Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°14)
Aujourd’hui, visite de l’Institut du Monde Arabe en compagnie des 4e du collège Lenain-de-Tillemont de Montreuil, dans le cadre de la résidence de la plasticienne Capucine Vever.
Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires de Seine-Saint-Denis, rendent compte des résidences artistiques dans 10 établissements du département.
EPISODE 14
Le choc des générations
Sékou, appuyé contre un mur, prend des notes sur la feuille distribuée par Capucine Vever. L’exposition « Aventuriers des mers, de Sindbad à Marco Polo » fait carton plein pour ses derniers jours. Elle retrace l’épopée maritime des explorateurs arabes des débuts de l’Islam à l’aube du XVIIe siècle. Capucine n’a pas trouvé de conférencier disponible pour les enfants, aussi le professeur principal de cette classe de 4ème du collège Lenain-de-Tillemont leur a confectionné un questionnaire, transformant la visite en jeu de piste.
Aux côtés de Sékou, Mehdi appuie lui aussi sa feuille contre le mur, sauf qu’avec ses trois têtes de plus, son buste grignote les explications proposées par le musée sur cette salle consacrée aux instruments de navigation, notamment au savoir-faire des Arabes en matière de navigation astronomique.
Mehdi, ses longs bras, ses coudes saillants et son corps un peu trop grand. Sékou, plus fin que les autres, perdu sous son sac à dos un peu trop gênant. Agglutinés à leurs côtés se tiennent trois autres adolescents... Tout ce monde qui s’agite pour compléter le questionnaire préparé par la prof principale finit par agacer plusieurs visiteurs.
« On n’a vraiment pas de chance ! » fulmine, une vieille dame accompagnée d’une amie du même âge. Quelques mots jetés bien fort dans l’assistance, non sans avoir, au préalable, adressé des regards pleins de reproches aux enfants, bien trop concentrés sur leurs crayons pour s’en rendre compte.
A plusieurs reprises au fil de cette sortie j’observerai ce type de comportement. Les adolescents, nombreux, parfois gauches, bloquent l’accès aux panneaux explicatifs. Dans un si petit espace d’exposition, le passage, rendu étroit, freine la navigation des adultes. Deux générations évoluent en parallèle dans ces mers, le choc est physique entre la tribu des cheveux d’argent et celle des sac à dos. « Désolée ils ont un petit questionnaire auquel répondre », s’excuse Capucine qui tente tant bien que mal de rediriger les adolescents vers les coins moins encombrés.
Bien heureusement, un membre de la génération des seniors finit par entrer en contact avec les jeunes, mettant fin au choc des générations. La petite dame semble vouloir retourner sur les bancs de l’école. Intrépide, elle colle les collégiens montreuillois au plus près pour profiter des explications de Capucine sur les astrolabes : « Ils permettent de mesurer la hauteur des astres et de lire l’heure en fonction de la position des étoiles ». Grâce à la plasticienne, depuis septembre, les collégiens sont familiers de la cartographie et des instruments de mesure de l’espace. Ils ont appris que le pôle nord est fuyant et que l’homme tente par tous les moyens de l’apprivoiser, car c’est son point de repère. Mais il en existe d’autres : les étoiles.
« Vous auriez une feuille ? » demande la petite dame à l’un des jeunes qui lui tend une page de son classeur. « Ils sont sympa ! » me glisse-t-elle avant de prendre quelques notes : « Calculer la hauteur par rapport aux astres pour donner l’heure ». « Ma mémoire... elle me joue des tours, c’est pour me souvenir ! » sourit-elle, un brin fantasque.
Un peu plus loin, les élèves s’arrêtent devant une mappemonde. Il s’agit d’une carte, parée de fines feuilles d’or, réalisée au XVe siècle à Venise. Sur celle-ci l’Afrique est au Nord, la Russie au Sud. « Ça on en a déjà parlé ensemble », intervient Capucine « On représente souvent le monde du point de vue où on se trouve ».
Pas peu fière, la plasticienne me fait défiler sur son téléphone, les clichés des cartes inventées par les adolescents le matin même. Sur « L’Asique » les deux continents autrefois enlacés ont été réunis, « Le monde reconstitué » ne connaît plus aucun océan, « Disneylandosèque » imagine le paradis américain de Walt Disney comme point de départ du centre du monde...
Cartes médiévales, grimoires merveilleux, les salles défilent et j’en prends plein la vue, quittant le groupe à plusieurs occasions pour observer de plus près des miniatures persanes représentant des monstres marins.
Dans l’une des dernières salles, je retrouve un des groupes de collégiens qui a terminé de remplir son questionnaire et s’impatiente. « Je pourrais dormir sur place » soupire une des jeunes filles. « On rentre là ? » interpelle une seconde adolescente. « On a faim, on est fatigué » implore une troisième. Pendant que la bande de filles se repose contre le rebord d’une des mezzanines de l’exposition, les visiteurs du troisième âge, eux, se régalent, comme revigorés par les trésors qu’offre cette pièce du musée : lapis lazuli, saphirs, rubis, monnaie en or, brûle-parfum d’Égypte, flacon aux armes d’un sultan yéménite, calices en verre soufflé, soieries de Chine...
Des hommes se sont aventurés aux confins de la mer pour rassembler ces richesses des terres lointaines. Ils en ont rapporté des récits, transportés de ports en ports. La mondialisation avant l’heure. Guère plus besoin de ces marins aventureux, aujourd’hui nous avons le téléphone portable ! Sous les yeux des jeunes adolescentes, penchées sur leurs smartphones, ces pierres précieuses d’un autre temps sont redevenues de simples cailloux. Cette génération - et la mienne peut-être - qui a tout à portée de main grâce au développement des outils numériques a oublié les risques et les dangers bravés par ces voyageurs des mers, faisant de ces vestiges des trésors.
La semaine prochaine : Les confidences iraniennes de Cécile Ladjali aux élèves du collège Albert Camus de Rosny-sous-bois
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