Musique

Fans ou voisins des Lilas : leur hommage à Rachid Taha

Mort d’une crise cardiaque à son domicile le 12 septembre dernier, Rachid Taha, artiste inclassable, laissera une trace aussi unique qu’indélébile dans le paysage musical français. Installé depuis des années aux Lilas en Seine-Saint-Denis, amis, fans ou le Conseil municipal de la ville ont tenu à lui rendre hommage. Témoignages.

Qu’il s’agisse de l’ironique "Douce France" interprété avec le groupe Carte de séjour en 1986 dans le contexte de la Marche historique pour l’égalité et contre le racisme de 1983 (rebaptisée par les médias Marche des Beurs), de l’album "1,2,3 Soleils" qui popularisera le raï en France, ses "coups" musicaux étaient le plus souvent éclatants. Avec "Ya Rayah", il fera d’un classique de la chanson algérienne sur l’exil, un tube interplanétaire. Il tapera dans l’œil de Mick Jones des Clash qui l’accompagnera sur scène pour sa version de "Rock the Casbah", du réalisateur hollywoodien Ridley Scott pour qui il interprétera "Barra barra" pour la musique du film Black Hawk Down (La Chute du Faucon noir) et de tellement d’autres encore. Car malgré sa base rock qui se nourrira de world music, impossible de classer Rachid Taha dans un genre musical ou un style, tellement sa créativité était foisonnante et diverse. Toujours plein de projets malgré sa maladie d’Arnold Chiari (causant des atrophies musculaires) diagnostiquée à 27 ans mais qu’il rendra publique tardivement, il devait fêter ses 60 ans le 22 septembre 2018 à l’Opéra de Lyon pour célébrer aussi les 20 ans d’un de ses albums-phares, "Diwan". Reste une œuvre importante qui jalonne 35 ans de carrière à découvrir ou redécouvrir.

Installé depuis des années aux Lilas en Seine-Saint-Denis, fans, amis ou le Conseil municipal ont tenu à rendre hommage à Rachid Taha. Témoignages.

Rencontre avec Hassane, fan séquano-dionysien de Rachid Taha.

Hassane, domicilié à Noisy-le-Sec est venu écouter l’hommage du Conseil municipal des Lilas du 26 septembre. Fan attristé par la disparition de Rachid Taha, il tenait à participer à la minute de silence organisée en début de séance. "J’ai un lien affectif avec la personnalité de Rachid Taha et sa musique. Je suis d’origine algérienne et je vis en France depuis plus de 25 ans, donc j’ai un peu le même parcours d’immigration que lui, même si moi ce fut plus tard, à 23 ans. Au départ je l’ai connu à travers les tubes "Douce France" et "Ya Rayah". Puis je l’ai vraiment découvert en 2000 avec son album "Made in Medina". J’ai adoré et depuis j’ai continué à creuser sa musique et collectionner ses albums. Sa musique est proche de mes origines maghrébines mais à travers tous ses albums, il jette sans cesse des ponts entre les cultures : russe, indienne, sud-américaine etc. Ma fille est née aux Lilas, lui est mort aux Lilas, ça fait un attachement encore plus spécial. Je l’ai vu de nombreuses fois en concert et j’ai des contacts avec des fans de lui à l’étranger. Il en a partout dans le monde : en Pologne, République tchèque, Ukraine etc. !

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Pourquoi ses chansons ont autant marqué les gens ?
Rachid Taha disait : "Je chante pour ne pas devenir fou et pour aller jusqu’au bout de ma folie." En fait, Rachid Taha était libre, il disait ce qu’il pensait et n’avait pas peur qu’on le juge. C’est cette liberté-là, plus son histoire d’avoir immigré à l’âge de 10 ans, un âge charnière, qui fait sa particularité. Il aimait la France mais beaucoup d’autres pays aussi. Entre parenthèses, j’ai trouvé 2 pages Wikipédia en français, 1 en arabe et 4 en anglais ce qui témoigne bien de son côté international. Une fois, j’étais à New York en 2007 avec un ami et on parlait de Rachid. Il me dit : "Je suis déçu par lui." Je lui demande pourquoi ? " Lors d’un concert à Central Park, on lui a jeté un drapeau algérien. Or souvent la réaction des chanteurs algériens est de mettre le drapeau autour de leurs épaules. Mais lui a rendu le drapeau à la personne." Connaissant Rachid Taha, ce n’était pas un rejet de ses origines mais sa façon à lui de dire qu’il ne voulait pas entrer dans des cases car il voulait chanter pour toute l’humanité et pas seulement pour les Algériens. Rachid Taha était très cultivé, il lisait, cherchait beaucoup, et c’est cette quête de recherche, d’originalité qui faisait de lui un grand créateur. Quand il sortait un album, c’était comme se prendre "une claque" dans le visage tellement il me surprenait à chaque fois...

Vous saviez qu’il était malade ?
J’ai découvert dans la presse qu’il avait contacté le journal El Watan pour raconter l’histoire de sa maladie orpheline. Il a su qu’un enfant en souffrait en Algérie. Il est allé le voir pour lui dire qu’il était le "doyen" de cette pathologie et voulait créer une association de lutte et d’information autour de la maladie d’Arnold Chiari. Ce qui m’a touché c’est qu’il a préféré que les gens le traitent d’alcoolique, toujours bourré sur scène alors qu’il s’agissait de symptômes de sa maladie, plutôt que d’en parler. Il préférait que les gens se moquent de lui alors qu’il souffrait d’un mal qui avait été diagnostiqué il y a plus de trente ans.

Que restera-t-il de Rachid Taha ?
Sa musique restera car elle est intemporelle et s’il faut garder un souvenir de lui, c’est sa générosité et l’amour. Son message qui restera pour moi c’est : "Aimez-vous et partagez la musique !"

Témoignage de Monsieur Biau propriétaire du bar-café concert de quartier Melting Potes aux Lilas que fréquentait Rachid Taha et dont un mémorable bœuf improvisé avec une autre célèbre voisine, Catherine Ringer, restera dans les annales de l’établissement.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le Melting Potes, pouvez-vous décrire le lieu ?
Moi je suis Monsieur Biau comme on m’appelle communément. Je tiens un bar à proximité immédiate où habitait Rachid. La semaine, c’est un café de quartier et les vendredi et samedi, on passe en mode concert, un peu cabaret aussi... En tant que voisin, il lui arrivait de passer de temps en temps. Voilà comment nous sommes devenus amis. Il a fait quelques interventions lors de nos soirées du Piano qui chante. Il avait fait une très belle impro blues avec notre ami Bako qui est un des grands harmonicistes français et qui est aussi un des voisins et amis du Melting Potes, et, qui fait régulièrement des jams sessions harmonica ici.

Pascal "Bako" Mikaelian et Rachi Taha au Melting Potes (Les Lilas) le 20 février 2016

"Au-delà de la rock star mondiale, Rachid Taha était avant tout une figure haute en couleurs du quartier et du Melting Potes. Bien sûr, le personnage public était un chouïa excessif et bon vivant, mais derrière la façade de la persona, il y avait un immense bonhomme, avec une grande culture musicale, bien sûr et grand amoureux de cinéma, entre autres. Il avait également une vision du monde et de la géopolitique très pointue et avisée, car, jouant dans le monde entier, il avait eu l’occasion de rencontrer les dirigeants, hommes politiques, artistes et brillants esprits de tous poils. C’était un joyeux drille. Il avait toujours un jeu de mots ou une blague à sortir. On faisait souvent les idiots comme cette fois où on avait chacun des lunettes de soleil blanches.

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Certes il était malade mais le souvenir que j’en ai vraiment, c’est celui de quelqu’un qui avait toujours des projets dans la tête. Il venait de finir son album, il tournait énormément à l’étranger. Il jouait sous son nom avec ses musiciens mais il jouait aussi avec le Couscous clan et Rodolphe Burger. C’était quelqu’un qui était toujours en train d’écrire, faire des choses... Pour ses 60 ans, il devait jouer à l’Opéra de Lyon. Malheureusement, il est parti juste avant. Il disait pour déconner qu’il voulait racheter le Melting Potes et qu’il le rebaptiserait "A l’Arabe du coin" !

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35 ans de carrière en 5 morceaux emblématiques

Face à l’extrême-droite en plein renouveau, la singularité de Carte de séjour est d’être aussi porte-parole de la cause antiraciste, notamment dès 1983 en soutenant le mouvement anti-violence du quartier des Minguettes à Vénissieux, qui va initier la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Le groupe participe alors au concert sur la place de la Bastille. Un an et demi après, il sera invité à celui de SOS Racisme, où il interprétera une version moderne d’un classique national : "Douce France".


"1, 2, 3 Soleils" album live interprété par Rachid Taha, Khaled et Faudel, sorti en 1998 connaîtra un succès retentissant.


"Ya Rayah", (Toi qui t’en vas), est une chanson de l’auteur-compositeur-interprète algérien Amrani Abderrahmane, dit Dahmane El Harrachi. Elle fait partie des chansons les plus populaires du répertoire chaabi de la musique algérienne. La version de Rachid Taha sortie en 1997 fut un succès mondial. Elle s’est classée numéro un en Égypte et au Liban, mais également en Colombie, Inde, Turquie et en Grèce. A partir de ce moment, il tournera dans le monde entier, d’Asie du sud-est jusqu’aux USA.


"Rock the Casbah" est l’une des chansons les plus connues de The Clash, sortie pour la première fois en 1982 sur leur album Combat Rock. Il s’agit d’une de leurs rares chansons à avoir atteint le top 10 aux États-Unis et constitue l’un des plus grands succès du groupe. Rachid Taha la reprendra en 2004.


"Voilà, voilà", sortie en 1993 a connu une nouvelle version remixée sur l’album Zoom en 2012.

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