de fer. Interview.
« L’Ascension », c’est la preuve par l’image qu’avec de la volonté, on peut gravir des montagnes…
« Je serais plus nuancé. La phrase « Quand on veut, on peut » est souvent utilisée par ceux qui ont toujours tout eu et qui souhaitent culpabiliser ceux qui n’arrivent pas à s’en sortir. Moi j’ai plutôt envie de dire « quand on veut on peut, à condition d’avoir de la chance ou de rencontrer les bonnes personnes ». La vérité, c’est qu’aujourd’hui, si on vient d’une cité, si on a zéro réseau, il faut en faire dix fois plus si on veut s’en sortir, et ça, ce n’est pas normal. Je ne voudrais pas être utilisé par certains pour jeter l’opprobre sur d’autres. »
En tout cas, on va dire que ça incite tous les jeunes à qui on dit qu’ils n’ont pas assez d’expérience à s’entêter, à aller au bout de leurs rêves…
« Mais parce que t’as pas d’autre choix, quand tu viens d’un quartier ! D’un quartier ou d’une cambrousse d’ailleurs, ne les oublions pas. Parce que là-bas, dans des endroits délaissés par les services publics et mal desservis par les transports, c’est pas facile non plus. Donc oui, t’as pas d’autre choix que d’être débrouillard. Moi, quand j’ai eu l’opportunité de rejoindre une expédition pour faire l’Everest, on m’a demandé un CV. Vous pensez bien que j’ai pas laissé passer cette chance : je suis allé à la bibliothèque et j’ai couché deux trois noms de montagnes sur le papier qui faisaient bien sérieux. Mais je l’ai fait parce que je me sentais capable d’arriver au bout de l’Everest. »
En 2008, quand vous choisissez d’escalader le toit du monde, quelle est votre motivation ?
« L’amour… Non je rigole, ça c’est un ajout du film. Je précise d’ailleurs que je suis heureux que la production ait finalement retenu mon idée initiale de faire de mon ascension une histoire d’amour : je voulais un truc universel. Mais plus sérieusement, j’ai toujours été quelqu’un de très politisé et je rends hommage aux plus grands de mon quartier ainsi qu’à mon frère qui m’ont très vite fait comprendre que tout était politique. Donc, je suis très content que des mecs des cités réussissent dans le foot ou dans le rap, mais je ne veux pas non plus qu’on nous cantonne à ça. On doit avoir notre place partout.
Quand un pote à moi - un Népalais que j’avais hébergé à son passage en France- qui dirigeait une agence de trek, m’a mis dans la tête que j’avais peut-être les capacités d’aller gravir l’Everest, l’idée a fait son chemin. Je me suis dit : pourquoi pas montrer qu’un Arabe des banlieues peut aussi faire de l’alpinisme, un sport réservé aux élites riches et souvent blanches ? C’est ça mon kif : essayer de casser des barrières mentales et sociales. »
Pour reparler un peu de votre ascension, comment c’est là-haut et comment avez-vous fait pour y arriver du premier coup, ce qui n’est pas si fréquent ?
« C’est très dur. Franchement, après cette ascension, la montagne, je ne voulais plus en entendre parler. Ce n’est que bien plus tard que j’ai réédité l’expérience, en montant d’abord le Mont-Blanc puis le Kilimandjaro. C’est dur physiquement et mentalement. A partir de 5400m, le manque d’oxygène fait que chaque geste devient compliqué. Et à partir du camp 4 - à 8000 m - j’ai vraiment commencé à comprendre que c’était dangereux. Mais je n’avais pas d’autre choix que de continuer : je n’avais pas les moyens financiers de le retenter une deuxième fois. Et puis, comme souvent dans ce que j’entreprends, j’étais poussé par une rage intérieure. Vous savez, quand on est un fils de colonisé et non pas d’immigré - la nuance est importante car mon père est arrivé d’Algérie sans visa, l’Algérie était française, comme l’aurait fait un Basque de Bayonne, en tant que citoyen de seconde zone - on est animé par une certaine revanche sociale. Je n’ai pas honte de dire que c’est ce qui me pousse encore souvent aujourd’hui, avec l’amour de mes parents. »
Quand vous êtes arrivé au sommet, vous avez immortalisé l’instant avec un 93 en forme de coeur. La Seine-Saint-Denis, c’est vraiment une partie forte de votre identité ?
« Oui, à 100 %. Quand on me demande d’où je viens, je dis en priorité que je suis un banlieusard du 93. Franchement, en Seine-Saint-Denis, il y a des choses que je n’ai pas retrouvées ailleurs, et pourtant j’ai pas mal bourlingué : le partage, la solidarité, la fraternité, le sens de l’humour… Tout ça fait une communauté de valeurs dont je suis fier. D’ailleurs, c’est toutes ces valeurs qu’avec Laurence (Lascary, la productrice de L’Ascension, ndlr) on a voulu transmettre dans le film. »
Vous aviez plusieurs propositions pour adapter le livre racontant votre ascension. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers DACP, une petite maison de production basée à Saint-Denis ?
« Déjà, c’est Laurence qui m’a contacté. Elle n’avait jamais produit de film de sa vie et ça s’est tout de suite vu qu’elle allait tout faire pour mener à bien son projet. Ça n’a pas été simple pour elle et il faut lui rendre hommage. Ce film existe en très grande partie grâce à elle. Laurence est femme dans un milieu d’hommes, noire dans un milieu de blancs, d’origine modeste dans un milieu bourgeois… Tout comme moi, elle n’en peut plus de tous ces clichés véhiculés sur les habitants des quartiers populaires. Et puis, le nom de sa boîte de production « De l’autre côté du périph’ » dit déjà tout. C’est la conviction qu’ici aussi, on peut faire des choses bien et qu’on n’a pas à se cacher. »
C’est vous qui avez choisi le comédien Ahmed Sylla pour vous incarner ?
« Non, c’est la production et le réalisateur, comme c’est souvent le cas d’ailleurs. C’est vrai que j’aurais préféré un Arabe pour jouer mon rôle. D’abord parce que ça aurait davantage reflété la réalité et puis, parce que les Arabes sont tellement stigmatisés en ce moment qu’un rôle un peu positif, ça nous aurait fait du bien. Les amalgames actuels entre Arabes, musulmans et terroristes sont tellement flippants… Mais bon, pour une fois que dans ce milieu, quelqu’un s’impose au mérite, sans piston, on ne va pas s’en plaindre. Et au final, c’est un bon choix : Ahmed Sylla est excellent, il porte le film. »
J’imagine que c’est la même logique qui explique que dans le film, votre personnage est originaire de La Courneuve et pas de l’Ile-Saint-Denis...
« Oui sans doute. Tout le monde connaît les 4000 de la Courneuve, surtout depuis que Sarko est venu y faire son numéro en affirmant qu’il allait passer tout ça au kärcher. C’est devenu le symbole d’un urbanisme daté, mais aussi d’une certaine fierté. Moi, ce qui me plaît vraiment dans le film, c’est ce côté « feel good movie » : il transmet cette fierté et cette énergie des quartiers. J’en peux plus des films apocalyptiques ou misérabilistes sur la banlieue, encore plus quand ils sont faits par des gens pourtant issus de ces mêmes quartiers… »
Vous parliez tout à l’heure de chance et de rencontres. Vous, qui vous a aidé à croire en vous ?
« Plusieurs personnes. Evidemment, il y a mes parents, mes sept frangines, mon frère. Et puis, il y a des types phénoménaux, comme Salah Ouarti, un mec (il est devenu par la suite animateur) qui a eu l’idée géniale d’ouvrir la première salle de quartier en bas des tours de ma cité Maurice-Thorez, à l’Ile-Saint-Denis. Grâce à lui, on a découvert plein de choses : c’est lui qui nous a emmenés la première fois dans un musée, j’ai lu mon premier bouquin grâce à lui, il m’a ouvert les yeux sur un tas de trucs. En 1992, après avoir vu un « Ushuaïa » à la télé consacré à l’Australie, c’est vers lui qu’on s’est tournés avec mon pote Yannick pour lui dire qu’on se serait bien barrés aux antipodes. Si à ce moment-là, il n’avait pas été là pour nous dire que c’était faisable, va savoir où je serais maintenant...
Pourquoi avez-vous décidé de devenir journaliste ?
« Là encore, c’est une rencontre en 2004. Cette fois-ci, une nana. Elle me voyait trop en journaliste. C’est qui m’a conseillé de postuler au CFJ. Une école prestigieuse de journalisme parisienne qui proposait à l’époque une bourse pour des « profils atypiques ». Je me souviens encore de mon passage devant le jury. On m’avait demandé ce que je pensais du traitement de la banlieue dans les médias. Et, bien entendu, je leur ai dit ce que je pensais, que le traitement médiatique à l’encontre des banlieues ne valait pas grand chose. J’ai cru que je ne serais jamais pris. Le CFJ m’a donné tort. J’ai passé deux super années à apprendre plein de trucs et surtout à me décomplexer vis-à-vis de cette élite bourgeoise. Je ne bosse plus pour les gros médias : pas assez docile. Dans ce pays, la liberté d’expression est à géométrie variable... »
C’est quoi votre prochain défi ?
« En allant sur le tournage de L’Ascension, ça m’a donné des idées. J’ai déjà réalisé deux documentaires (sur la Palestine, ndlr), mais encore jamais de fiction. Il y a tellement d’histoires à raconter. J’en ai marre que ce soit toujours les autres qui les racontent : c’est à notre tour désormais. Le long-métrage que je veux faire, qui reste un projet et qui peut-être ne verra jamais le jour, ne parlera peut-être pas directement de la Seine-Saint-Denis, mais en tout cas d’engagement et de luttes. Et je veux montrer qu’on peut faire tout ça, d’une autre manière, sans jamais courber l’échine.
Propos recueillis par Christophe Lehousse
N.B : "L’Ascension", réalisé par Ludovic Bernard, sera diffusé en avant-première le vendredi 20 janvier au MK2 bibliothèque à 14h30
1972- Naissance à l’Ile-Saint-Denis
1994-2001- Vit en Australie
2002 - Tour du monde à vélo contre le sida
2007- « Lettre ouverte à un fils d’immigré »
25 mai 2008- Atteint le sommet de l’Everest
25 janvier 2016- Sortie de « L’Ascension », inspiré de « Un tocard sur le toit du monde »
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