Mieux repérer les femmes victimes de violences

Marie Le Bail, responsable de circonscription sociale, a expérimenté « le questionnement systématique » à Sevran. Un dispositif pour repérer les femmes victimes de violences que le Département souhaite étendre progressivement à tout le territoire.

« A Sevran, nous accueillons habituellement les femmes victimes de violences conjugales en urgence, sans rendez-vous, sans aucun critère. Nous les accompagnons, les orientons. Elles sont une part non négligeable de notre public, comme dans toute circonscription sociale... malheureusement. Nous avons aussi des femmes qui sous couvert d’une demande classique en service social (comme une aide financière), nous demandent comment on engage des démarches de séparation, comment se passe une procédure de divorce. Ce genre de questions nous met en alerte car elles peuvent cacher des demandes plus difficiles à exprimer. Avant de poser la question de la violence à toutes les femmes que nous accueillons, nous avons bénéficié d’un temps de formation par l’Observatoire des violences envers les femmes. Ces échanges nous ont amenés à réfléchir à notre pratique et à la façon d’accueillir la parole de ces femmes et aux dispositifs à mobiliser pour les protéger (ndr : ordonnance de protection, téléphone grave danger, bracelet anti-rapprochement...).

La violence n’est pas que l’agression physique.

Les victimes de violences conjugales ont tendance à banaliser ce qu’elles vivent au quotidien. « Non, mais juste il m’insulte. » « J’ai des pressions mais il ne me tape pas. » Beaucoup pensent que parce qu’on ne tape pas, on n’est pas violent. Mais on peut subir tout un tas de pressions psychologiques, du dénigrement, des processus d’isolement qui sont tout aussi violents que d’être frappée. Le questionnement systématique a permis aussi de déconstruire auprès de ces dames tout ce que leurs agresseurs leur avaient mis dans la tête : « qu’elles étaient de mauvaises mères », « que si elles partaient on allait leur enlever leurs enfants », « que si elles n’avaient pas d’argent, elles ne pourraient pas s’en sortir »... Toutes ces choses-là retiennent les dames de parler.Une démarche bien accueillie.

Après, poser la question ne signifie pas que la personne va s’ouvrir systématiquement sur l’instant. Cela peut être une petite graine qu’on dépose dans l’esprit de la dame et qui va germer. Elle y pensera par la suite et saura au moins où se tourner.

On pensait au départ que les femmes que nous allions interroger pourraient mal le prendre, être choquées ou outrées qu’on pose cette question. Pas du tout. Au contraire, elles ont très bien accueilli notre démarche. Il leur était plus facile de répondre « Oui » que « Bonjour madame, je suis victime de violences conjugales ». Poser la question les a libérées d’un poids. » Une réelle utilité ? Cette expérimentation m’a convaincue de sa réelle utilité. Dans notre travail, le lien de confiance ne s’établit pas au premier rendez-vous. Il se construit dans le temps, au fur et à mesure de l’accompagnement, quand on se connait. En soi, je pense que poser la question constitue peut-être une première pierre pour continuer sur de bonnes bases.

Quatre circonscriptions de service social ont participé de février à avril 2021, à une recherche-action où161 femmes sur les 216 interrogées ont parlé des violences qu’elles subissent ou avaient subi lors de leur entretien avec une assistante sociale.

Mieux comprendre le questionnement systématique

Le questionnement systématique expérimenté en PMI
Les violences conjugales entrainent des troubles d’apprentissage chez l’enfant , c’est pourquoi Isabelle Devanne, psychomotricienne à la PMI de Bondy depuis 1985, interroge toutes les mamans :
« Je m’occupe des enfants qui ont des difficultés de développement. Je ne pose pas directement la question de la violence. Lorsqu’un enfant a des difficultés, je commence par chercher si physiquement il y a quelque chose qui le gêne : « Est-ce qu’il voit bien ? » « Est-ce qu’il entend bien ? » « Est-ce qu’il arrive à bien marcher ? ». Après j’aborde l’aspect psychologique, l’ambiance à la maison. Tout ce qu’on aimerait, c’est avoir une ambiance sympathique, agréable. « On choisit des princes mais il y en a qui se transforment. » Là, soit les mamans rigolent, soit elles disent : « Oui ». Je vais alors plus loin : « Est-ce que monsieur lance des objets ? », « Est-ce qu’il gueule ? », « Est-ce qu’il vous dévalorise ? »

Pour les enfants, il faut savoir que les violences conjugales entrainent des troubles d’apprentissage, de repérage dans l’espace, de concentration, des formes d’autisme. Ces enfants sont plus agités ou en retard. Ils ne sont pas canalisés. Ils ne regardent pas l’adulte. Lorsque les mamans subissent des violences conjugales, elles sont en position de faiblesse, de fatigue, d’épuisement. La mission de la PMI est de les aider. Il faut leur dire que parler ne va pas entrainer des catastrophes, que cela va leur permettre de mieux comprendre les réactions de leurs propres enfants. Pour travailler sur les difficultés scolaires ou comportementales des enfants ce qui est important c’est que l’enfant et la mère soient en sécurité. S’ils continuent à vivre les horreurs, on ne résout rien. »

Le questionnement systématique expérimenté en circonscription sociale
« Dire je suis victime demande beaucoup de courage »
Marie Le Bail, responsable de circonscription sociale, a expérimenté « le questionnement systématique » à Sevran, l’an dernier. Un dispositif pour repérer les femmes victimes de violence que le Département souhaite étendre progressivement à tout le territoire.
« Même si nous avons l’habitude d’accueillir en circonscription de service social, en urgence, des femmes victimes de violences... Je ne pense pas qu’on avait conscience qu’autant de personnes que nous accueillons étaient victimes. Nous nous en doutions un peu mais le questionnement systématique a matérialisé la problématique. Dire je suis victime demande beaucoup de courage et ce n’est que le début d’un long parcours de reconstruction.

La prise en charge se fait toujours en réseau. Les intervenantes sociales du commissariat nous aident à faire les dépôts de plainte car ce n’est pas facile. SOS victimes nous permet de préparer les dossiers d’aide juridictionnelle pour les ordonnances de protection. Les services de psycho-trauma dans les hôpitaux (l’Usap à Ballanger et à Avicenne) prennent en charge mamans et enfants et les assistantes sociales de circonscription s’occupent d’ouvrir des droits, de l’accès au logement. On n’est jamais tout seul. C’est un travail d’équipe et de construction. Il faut être vigilant à une bonne coordination pour pouvoir articuler tout ça. »

Le questionnement systématique dans les associations
« Cela permet d’informer les victimes des dispositifs de protection »
Magali Morales, juriste, reçoit les femmes victimes de violences. Au sein de l’association SOS victimes 93, à Bobigny, elle évalue les situations de danger afin de déclencher les dispositifs Téléphone grave danger (TGD) et les bracelets anti-rapprochement.
« Je ne reçois que des femmes victimes de violences. Si la personne vient après avoir porté plainte, à la suite de violences conjugales physiques, systématiquement je vais lui demander si elle est victime de violences sexuelles, financières. Je l’informe qu’elle peut aussi déposer plainte pour les viols dont elle me fait état, en me décrivant leur vie commune. La police commence aussi à le faire dans les plaintes.

Pour moi le questionnement systématique permet d’informer les victimes des dispositifs qui existent pour les protéger. Le premier palier étant l’ordonnance de protection, qu’il y ait plainte ou pas plainte avec une attestation d’un professionnel qui dit « madame m’a indiqué lors de l’entretien.

Il se trouve que les femmes qui viennent vont au plus pressé. Il y a aussi la honte. Ce qu’elles ont à dire est ignoble, de la barbarie, de l’humiliation. Elles veulent protéger nos oreilles. Elles ne savent pas qu’on est capables d’entendre. Elles ne disent rien car elles imaginent qu’on ne va pas les croire. Avec le questionnement systématique, il y a un travail qui se met en route. Et on ne les lâche pas, avec le réseau associatif, avec les institutions. Quand les traumas sont trop importants je les adresse à des consultations psycho-traumatiques. Lors des entretiens certaines nous révèlent les viols dont elles ont été victimes lorsqu’elles avaient 5 ans. »

Le questionnement systématique à l’hôpital
« En posant la question, un tas de violences conjugales sont désamorcées à la base de la base. »
Cécile Safaris, conseillère conjugale dans les hôpitaux Jean-Verdier à Aulnay-sous-Bois et Avicenne à Bobigny, chargée des entretiens pré-IVG.
« Dans le cadre de l’entretien pré-IVG je demande si la relation sexuelle était consentie. Je n’insiste pas. Il y en a beaucoup qui me disent : « C’est la première fois que j’en parle. » Plein n’ont pas été crues. C’est rare mais il arrive que la famille ne soit pas solidaire avec les filles. On remet les choses en place : l’agresseur c’est l’agresseur et la victime la victime. L’avortement est un moment-clé. Il y a le médecin, la sage-femme, l’infirmière, elles réalisent énormément de choses à cette occasion.
Lors de l’entretien pré-IVG, on fait de la prévention secondaire : on repère les apprentis-violents. Ceux qui surveillent leurs réseaux sociaux, leurs copines, leur téléphone portable, leurs vêtements. Les femmes qu’on reçoit sont jeunes. C’est parfois leur première vie en commun, leur première grossesse. Je demande si elles sont insultées, humiliées, et comment se passent les relations sexuelles. En posant la question, un tas de violences conjugales sont désamorcées à la base de la base.
Il est assez fréquent que l’IVG aboutisse à une rupture. Pour ces jeunes femmes qui n’ont pas beaucoup d’année de vie commune, il est plus facile de se défaire de la relation. Quand elles vont avorter, elles vont avorter de leur relation. Celles qui vivent des violences et ont déjà des enfants, je les adresse à Isabelle Devanne psychomotricienne à la PMI de Bondy. »

Quelles sont les solutions pour protéger les femmes victimes de violences ?

Logement à long terme
« La convention Un Toit pour elle permet de faire déménager les femmes sur du logement pérenne. Le dispositif fonctionne hyper bien. Il y a un engagement des bailleurs, des villes. »
Consultation trauma
« Il y a l’Usap à Aulnay (Unité spécialisée d’accompagnement du psychotraumatisme), l’Institut de victimologie rue Richerand à Paris, les centres médico-sociaux de Saint-Denis, Montreuil et Noisy-le-Sec qui proposent aussi des consultations de victimologie. Ils proposent de l’hypnose, PCC, EMDR, les victimes ont le choix. Il y a aussi les travailleurs sociaux et les psychologues dans les commissariats de police qui sont d’excellents relais. Ils sont très formés aux traumas et ne sont pas assujettis à la plainte. »
La loi
« 1 - L’OP ou ordonnance de protection fixe une première interdiction à l’agresseur. Soit elle est respectée, soit il faut déposer plainte.
2 - Le deuxième palier pour protéger les femmes est l’attribution d’un téléphone grand danger. Ce n’est pas qu’un téléphone, c’est une condamnation qui donne lieu à tout un suivi police/justice assez strict de l’agresseur jusqu’à la fin. Et pour les dames qui sont épuisées ça leur redonne de l’espoir, car elles se sentent entendues. Ce travail sur l’éloignement est réalisé avec l’Observatoire des violences et comprend une prise en charge global.
3 - le dernier palier c’est le BAR, un dispositif très récent qui condamne l’agresseur à l’obligation de porter un bracelet anti-rapprochement. »
Le réseau associatif & institutionnel
« C’est la force de ce département où les institutions travaillent en partenariat pour orienter les femmes victimes de violence : le tribunal, les services sociaux, les éducateurs, les médecins de PMI, le Mouvement français du Planning familial, le CIDFF (Centre d’information des droits des femmes et des familles) à Saint-Denis, l’association SOS victimes 93 et l’Observatoire départemental des violences envers les femmes. »

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