Houda Benyamina, la divine surprise de Cannes
Lundi 5 septembre, la réalisatrice Houda Benyamina était au cinéma Jacques-Tati de Tremblay pour y présenter « Divines », son premier long-métrage récompensé au dernier festival de Cannes par la Caméra d’or. Cette grande histoire d’amitié et d’amour sur fond de banlieues a été largement tournée en Seine-Saint-Denis, et notamment à Montreuil.
Au moment de donner un titre à votre film, vous avez paraît-il hésité entre « Divines » et « Bâtarde ». Pourquoi le premier l’a-t-il finalement emporté ?
« Avec mon producteur, on avait choisi « Bâtarde » par défaut, mais on n’était pas franchement convaincus. J’avais envie d’un titre plus lumineux, plus ouvert. Et comme je voulais aussi que la féminité soit associée dans mon film à la divinité, le deuxième titre s’est imposé. Le sacré, le divin tiennent vraiment une grande place dans cette oeuvre et il fallait que ça ressorte. »
Pour ce qui est de la religion, on a l’impression que vous vous attachez surtout dans ce film à montrer que ses enseignements moraux n’ont pas prise sur la réalité…
« La spiritualité tient une grande place dans ma vie. Je voulais aussi faire un film sur la rédemption. Mais c’est vrai, la religion dans mon film est par certains égards impuissante à freiner la chute des personnages. Le père de Maïmouna, qui est imam, est par exemple très déconnecté de la réalité. Il est dans une vie spirituelle qui est pas en prise avec l’adolescence et ses problématiques. »
C’est aussi un film féministe, dont les trois rôles principaux sont tenus par des jeunes femmes. C’est votre manière de répondre au machisme habituel des banlieues, où ce sont malheureusement plutôt les hommes qui font la loi ?
« Je ne crois pas que dans les cités, ce soient majoritairement les hommes qui fassent la loi. C’est une idée reçue. Moi, je suis née et j’ai grandi dans une cité de Viry-Châtillon, en face de la Grande Borne, dans l’Essonne, et j’étais une terreur. Je me battais presque tous les jours, et la plupart du temps contre des garçons. »
Votre film raconte la soif de reconnaissance d’un personnage, sa quête d’un absolu qui chez elle prend la forme de la richesse matérielle…
« En fait, je crois que le problème principal de ma protagoniste, c’est l’absence de rêves. Ou pour le dire autrement, Dounia a un rêve mais elle ne choisit pas le bon. Elle rêve de dignité, mais elle n’a pas les bons moyens pour l’atteindre... »
Ce n’est pas non plus l’école qui lui donne ces moyens…
« Non effectivement. J’ai eu moi-même une relation assez contrariée à l’école. Au collège, des gens ont cru en moi, mais pas forcément des profs. Un surveillant oui, qui m’a encouragé à poursuivre dans la veine artistique. Mais c’est un fait que l’école aujourd’hui n’assure plus sa fonction d’ascenseur social. Et pour certains jeunes, voir leurs frères et sœurs échouer en faisant des études ne leur donne pas non plus énormément d’espoirs dans l’institution. »
Forcément, si réussir pour eux signifie devenir millionnaire, l’école n’est pas faite pour ça…
« Bien sûr qu’il y a une confusion au niveau des valeurs chez ces jeunes, mais sans parler de ça, l’école aujourd’hui ne joue plus son rôle. Il y a un manque criant de moyens et beaucoup d’enseignants passent 80 % de leur temps à faire de la discipline. »
Vous dites aussi que les émeutes de banlieues de 2005, parties de Clichy-sous-Bois, vous ont largement inspirée pour ce film. 11 ans après, qu’est-ce qui a changé ?
« C’est pire selon moi. Les quartiers populaires sont encore plus isolés, appauvris et privés de mixité sociale qu’il ne l’étaient il y a 11 ans. On a vraiment parfois l’impression d’un pays dans le pays. A force d’humilier les gens, de les laisser dans leur colère, de ne pas leur donner de reconnaissance, on crée des monstres. »
C’est cette colère que vous racontez à travers le personnage de Dounia ?
« Oui. Je pense qu’il y a aujourd’hui une jeunesse qui n’a rien à perdre et qui, parce qu’elle se sent en dehors de tout, cède à des gens qui vont leur donner une estime d’eux-mêmes, faire mine de leur redonner un honneur perdu. La radicalisation, c’est aussi beaucoup une histoire d’egos. Mon personnage principal lui ne cède pas aux sirènes de l’extrémisme religieux, mais de l’argent. N’empêche : nul homme n’est libre s’il ne sait maîtriser sa colère, comme disait Epictète. »
Vous avez beaucoup tourné à Montreuil. Pourquoi Montreuil ?
« J’ai visité pratiquement toutes les cités d’Ile-de-France pour le film. Parmi celles-ci, la cité de la Noue me semblait vraiment convenir parce qu’elle contient pas mal de soupiraux et j’avais besoin de ce mouvement de haut en bas pour mon film. Et puis, avec ses murs très abîmés, laissés à l’abandon, comme un vieux pain rongé, elle disait beaucoup de choses sur l’état de notre société. »
Les scènes dans le bidonville ont aussi été tournées à Montreuil ?
« Oui. On ne voit pas souvent de bidonvilles dans les films et moi je veux que mon cinéma reflète la réalité. Les camps de Roms disent beaucoup de choses sur la paupérisation de notre société. Avant, le pire qui pouvait t’arriver, c’était de vivre dans une cité. Maintenant, il y a encore plus pauvre : les bidonvilles. Et croire qu’il n’y a que des Roms qui vivraient dans ces endroits est totalement faux : il y a des Français, des Maghrébins, des migrants d’un peu partout. C’est ce monde-là que je veux aussi donner à voir, ce monde des exclus, des laissés pour compte. Parler seulement des banlieues ne m’intéresse pas. Car la pauvreté en France englobe aujourd’hui bien plus que les seules banlieues : des zones rurales, des zones périurbaines où les inégalités s’accroissent. »
Pourquoi avez-vous choisi la voie de la fiction et pas celle du documentaire pour rendre compte de cette réalité ?
« Le documentaire, ça ne m’intéresse pas. Je ne suis pas sociologue. Moi j’aime le cinéma, les grands sentiments, la dimension romanesque. J’aime avant tout l’outil cinématographique au service du sens. »
Il y a deux ans, vous étiez déjà venue présenter un de vos court-métrages à des classes de Saint-Denis. Quel regard portez-vous sur la Seine-Saint-Denis ? C’est un département souvent stigmatisé dans les médias…
« Vous savez, pas plus que le 91 où j’ai grandi. Et puis, les médias sont comme ça par essence : ils parlent avant tout de ce qui va mal. C’est un peu vain de le leur reprocher. En revanche, ce que je peux vous dire, c’est que la Seine-Saint-Denis est un département plutôt bien aidé au niveau du cinéma. Il y a beaucoup d’aides à la création, y compris pour de tout jeunes réalisateurs. Et puis, il y a de bons festivals. »
Un de vos combats, c’est aussi l’accès de la diversité au monde du cinéma que vous considérez comme trop fermé. Vous avez d’ailleurs créé une association, « Les 1000 visages », qui œuvre pour l’ouverture des arts et spectacles à tous. Vous êtes pour la discrimination positive ?
« Oui effectivement, j’y suis favorable. Ethnique, mais surtout sociale. Aujourd’hui, il n’y a quasiment pas de gens des classes très populaires dans le monde du cinéma. Alors oui, ça change, mais doucement. Or on n’a pas le temps d’attendre que les mentalités évoluent et de faire encore des générations de sacrifiés. Il faut un coup de pouce qui à mon sens peut être apporté par la discrimination positive. »
Ce plafond de verre, vous vous y êtes heurtée vous-même ?
« Oui. Quand on nous a reproché de faire un énième film de banlieue, on peut considérer ça comme un manque d’ouverture. Est-ce que ça viendrait à l’esprit de quelqu’un de dire à un réalisateur qui veut faire un film se déroulant à Paris, « c’est encore un film parisien » ?
Propos recueillis par Christophe Lehousse
A noter que « Divines » sera également projeté le jeudi 8 septembre au Ciné 104 de Pantin (20h15) et le vendredi 9 à l’Espace 1789 de Saint-Ouen, cette fois-ci en présence de l’actrice principale Oulaya Amamra et de Romain Compingt, co-scénariste du film (19h30).
Le précédent court-métrage d’Houda Benyamina s’appelait déjà « Sur la route du paradis ». Avec « Divines », rodéo chaotique de deux jeunes filles des cités, on retrouve cette idée de perdition et de rédemption. Mais pour Dounia, adolescente désorientée et en constante rébellion, la route vers le paradis semble encore longue. Avec sa copine Maïmouna, cette jeune fille pétillante de vie, mais engluée dans un horizon apparemment sans perspectives, s’interroge sur le sens à donner à sa vie. Sans véritables référents - ni famille, ni école - Dounia est obligée de s’inventer ce sens toute seule et croit l’avoir trouvé en la personne de Rebecca, dealeuse de sa cité menant la grande vie. Seulement, la protagoniste, remarquablement incarnée par Oulaya Amamra, la petite sœur de la réalisatrice, va vite comprendre qu’à ce petit jeu-là, on risque de se brûler les ailes. Récompensé par la Caméra d’Or au dernier festival de Cannes, le premier long-métrage d’Houda Benyamina, réalisatrice franco-marocaine ayant grandi à Viry-Châtillon, nous livre une puissante histoire d’amour et d’amitié. Lyrique, métaphysique par moments, avec ses grandes contre-plongées sur le ciel de la banlieue et ses allées et venues constantes entre cintres du théâtre et soupiraux de la cité, entre mondes du haut et du bas, il constitue un récit initiatique aux airs de tragédie grecque. Celui d’une jeune fille en lutte avec ses propres contradictions.
CL
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