Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°4)
Les résidences In Situ fêtent leurs dix ans ! Ce dispositif initié par le Département méritait bien un petit feuilleton. Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires elles-mêmes de Seine-Saint-Denis, rendent compte de ces résidences artistiques dans 10 établissements. Aujourd’hui, visite au collège Henri-Sellier de Bondy.
Allers... luia !
Le metteur en scène François Orsoni pose une main compatissante sur l’épaule d’une élève avachie sur sa table.
« Ca va, ma chérie ? »
Non, visiblement, ça ne va pas très fort... En redressant un peu la tête, la petite élève de 5ème expose un visage blafard et un regard épuisé.
« Elle a été malade pendant la première heure de cours, explique Marine Gauvry, la professeure de français. Mais elle a tenu à être là, pour votre première intervention... »
Car c’est au collège Henri-Sellier que François Orsoni et le comédien Thomas Landbo vont résider tout au long de l’année. Un établissement situé dans une rue tranquille de Bondy, non loin de l’auditorium flambant neuf et de jolis ensembles HLM en briques rouges. Justement, Henri Sellier, figure du Front Populaire, fut un pourfendeur du mal-logement et l’initiateur de plusieurs cités-jardins autour de Paris.
Mais ce matin, il n’est pas question d’histoire. En tous les cas, pas tout de suite. C’est de théâtre dont il s’agit aujourd’hui.
« Moi, j’ai été deux fois au spectacle, lance un élève. Mais je ne me rappelle que d’une fois et c’était nul...
- Moi, j’y suis allé en CE1, à la salle André Malraux, assure Enzo. Il y avait des saucisses qui volaient !
- C’était un spectacle d’illusionniste, corrige un de ses camarades.
- Ah non, pas du tout ! » s’offusque Enzo.
« Et sinon, vous avez déjà vu de la danse ?, interroge François Orsoni.
- Les spectacles de ma sœur, hasarde l’un.
- A la télé ! Danse avec les stars ! lance une autre, les yeux pétillants.
En revanche, quand le metteur en scène demande qui, parmi les élèves, a déjà fait du théâtre, les deux-tiers de la classe lèvent la main.
« Ce qui m’a plu, c’est de faire semblant, raconte Idriss.
-Tu as un autre mot pour dire cela ?
-Jouer !
-Simuler !
-Faire la comédie !
- Moi je me souviens surtout que j’ai eu un trou de mémoire et que ma couronne est tombée de ma tête... grommelle Alice.
-Mentir ! propose Idriss.
-Ce qu’il y a d’intéressant quand on fait du théâtre, relève François Orsoni, c’est qu’on se donne la liberté de faire ce qu’on ne fait pas forcément dans la vie... »
Oui mais seulement, il y a un problème relevé par Enzo :
« J’aime avoir soit le rôle le plus important, soit le rôle pas du tout important. Mais j’aime pas apprendre le texte...
-Tu ne crois pas que cela peut être beau d’avoir les mots des autres qui coulent de toi tout seuls ? suggère François Orsoni.
Enzo a une solution plus terre-à-terre : « Sinon, on peut faire une pièce de théâtre muette...
-Mais apprendre par cœur, c’est comme de la gymnastique. Si tu fais du foot tous les jours, à un moment, le ballon et toi, vous ne faites plus qu’un seul. Eh bien au théâtre, entre le texte et toi, si tu t’exerces, cela peut être la même chose ! »
Amir et Lenny, eux, observent Thomas Landbo. C’est vrai qu’il est impressionnant avec sa haute stature, ses yeux très doux et son accent profond, comme des pas qui s’enfonceraient dans la neige.
« Vous venez d’où ? chuchote Amir.
-Du Danemark. C’est un petit pays avec 500 îles. Mais il y a aussi une péninsule. Cela veut dire qu’une des îles est rattachée au continent... »
François Orsoni frappe dans ses mains.
« Je voulais vous parler de la pièce à partir de laquelle nous allons travailler cette année. Elle a été écrite par un monsieur qui s’appelle Odön von Horvath et s’intitule « Allers...
-Luia ???
-Euh, non. « Allers-Retours ».
Idriss en profite pour montrer qu’il a bien digéré la dernière leçon de français : « Est-ce que dans le théâtre qu’on va faire, il y aura des péripéties ?
-Je vais vous lire le début », propose François Orsoni.
« Ces allers-retours ont lieu sur un modeste vieux pont en bois jeté sur une rivière frontalière d’importance moyenne et reliant ainsi d’une certaine façon deux états.
A droite et à gauche, là où le pont s’arrête, les préposés des deux services des douanes veillent. Sur la rive gauche, dans une baraque, officie Thomas Szamek, sur la droite, dans une ancienne tour de chevaliers pillards à moitié en ruines, Constantin.
Tous les deux accomplissent leur fonction dans le calme : la circulation des personnes et des marchandises étant ici généralement plutôt facile à gérer puisque le coin, d’un côté comme de l’autre, est assez reculé.
Les deux rives sont hérissées de broussailles, les branches des saules pleureurs tombent jusque dans la rivière, c’est une contrée quelque peu monotone, plate à perte de vue. L’horizon même n’est animé que de nuages au lieu de collines. Mais quels beaux nuages... »
Je me demande ce que les élèves ont pu retenir de ce texte pas évident, où il est question en vrac de « rivière frontalière », de « préposés aux services des douanes », de « chevaliers pillards » et de cumulus qui pallient l’absence de reliefs. Un texte beau quoique pas évidemment aimable.
Idriss déjoue mes pronostics : « Bon alors, il y a un pont au milieu et de chaque côté, les douanes avec Thomas et Constantin. Le pont relie deux pays. »
François Orsoni sourit : « Je vous propose de dessiner le décor. »
Lenny pousse un glapissement : « Mais je sais pas dessiner, moi ! Mes dessins, ils piquent les yeux ! »
Malgré ses préventions quant à ses capacités graphiques, il sort lui aussi ses crayons et commence à griffonner.
Une petite voix chuchote : « Eh, une douane, c’est quoi ???
- C’est quand des gens te fouillent... » lui souffle-t-on mezzo-voce.
Lentement, les élèves accouchent de leurs dessins. Les saules ont un peu des têtes de platanes, mais on reconnaît les tours brinquebalantes et les cabanes.
« Comment on fait pour dessiner un Etat ? s’inquiète la voix chuchotante.
Un camarade pragmatique se dévoue : « Moi, j’ai fait François Hollande... »
N.B : La photo illustrant cet article est tirée d’une autre résidence In Situ, celle de l’ensemble CBarré, qui s’est déroulée en 2015-2016 au collège Pierre-Brossolette à Bondy.
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