Des rencontres dans les quartiers pour « parler santé »
Durant tout l’été, le Département organise, en partenariat avec plusieurs associations de terrain, des rencontres avec les habitants de différentes villes pour faire le point sur leurs besoins en matière de santé après l’épidémie de Covid. Jeudi 16 juillet, l’opération de prévention se déroulait à La Noue, un quartier populaire situé entre Montreuil et Bagnolet.
« Est-ce qu’il faut mettre un masque ? Je suis un peu perdue : on nous a tellement dit tout et son contraire. » D’abord un poil méfiante, Martine profite d’avoir croisé le chemin d’Anaïs Alachède, infirmière au Département, pour y aller de ses questions. Cette retraitée, qui habite depuis 47 ans le quartier de la Noue, à Montreuil, n’est pas mécontente d’être tombée sur la professionnelle de santé au cours de sa promenade quotidienne avec son chien, Bouly. « Cette période a vraiment été dure. On allumait la télé et on n’entendait que parler de morts… Et là, ils disent que ça va repartir... »
Derrière son masque, Anaïs Alachède écoute au moins autant qu’elle ne parle, avant de distiller quelques conseils avisés. « Bien sûr, beaucoup de gens sont morts du Covid mais dites vous qu’il y en a bien plus qui en ont guéri. Essayez de ne pas vous focaliser sur les morts. Et oui, portez le masque dès que vous sortez de chez vous… »
Normalement, la rencontre aurait plutôt dû se faire sous une tente berbère installée par plusieurs associations de l’autre côté de la rue, mais les services du Département sont habitués à aller chercher les habitants au plus près de chez eux. Anaïs Alachède et sa collègue médecin Camille Rolland se laissent donc guider dans les allées de la cité de La Noue par Karima, membre du réseau national d’entraide « Voisin Malin ». « Après cette période éprouvante, les gens sont en demande de conseils ou ont juste besoin de parler. Mais parfois, ils ne savent pas vers qui se tourner, donc ils restent chez eux, à ressasser leurs questions », souffle Anaïs, qui a fait partie d’une unité Covid au plus fort de la crise de mars-avril.
Retour de flamme
« Où faire des tests ? » « Y a-t-il une deuxième vague et comment s’en protéger ? » sont des questions qui reviennent assez souvent. A chaque fois, les différents professionnels de santé – ceux du Département ou de l’association Banlieues Santé – orientent vers le médecin traitant ou, en cas d’absence de celui-ci, vers le centre municipal de santé. Chaque habitant repart aussi avec « un kit bien-être » contenant des produits d’hygiène, du gel hydro-alcoolique et deux masques, distribué par Banlieues Santé. Cette association balbynienne, fondée en 2018 par l’infirmier Abdelaali El Badaoui, milite pour un meilleur accès de tous au système de soins.
« La crise récente a jeté une lumière crue sur les inégalités de santé qui frappent la Seine-Saint-Denis et sur la nécessité de rapprocher davantage les personnes les plus précaires des parcours de soins. C’est tout le sens de cette opération : aller au plus près des habitants, dans les lieux de vie et de passage, pour leur parler santé, les encourager à prendre soin d’eux et à faire leur rattrapage de soins, les orienter pour qu’ils puissent ouvrir leurs droits d’accès aux soins », pointe de son côté Stéphane Troussel, le président de la Seine-Saint-Denis qui a tenu avec Pierre Laporte, vice-président chargé des solidarités, à mettre en place ces rencontres avec le soutien financier, notamment, de la BNP Paribas.
Car les préoccupations des habitants ne tournent pas exclusivement autour de l’épidémie. Une dame se plaint de vertiges, une autre de douleurs en bas du dos et à une jambe qui l’empêchent de dormir. Toutes deux ont bien un médecin traitant, mais disent l’avoir consulté « il y a quelques mois » parce que sa salle d’attente est « toujours pleine » ou par peur du Covid.
« Le Covid n’a rien arrangé aux problèmes d’accès aux soins dans les quartiers populaires. A l’hôpital par exemple, les services d’urgence ont dû prioriser dans un premier temps les cas Covid pour éviter les surcontaminations. Et une fois qu’ils étaient à nouveau en ordre de marche pour recevoir aussi des non-Covid, les gens ne voulaient plus venir parce qu’ils avaient peur. Le retour de flamme, on le voit aujourd’hui : des maladies chroniques comme le diabète ont parfois évolué en pathologies aigües. », analyse Idriss Abdallah, médecin réanimateur dans plusieurs hôpitaux de Seine-et-Marne et membre de Banlieues Santé.
« Le message de ces rencontres, c’est qu’on n’a qu’une santé. A nous d’en prendre soin, personne ne le fera à notre place. Il faut aller chez le médecin, continuer ses traitements, c’est important. Notre rôle est d’aller vers les habitants et de les aider, quand eux ne viennent pas à nous. », renchérit Noa membre de « Bamesso et ses amis ». Cette association basée au Blanc-Mesnil lutte pour le droit et l’accès aux soins, en particulier des migrants et des personnes en situation de précarité.
« Capital santé »
Un peu plus loin, Dramane, infirmier libéral de Banlieues Santé, est en conversation avec Aboubakar*, travailleur dans un service de voirie, qui vit au foyer Adoma tout proche. Dans une discussion libre, faite surtout d’écoute, le professionnel de santé sensibilise sur le « capital santé » de tout un chacun et se renseigne sur la dernière fois où l’homme a vu un médecin. « Il y a cinq ou six mois », répond Aboubakar. « Pas tellement parce que j’avais peur d’attraper le Covid en salle d’attente, mais parce qu’il y a toujours de très longues files d’attente chez mon médecin. Avec mon boulot, je ne peux pas me le permettre... », répond le quadragénaire, nettement plus inquiété par la densité qui règne dans le foyer – « on est deux, voire plus par chambre » – que par la perspective d’attraper le coronavirus chez le médecin.
Un épisode qui rappelle que la santé est aussi intimement liée à d’autres aspects comme le logement, ce que n’a que trop rappelé la surmortalité en Seine-Saint-Denis (près de 130 % entre le 1er mars et le 27 avril par rapport à 2019). Si ces rendez-vous ne sont donc pas la panacée aux problèmes rencontrés par les habitants des quartiers populaires, ils permettent en tout cas de faire passer l’information et de rompre certaines solitudes.
*Le prénom a été changé
Les prochaines rencontres santé de l’été organisées l’après-midi de 14h30 à 18h par le Département et ses partenaires (gratuites, sans rendez-vous et ouvertes à tous et toutes) :
Jeudi 20 août : Cité des 4000 - 13 mail Maurice de Fontenay à La Courneuve
Mardi 25 août : esplanade Édouard-Glissant (derrière la maison du temps libre) à Stains
Jeudi 27 août : Quartier Sémard, rue Émile-Chrétien à Saint-Denis (sous réserve)
Une autre rencontre est également prévue à Pierrefitte-sur-Seine. Sa date et son emplacement seront communiqués sur les réseaux sociaux du Département.
Les professionnel·le·s de santé du Département distribueront de surcroît aux habitant·e·s rencontré·e·s 20 000 masques en tissu lavable avec notice d’information.
Soliguide (https://soliguide.fr/) est un site internet qui recense de nombreuses structures venant en aide à des personnes en situation précaire. Alimentation, logement, formation et emploi, santé : de nombreux domaines sont abordés, avec à chaque fois des adresses vers lesquelles se tourner. La plateforme, mise en place par l’association Solinum, possède un moteur de recherche spécifique à la Seine-Saint-Denis, qui fait partie des 5 territoires partenaires du site.
Rachel Zoughebi et Christophe Lehousse
Photos :©Sylvain Hitau
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