Maison Frateli à Saint-Denis : « logement étudiant contre action sociale »
L’association Frateli vient d’ouvrir sa troisième « maison » à Saint-Denis. Le programme consiste à proposer à de jeunes étudiants boursiers des studios, en contrepartie desquels ils doivent mener des projets sociaux, accompagnés par des « mentors » issus de grandes entreprises.
Il est dix-huit heures et il fait déjà nuit, sur cette avancée de terre qui sépare la Seine du canal de Saint-Denis. Dans un paysage encore en chantier, s’élève un bâtiment constitué de gros cubes gris anthracite, mouchetés de petites fenêtres illuminées. Ici, rue des Confluences à Saint-Denis, 164 logements étudiants sont sortis de terre en août. Après avoir passé l’énorme damier de boîtes aux lettres, on se dirige vers une salle, au rez-de-chaussée, où la lumière, les canapés et les chaises invitent aux réunions. Nikos, Léonide, Noam, Ophélie... A partir de 18h30, une floppée de jeunes arrive au compte-gouttes et rejoint Thibaut, l’animateur, aujourd’hui, de la réunion hebdomadaire des bénéficiaires du dispositif de l’association Frateli.
40 logements sont réservés, dans ce bâtiment, aux personnes sélectionnées par Frateli, qui a passé un deal avec le promoteur, ARPEJ. Ces personnes ont moins de 26 ans, doivent être boursiers, et payent le même loyer modéré que les résidents lambda- entre 440 et 470 euros pour des chambres de 19 à 24 mètres carrés. Mais la contrepartie de ce coupe-file est de donner de son temps personnel à la réalisation d’un projet à but social pour les habitants du quartier.
L’association Frateli est historiquement basée sur le mentorat : fournir à des personnes sans réseau des tuteurs professionnels afin de les aider à s’orienter, puis les accompagner dans leur scolarité, afin de déjouer les mécanismes de reproduction sociale. Le même type de suivi est donc proposé pour le programme "maison" de l’association. Chaque semaine, les étudiants résidents doivent suivre des formations sur des outils d’aide à la réalisation de projets. Puis ils sont accompagnés par des professionnels en entreprises, avec qui la fondation Frateli a des liens étroits. Elle compte notamment dans sa direction des dirigeants des banques Goldman Sachs et JP Morgan, ou encore du géant de l’armement Safran.
Cette année, à Saint-Denis (la fondation a mis en place le même dispositif dans deux résidences du 14e arrondissement gérées par le Crous et Le Richemont) les coaches qui accompagnent les étudiants dans la réalisation de leur projet sont des salariés de la banque HSBC. « Ici, on nous apprend à devenir les leaders du futur. On nous invite à développer nos compétences et à créer une communauté », explique Nikos, étudiant en licence de psychologie après avoir décroché une licence d’informatique en Grèce, d’où il est originaire. Le jeune homme a le projet de lancer une entreprise « sociale » de cours à distance.
Ophélie, auparavant en hypokhâgne, étudie le cinéma et l’audiovisuel à Paris VIII, à Saint-Denis. Postuler à la maison Frateli lui a permis de quitter le nid familial. Elle a choisi de monter un jardin collaboratif. La veille, elle assistait, à l’ENA, à une conférence sur l’innovation sociale proposée par Frateli. En effet, son fondateur, Boris Walbaum, est passé par les bancs de l’école des hauts fonctionnaires après avoir suivi les cours de l’ESSEC, une des plus grandes écoles de commerce. Avant de devenir président de Frateli, il officiait pour le cabinet d’audit Mac Kinsey, un des quatre plus gros cabinets d’audit du monde.
Léonide, de son côté, espère cette année obtenir le concours de l’ENS Cachan. Elle « cube » (redouble) sa classe de prépa tout en préparant un master à la Sorbonne. Autant dire que ce n’est pas le temps qui l’embarrasse : « Réaliser un projet, être présente toutes les semaines représente une contrainte de temps importante. Mais c’est la formule la moins chère que j’ai trouvée. Et puis, il y a un goûter à chaque fois, et en temps de crise, ça compte ! », plaisante-t-elle à moitié. Solène, étudiante en théâtre, veut monter une cuisine culturelle pour inciter les Dionysiens à cuisiner et dîner ensemble. Il y a aussi Juliette, résidente à Porte de Vanves, qui raconte les projets qui ont abouti l’année précédente : « Un groupe a organisé un atelier de découverte des arts martiaux pour les gamins du quartier. Un autre, un dîner sur le thème des peuples en voie de disparition. Un troisième a mis en place des dispositifs pour inciter à l’échange dans les ascenseurs en collant aux murs des petites questions, des poésies etc. »
Tenir son engagement de projet participe au fait de pouvoir rester à la résidence une seconde année. Pour y rester une troisième année, les résidents doivent s’engager à animer eux-mêmes des ateliers pour les nouveaux venus. Ce sont également ces résidents « senior » qui participent au recrutement des nouveaux. Pour les promoteurs, c’est une aubaine : ils n’ont pas à prendre en charge le travail de recrutement des nouveaux locataires.
Ce type de dispositif est amené à prendre de l’ampleur : en janvier, l’association Frateli fusionnera avec la structure Passeport Avenir, à peu près similaire, pour former une nouvelle association, Article 1. Elle bénéficiera ainsi indirectement du label remis par « La France s’engage », la toute nouvelle fondation de l’ex-président de la République François Hollande.
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