Les corps des femmes se mettent en scènes au We Too festival
Pourquoi la libération des femmes passe-t-elle par celle de leurs corps ? Comment éduquer ses enfants de manière féministe ? Le week-end dernier, à la Cité fertile à Pantin, le Wetoo festival répondait à ces questions à travers des propositions théâtrales et artistiques, prises d’assaut par un public jeune... et nombreux.
Episiotomie, endométriose, fausses couches, curetage, Distilbène, point du mari. Samedi après-midi, sur le plateau de la grande Halle de la Cité Fertile, trois comédiennes faisaient voler en éclat tous les tabous liés à la vie du corps des femmes dans "Speculum". Dense, drôle, et accessible et émouvant, le spectacle passe en revue les diverses violences obstétricales rencontrées par les femmes tout au long de leur vie. De sujets de discussions entre trois amies autour d’un guéridon, Caroline Sahuquet, Delphine Biard et Flore Grimmault, ces expériences se sont transformées en spectacle. Et le spectacle, à son tour, a inspiré la création d’un collectif de femmes artistes, Les Collectives, lui-même à l’origine de la création du Wetoo festival. "Nous voulions décliner les enjeux féministes à travers l’art", explique Morgane Massart, une des six co-organisatrices du festival. "Au début, Wetoo devait avoir lieu au théâtre Lepic, pendant quatre jours, en mai. Et puis le Covid est arrivé, et nous avons dû tout reprendre de zéro. Le fait qu’il ait lieu à La Cité fertile, qu’on enregistre 3 500 visiteurs, que tous les spectacles affichent complet, que les gens continuent de vivre et de profiter de la culture malgré les conditions sanitaires, c’est comme une récompense après la tempête", s’émeut Caroline Sahuquet, une autre des co-organisatrices.
Delphine Biard et Flore Grimmault
Notre corps, nous- mêmes
"La programmation répond à trois questions : Comment passer du corps objet au corps sujet d’abord, comment construire une éducation non genrée et non hétéronormative ensuite, et enfin, un questionnement sur ce qu’il se passe ailleurs", détaille la metteuse en scène. Pour répondre à la première question : les spectacles "Speculum", "Tout sur le rouge", l’adaptation du texte "Ceci est mon sang", sur les règles, de la journaliste montreuilloise Elise Thiébaut, "Ca ne rend pas sourd", un florilège de textes érotiques lus par des comédiens, à écouter au casque. Une table ronde a également réuni la philosophe Camille Froidevaux-Mettairie, autrice de l’ouvrage " Seins : En quête d’une libération", Elise Thiébaut, Ielena Perret, une des autrices de la réédition de l’ouvrage des années 70 "Notre corps, nous-mêmes". Au cœur des débats, la manière dont le corps, potentiel lieu d’enfermement des femmes, peut aussi devenir l’endroit de leur émancipation. Emancipation qui passe notamment par la danse : une fois la nuit tombée, les mélopées de la DJ Barbara Butch, ont permis à nos sorcières de passer un joyeux sabbat.
Les fées pètent l’écran
Seconde question abordée par le festival : comment partager le féminisme, qui a plutôt tendance à en dynamiter les structures, en famille ? Pour répondre à ce défi, les organisatrices avaient invité des conteuses à narrer des histoires aux titres évocateurs, telles que "Elle pas princesse, lui pas héros", ou "Les fées pètent l’écran". La librairie éphémère "Les mots à la bouche" proposait des albums jeunesse remettant les normes de genre en cause. Enfin, une table ronde réunissant l’humoriste Laurent Sciamma et la journaliste d’Arte Marie Labory questionnait l’école et sa tendance a conformer les enfants aux standards féminins et masculins, et à l’hétérosexualité, dès leur plus jeune âge. Enfin, le spectacle " La Guerre des filles", sur la lutte des femmes kurdes et le film " Femmes sur la brèche", sur les luttes féministes au Chili, élargissaient eux le questionnement au niveau international.
Un message d’espoir
L’objectif, difficile à atteindre, à savoir la conjugaison d’une programmation exigeante, et l’adresse à un public familial, est atteint. "Le festival ne prêche pas que les convaincus, il s’adresse au tout-venant, y compris aux hommes, et je trouve ça super de vulgariser et de rendre accessibles ces thématiques, qu’on trouve surtout discutées dans des livres ou des blogs", témoigne Marion. Nina, Gwen et Aude sont venues au festival parce qu’elles en ont entendu parlé par le biais d’une Youtubeuse écolo. Quant à Léa et Sophie, c’est pour danser sur les sons de Barbara Butch qu’elles sont arrivées jusqu’à la Cité fertile. "Je kiffe qui elle est : une lesbienne grosse et hyper engagée. Ces gens-là existent, et c’est important de les rendre visibles, et d’éduquer, par elles, au féminisme", estime la jeune femme. "Et comme on peut plus faire la teuf depuis mars..." ajoute-t-elle en rigolant.
Le succès de l’évènement a bouleversé Caroline Sahuquet : "Concilier féminisme et famille, s’adresser à tout le monde de 7 à 77 ans, rendre accessible le féminisme à ceux qui s’en sentent éloignés, c’est un message d’espoir pour construire un avenir plus juste et plus égalitaire pour tous et toutes".
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