Roberto Alagna, ténor populaire
Pour la première fois, le 10 juin dans le cadre du Festival de Saint-Denis, Roberto Alagna chantera dans le département qui l’a vu naître. Un retour aux sources pour ce ténor mondialement connu, issu d’une famille sicilienne installée à Clichy-sous-Bois.
J’ai fait le test. Dans une rue de Bobigny, j’ai demandé aux passant·e·s de me citer un ou plusieurs ténors. Sans surprise, Pavarotti arrive en tête, mais immédiatement après, le plus régulièrement cité était Roberto Alagna, « celui qui ne se la pète pas, qui chante de l’opéra mais aussi des chansons comme tout le monde », dit Frédéric à un arrêt de bus. Car qu’il chante Massenet, Verdi, Puccini ou Luis Mariano, les traditionnels siciliens, Brel… le public le suit. D’où vient cette popularité, qui fait se presser les afficionados du Bel Canto pour l’écouter aussi bien à l’Opéra de Paris, au Metropolitan Opera de New-York, au Royal Opera House de Londres, au Deutsche Oper de Berlin, autant que les fans de chansons populaires dans les Zéniths de France ou sur le Vieux port de Marseille ?
Sans doute de sa famille. Chez les Alagna, à Clichy-sous-Bois, on chante et on chante de tout. Les goûts de la mère du petit Roberto sont plutôt du côté de l’opéra. Un héritage de la célébrité de la famille, l’oncle Jimmy, qui chantait dans le Little Italy de New-York, et qui était l’ami du légendaire Caruso… Le père de Roberto lui, maçon, écoute toute la journée la radio sur les chantiers. Le soir venu, il reprend à tue-tête tous les succès de la variété française et italienne. « Un véritable juke-box ! s’exclame Roberto Alagna. Il suffit qu’on lui demande une chanson, et c’est parti, quel que soit le moment de la journée. Ce matin encore, je suis passé le voir, il chantait ! Même en poussant son caddie dans un supermarché, il chante. »
A Clichy, lors des réunions de famille, ça ne loupe pas, ça chante. « Ça pouvait partir de rien, raconte Roberto Alagna, mon père tapotait un rythme sur une table, un oncle prenait une mandoline, puis l’un une guitare, l’autre un tambour et ça partait à chanter et jouer pendant des heures… »
Le petit Roberto n’est pas en reste et donne de la voix sans retenue. « Ma mère a des enregistrements de moi vers 4 ans, je chantais en français, en italien, je n’avais pas de problème. Puis vers 7-8 ans, j’ai pris conscience de la chose, je suis devenu très timide et je ne chantais plus devant personne. Seulement devant ma sœur et mon oncle, qui avait mon âge et qui était comme mon frère. C’est tout ! » Au milieu de toute cette joyeuse famille exubérante, de toutes ces voix tonitruantes, le petit Roberto se tait, jusqu’à devenir invisible… « Ma mère filmait souvent nos réunions familiales sur sa caméra Super 8. Tout le monde s’amuse, fait des grimaces à la caméra et moi je suis toujours dans un coin, à regarder la caméra mais on a l’impression que personne ne me voit. » Parce que le chant a tant d’importance pour lui, Roberto se tait de peur de mal faire. Alors qu’il brûle de chanter, il passe des années à se faire oublier, des années qui le marqueront jusqu’à aujourd’hui.
Le soutien des copains
Le salut viendra de l’apprentissage de la guitare. « Cette guitare me protégeait, comme un rempart, elle m’accompagnait, j’étais derrière. Cela m’a permis de prendre confiance en moi. » Alors peu à peu Roberto chante à nouveau. Pour ses copains tout d’abord. « C’était toujours : « Roberto chante-nous ci, chante-nous ça ! » A toutes les occasions, à la mi-temps d’un match de foot je prends ma guitare, je me mets à chanter, eux reprennent derrière moi… » Les copains, lorsqu’on grandit dans une banlieue, avec des parents souvent bien occupés par le travail, l’école aux classes surchargées, c’est un soutien indispensable. C’est auprès d’eux qu’on va chercher l’approbation, la confiance qui manque à un adolescent. « Mes copains, c’était des Maghrébins, des Gitans, des Portugais… On est très loin de la mentalité conservatoire, tout se fait à la sauvage ! Grâce à eux j’apprends des chansons dans d’autres langues. Ça m’a servi au cabaret et même plus tard lorsque j’ai chanté au Liban, à Fez… j’ai chanté des chansons en arabe. J’ai grandi là-dedans et tout m’a nourri. Très vite, ils se sont aperçus de quelque chose. J’avais la confiance de mes potes. Quand je leur disais alors qu’on jouait au baby-foot « Je vous laisse, je vais aller chanter », il ne se foutaient pas de ma gueule. Ils acceptaient, alors que ce n’était pas courant en banlieue. L’un faisait de la boxe, l’autre du karaté, eh bien Roberto il va chanter ! »
Roberto prend confiance, et décide de faire un test auprès de sa mère. Il enregistre des chansons de Johnny Hallyday et lui fait écouter. Réaction : « Oh, il chante bien ce garçon, qui est-ce ? » Gagné ! « A partir de là j’ai pris confiance et de ce petit enfant invisible, je suis devenu le chef de chœur de cette famille. Je disais : « Toi tu vas chanter telle ligne, toi celle-ci… » Roberto ne fait plus que ça et chante où il le peut : pizzerias, cabarets… A dix-sept ans il est déjà professionnel.
Des pizzerias à l’Opéra
Mais pas question d’opéra encore, Roberto ne s’autorise pas à y rêver. Sans avoir été au conservatoire, sans cours et surtout avec cette phrase que tellement de jeunes de Clichy et alentours ont entendu : « Tu sais, ce n’est pas pour nous… » Pourtant, son chemin ne s’arrêtera pas à Clichy, mais presque sans qu’il le veuille. « Je n’ai rien ambitionné. Tout est venu par la force des choses, comme si j’avais un ange gardien qui, à chaque fois que je prenais les chemins de traverse, me remettait sur le droit chemin. D’ailleurs, même mon prof de chant, je ne l’ai pas cherché. Ce sont les musiciens qui m’accompagnaient qui me disaient : « Tu sais Roberto, tu as un défaut, tu chantes trop fort ! » » Ils m’ont envoyé voir Rafaël Ruiz, un Cubain professeur de toute la communauté sud-américaine. Il m’a annoncé : « Tu es ténor ». Je n’y croyais pas. Dans ma famille, il y avait des ténors, et lorsqu’ils chantaient ils faisaient tout trembler ! C’est ce professeur qui a allumé la flamme de l’opéra. »
Sur son conseil, Roberto s’inscrit dans des concours de chant. Après quelque temps, Rafaël Ruiz déclare : « Je ne peux plus rien faire pour toi, il faut que tu ailles apprendre en Italie. » Mais comment faire ? « Si je ne gagne pas d’argent, je ne peux pas vivre ! » se désole Roberto. Ruiz l’inscrit au concours de la fondation de la vocation pour avoir une bourse. Alagna gagne le concours, mais pas la bourse parce qu’il n’avait pas fait le conservatoire ! Il enrage, mais rencontre Gabriel Dussurget (créateur du festival d’Aix-en-Provence) qui lui présente un agent et lui obtiendra ses premières auditions. Autre coup pouce du destin, lors d’une séance de dédicace dans un magasin parisien, Roberto Alagna parvient à échanger quelques mots avec l’illustre Pavarotti. Il Maestro l’invite à participer au concours international qu’il organise, à Philadelphie ! Mais comment faire pour y aller, et se payer le smoking de rigueur ? « Après avoir demandé sans succès de l’aide à la mairie, au ministère de la culture, j’ai vu dans la presse qu’il y avait un concours de chant à Béziers avec un premier prix de 10 000 francs. Pile le montant pour le smoking, les chaussures, la chemise… J’y suis allé, je l’ai remporté et voilà ! Je n’ai jamais cherché les choses, c’est le destin qui m’y a emmené jusqu’à aujourd’hui. »
Le destin, et une bonne dose de travail ! Un cocktail qui lui a permis d’accéder à une carrière sur les plus grandes scènes du monde où sa voix claire, puissante mais pleine de nuances a été appréciée dans les plus grands rôles de l’opéra. Bien sûr il y en eut qui fronçaient les sourcils devant ce jeune homme qui ne sortait d’aucun conservatoire… « Les critiques n’ont pas été tendres avec moi, il a fallu à chaque fois que je prouve, que même si je venais de nulle part, il y avait chez moi quelque chose de valable. » Alors Roberto Alagna chante. Don José, Roméo, le chevalier des Grieux ou Parla piu piano, Mexico, Adieu mon pays, Mon pot’ le gitan, peu importe. « Quand je chante, d’un coup j’existe. J’oublie cette timidité et l’impression de ne pas être à la bonne place. Je chante, et je suis moi. C’est sur scène que je ne joue pas la comédie ! »
Photo : Gregor Hohenberg
"Je dis toujours que le chant est de l’ordre de la prière, alors la très belle basilique Saint-Denis est l’endroit idéal. C’est pour cela que j’ai voulu un programme rattaché au religieux, au sacré." Roberto Alagna chantera L’Enfance du Christ, "Le repos de la Sainte Famille" de Berlioz, mais aussi des extraits de Lohengrin de Wagner. " Ce qui m’a frappé chez Lohengrin, c’est l’image christique que Wagner lui a donné. Il y a beaucoup d’endroits où l’on peut y reconnaître la Bible. Je me suis dit que c’était le moment idéal pour que je le chante pour la première fois en France, dans une basilique."
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