Virginie Martin, sage-femme : « J’aurais voulu pouvoir aider davantage... »
Il est facteur, elle est pharmacienne, il est chauffeur routier, elle est sage-femme. Tou·te·s opèrent en Seine-Saint-Denis. Et tou·te·s, malgré les mesures de confinement prises contre la pandémie de coronavirus, se sont rendus chaque jour sur leur lieu de travail pour maintenir le fonctionnement du pays. Pour Le Mag de Seine-Saint-Denis, ils et elles racontent leur quotidien d’"inconfinables".
Virginie Martin est sage-femme à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois depuis 2002.
« J’ai le sentiment d’avoir traversé cette période de confinement en ayant été assez privilégiée, enfin c’est comme ça que nous le vivons avec mes collègues sages-femmes de Robert-Ballanger. Pourquoi ? Parce qu’en tant que sage-femme, j’avais l’obligation de rester en maternité en cas de problème, alors que d’autres soignantes allaient régulièrement donner des coups de main au service Covid-19 de l’hôpital et ce qu’elles nous racontaient en revenant nous faisaient nous sentir un peu coupables. En fait, j’aurais voulu pouvoir aider davantage...
En maternité, nous étions comme dans une espèce de petite bulle et même si nous avons fait des heures sup’ pour remplacer des collègues malades, on n’a jamais dû faire face à des journées plus longues. Et nous avons été assez « épargnées » par le virus : au maximum, j’ai dû avoir 3 ou 4 collègues diagnostiquées Covid, quelques-unes aussi qui ont eu des symptômes sans qu’on puisse établir que c’était le virus puisqu’elles n’ont pas eu de test. On ne saura pas, mais on pense que oui...
Physiquement, j’ai bien affronté cette période même si le port du masque au quotidien et en continu a fini par me créer des crampes nocturnes, à cause de la déshydratation. On a beau nous dire « lorsque vous changez de masque, vous buvez » on ne peut boire que toutes les 3 ou 4 heures, faute de matériel suffisant. Ce n’est pas suffisant, surtout lorsqu’on n’arrête pas de courir partout. Donc, depuis la fin du mois d’avril, je ne dors pas ou peu.
Mais, le plus dur, pour moi, aura sûrement été d’affronter la crainte de ramener le virus à la maison. Le soir quand on rentre, on refait le film de la journée, on se demande si on n’a pas fait une erreur... Et puis, c’est encore plus compliqué à vivre lorsqu’on est deux à prendre potentiellement des risques puisque mon mari a aussi continué son travail d’éducateur spécialisé auprès de mineurs. Tous les deux, on a donc dû gérer notre crainte de ramener le virus, tôt ou tard, chez nous tout en gérant nos rapports avec les enfants, en étant moins câlins. Mais, la petite qui a 5 ans, lorsqu’elle se fait mal, elle le veut son câlin ! Alors, si au départ on essaye de prendre un maximum de précautions, on finit par lâcher prise...
Du coup, les quinze premiers jours, lors du pic de l’épidémie, j’allais à Ballanger avec la peur au ventre et je faisais attention à tout : j’avais très peur de tous mes gestes, mais au fur et à mesure du temps, on a, tous, fini par adopter des gestes automatiques. En tout cas, en maternité, comme les masques FFP2 étaient surtout conservés pour les accouchements, j’ai dû rentrer plusieurs fois dans des chambres de patientes Covid sans masque FFP2. C’est évidemment un peu stressant, mais on se dit que c’est comme ça et on avance.
Heureusement, même si dans mon service de maternité à Robert-Ballanger, j’ai eu pas mal de patientes Covid, elles allaient toutes bien. Une seule femme a dû partir en réanimation et a été transférée hors de la maternité.
Après, j’avoue que, psychologiquement pour nous, ça a aussi été difficile parce que les mamans, pendant une longue période, n’ont pas eu le droit de voir le papa tout de suite, pas avant au moins trois jours. Donc, on a dû jouer les psychologues et parfois les assistantes sociales si nécessaire puisque ce sont des personnels qui ne pouvaient plus venir à l’hôpital. Malgré tout, pendant cette période de confinement, j’ai essayé quand même, à côté de mon activité professionnelle et bien sûr de la vie quotidienne avec mes trois enfants, de rester présente au sein de mon club de gym. Je suis vice-présidente d’un club sportif FSGT -lire encadré-, la Gymnastique Sportive de Vaujours et on a maintenu le lien comme on pouvait avec nos licencié·e·s en organisant des petits challenges à distance. C’était comme un espace de respiration au milieu de ces journées compliquées.
Le pire, c’est que rien n’est fini... Je ne suis pas très sereine pour la période du déconfinement qui s’annonce, avec le choix compliqué qui s’impose à moi entre, laisser mes enfants à l’école tous les jours en tant que soignante, ou choisir des jours fixes pour les y amener. Ce qui est impossible lorsqu’on travaille en hôpital. C’est le genre de choix qui te perturbe.
Depuis le début, de toute façon, je vis avec cette angoisse permanente, parce que mes enfants sont allés à l’école en étant en contact avec plein d’autres enfants de soignants qui ont pu être, potentiellement infectés par le Covid-19. Donc, s’il y a un nouveau pic, ça va être encore très dur à affronter au quotidien.
Mais, ce qui est bizarre, au bout du compte, c’est que ces deux derniers mois ont certainement changé mon état d’esprit : j’envisageais de quitter l’hôpital et cette crise du Covid qui aurait pu amplifier mon envie d’aller exercer en libéral me fait maintenant hésiter.
Je me dis que si on part, si on laisse de côté notre vocation, qui va soigner les gens ? »
Engagée dans la vie sportive comme vice-présidente de la Gymnastique Sportive de Vaujours, club affilié à la FSGT 93, Virginie Martin incarne l’un des « Visages de la solidarité » de la Fédération sportive et gymnique du travail qui pendant le confinement a publié depuis début avril sur sa page Facebook, les portraits d’une vingtaine de ses adhérent·e·s engagé·e·s pour la plupart dans la défense du service public et le fonctionnement du pays. « Une manière de montrer que « ces hommes et ces femmes qui s’engagent dans leurs clubs pour un sport populaire, sont aussi ceux qui font tourner la France, explique Clément Rémond, co-président de la FSGT 93. Leur travail, c’est aussi ce qui continue de porter un service public de qualité. »
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