Khiasma ferme, vive Khiasma !
Installée depuis 2004 aux Lilas, l’association culturelle Khiasma a fermé ses portes fin octobre. Retour avec son fondateur Olivier Marbœuf sur une aventure hors du commun, menée conjointement avec les habitants du Nord-Est parisien et des artistes.
« Nous avons décidé de nous arrêter car nous estimons que les conditions pour continuer à mettre en œuvre notre projet ne sont plus remplies, explique Olivier Marbœuf, fondateur et directeur artistique de la structure. Quand l’essentiel de notre temps est consacré à la recherche de financements pour mener à bien nos projets, pour les gens et avec les gens, ce n’est plus tenable. Nous avons donc décidé de ne plus mendier notre survie, de nous arrêter aussi pour réfléchir ensemble et reprendre sous des formes différentes. » Depuis 2016, la situation financière de l’association s’était fragilisée en raison du désengagement de la Région Ile-de-France se traduisant par une coupe budgétaire très importante.
Pendant toutes ces années, Khiasma a ouvert ses portes aux habitants et artistes qui sont venus présenter leur travail et partager avec les hommes et les femmes des Lilas, de la Seine-Saint-Denis et d’ailleurs. De l’exigence artistique, de l’indépendance, du respect et de l’hospitalité ont fait de ce lieu un lieu à part. « On charbonnait comme des fous, c’était épuisant, c’était révoltant, c’était magnifique, c’était unique et bouleversant », peut-on lire sur l’un des très nombreux messages de soutien reçus lors de la fête du 20 octobre, « pour donner corps à ce temps endeuillé, festif et résolument entêté ».
« Ces 10 années d’activités ont permis aux uns et aux autres d’élargir les regards, les points de vue, leur perception du monde », souligne cet autre message. Comment ne pas penser à ces centaines d’enfants venant assister le dimanche après-midi à ces séances de ciné en famille où l’éducation au regard, à travers du long et du court-métrage, du documentaire, de l’expérimental, du musical ou du poétique, était à l’œuvre.
« La Montagne des devenirs » atelier entièrement financé par Cinémas 93 et le Conseil départemental a permis d’élargir les connaissances des jeunes en matière de cinéma, tout en les incitant à s’immerger eux-mêmes dans le processus de création.
Autre moment fort de l’aventure de Khiasma : ce travail commun effectué avec la Maison des Fougères, dans le XXe arrondissement parisien. Dans cet espace, à la fois lieu ressource et lieu de vie, on y donne la parole aux habitants, on y organise des repas thématiques, des ateliers artistiques, club couture, projections, atelier de cuisine, club tricot… Khiasma et la Maison des Fougères étaient faits pour se rencontrer. Cela a donné une belle expérience, à travers des ateliers cuisine, « La Route des savoirs-saveurs », un beau livre d’artiste riche de recettes ou le goût comme véhicule de la mémoire et l’agir en commun.
On peut évoquer d’autres expériences encore, au cours de ces riches années : "Les Lundis de Phantom", un rendez-vous singulier fondé sur la présentation publique de recherches artistiques ou "Les Lundis des revues" avec une carte blanche offerte à chacune d’elle.
« Etre ensemble ici et être bien, c’est être comme à la maison, avance Olivier Marbœuf. Il faut que les gens aient un format qui soit comme à la maison. Je suis comme à la maison parce que je suis chez moi ici ! Il n’y a pas de propriété du lieu. Je pense que cela est notre héritage commun, et donc le projet s’arrête, mais à la fois, il repart de cet héritage. » Un dernier message reçu en guise de conclusion provisoire affirmant haut et fort – tel le phénix renaissant de ses cendres – « Je sais que l’aventure continuera ici et ailleurs et que Khiasma ne disparaîtra pas comme ça. Il est là avec nous. »
“Quand un petit centre d’art associatif tel que Khiasma ferme dans la proche banlieue de Paris, en Seine-Saint-Denis précisément, c’est forcément un signe des temps. Des temps où celles et ceux qu’il a défendus et contribué à rendre visibles, qu’il s’agisse des artistes, des auteur.es, des penseurs et penseuses ou des questions qui fâchent, des habitant.es indésirables, des pratiques minoritaires, des expériences de l’art ou des formes de vie et d’hospitalité, manquent cruellement de voix dans une société qui vacille. Khiasma a montré avec d’autres qu’il y avait quelque chose qui se passait là, qu’une solution à la violence comme projet politique existait et qu’elle n’était pas facile, qu’elle demandait chaque jour des efforts considérables.”
Olivier Marbœuf, le 16 octobre 2018
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