Mains d’Oeuvres dans l’attente
Expulsée le 8 octobre dernier, la friche culturelle emblématique de Saint-Ouen devra attendre jusqu’au 15 janvier pour savoir si elle peut réintégrer les murs pour un délai de 18 mois, comme elle en a fait la demande. En attendant, elle compte continuer à mobiliser.
A l’AG de Mains d’Oeuvres, les mines hésitent ce soir-là entre optimisme et fatigue. Sous la tente de la galerie Amarrage où l’association a trouvé refuge depuis son expulsion du 8 octobre dernier, on fait tout de même contre mauvaise fortune bon coeur. En ce mercredi 27 novembre, le résultat de l’audience au TGI de Bobigny a été accueillie au sein de l’association avec des sentiments ambivalents : la juge de l’exécution ne rendra finalement son verdict que le 15 janvier prochain.
« On est plutôt dans un bon état d’esprit, battants ça c’est sûr. Mais on commence à accuser le coup de ne pas avoir de lieu pérenne. L’équipe a besoin d’un toit, d’un QG. », insiste Béatrice, régisseuse à Mains d’Oeuvres. « On est partagé. D’un côté, on ne s’attendait pas à ce que la date de jugement soit aussi tardive, pour une procédure d’urgence. Chaque jour qui passe est critique pour l’association. D’un autre côté, ce qu’on a pu entendre ce matin incite plutôt à l’optimisme », résume Juliette Bompoint, la directrice de la structure.
Sentiments contrastés
Expulsée de ses murs après presque 20 ans de bons et loyaux services à la demande de la mairie, propriétaire des lieux, la friche culturelle avait demandé à la juge de l’exécution d’être réintégrée dans les murs pour un délai de 18 mois, le temps de pouvoir s’organiser pour poursuivre l’aventure ailleurs. Une réponse qui leur parviendra donc seulement le 15 janvier prochain, la juge ayant demandé aux deux parties le temps de pouvoir étudier à fond le dossier.
« C’est plutôt un signal encourageant. L’enjeu de cette audience consistait en fait à démontrer la nullité du PV d’huissier fait après l’expulsion de Mains d’Oeuvres. Pourquoi ? Parce que cela pourrait être signe que l’association a été pénalisée et la juge pourrait nous accorder le délai que nous demandons », expliquait Fazette Bordage, la fondatrice du tiers-lieu.
Un verdict favorable à Mains d’Oeuvres relèverait ceci dit de l’inédit. « Personne n’a jamais obtenu la réintégration après expulsion, sauf un locataire de logement HLM en 2017. Et justement, il avait obtenu du TGI de Bobigny la réintégration au motif que le PV d’huissier n’avait pas recensé la totalité de ses biens. Or lors de l’audience de ce matin, nous avons fait la démonstration que l’huissier n’avait pas visité toutes les pièces et établi une liste complète du matériel, ce qui pourrait léser le droit moral des artistes », soulignait de son côté Maître Jean-Louis Péru, l’avocat de Mains d’Oeuvres.
Marathon financier
©Jeanne Franck
Mais en attendant la décision du 15 janvier, il faut continuer cahin-caha. La mobilisation massive autour de la friche culturelle – une pétition ayant réuni plus de 60000 signatures, plusieurs rassemblements d’un millier de personnes devant la mairie courant octobre-novembre – a certes fait chaud au cœur, mais la résistance se transforme en marathon, notamment financier. « Les aides exceptionnelles (autour de 150 000 euros) de nos partenaires – Ministère de la Culture, ville de Paris, Département, Plaine Co et le CNV - font que nous arrivons à terminer l’année. Après, on ne sait pas… », pointait Juliette Bompoint.
La situation, précaire économiquement et psychiquement, ne va pas sans certains sacrifices : les 25 salariés permanents que compte la structure ont ainsi déjà été contraints de perdre entre 15 et 30 % de leurs salaires. Et les prochains temps forts de l’association sont encore plus énergivores que de coutume. « On réfléchit à une version itinérante à travers la ville du Mo’Fo, un festival de musique emblématique de Mains d’Oeuvres qui se tient toujours fin janvier, mais ça demande beaucoup d’organisation », poursuivait Béatrice la régisseuse.
Et Fazette Bordage, la co-fondatrice des lieux, de conclure : « Quoi qu’il en soit, il est hors de question d’arrêter. Nous voulons continuer à être un acteur de la rencontre entre art et habitants, du vivre-ensemble sur ce territoire. Mais c’est vrai que la situation sera très différente selon la réponse du 15 janvier. »
Photo du haut : ©Thomas Bresteau
Christophe Lehousse
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