Guerre en Ukraine

Avec les réfugié.e.s ukrainiens en Seine-Saint-Denis

Sur les près de 3 millions d’Ukrainien.ne.s qui ont dû quitter leur pays depuis le début de l’invasion russe, 26 000 personnes environ sont arrivées en France. Le Département se mobilise lui aussi pour participer à l’effort d’accueil. Reportage dans un centre d’hébergement de la Seine-Saint-Denis.

« On a tous eu très peur. Quand vous voyez votre famille se cacher sous des couvertures pour ne plus entendre le bruit des bombes, la peur saisit n’importe qui, même les plus aguerris. Aujourd’hui, ça va un peu mieux, grâce à votre accueil. » Voilà une semaine que Michael et Tatiana sont arrivés en Seine-Saint-Denis, avec leur petit-fils Marc. Une semaine qu’ils peuvent enfin souffler, un peu, même si le fracas de la guerre continue d’alimenter l’inquiétude pour ceux restés là-bas, comme la mère de Marc, qui a souhaité rester en Ukraine.

Dans la résidence dédiée à l’hébergement d’urgence qui les accueille en Seine-Saint-Denis*, ils occupent une petite chambre. Marc, 3 ans et demi, montre fièrement son lit superposé. Du jour au lendemain, comme des milliers d’autres, cette famille a dû tout quitter, depuis que l’armée russe, le 24 février au matin, s’est mise à pilonner les principales villes du pays. D’une traite, Michael raconte à l’interprète français-russe, leur fuite de Kiev, où ils vivaient depuis 15 ans : « Le 24 au petit matin, ma femme m’a réveillé, stressée, en me parlant d’explosions. Dehors, c’était la panique, les gens essayaient de s’approvisionner comme ils pouvaient. Au bout de trois jours, on a décidé de prendre la voiture pour rejoindre Vassylkiv, une petite ville pas loin de Kiev. Les gens là-bas avaient déjà commencé à s’organiser pour résister aux Russes. 24 heures plus tard, les avions russes ont tiré sur la ville sous prétexte qu’il y avait soi-disant une base militaire »

D’une voix blanche, Michael explique le reste de leur périple : trois jours et trois nuits dans les sous-sols de Vassylkiv pendant que dehors, les combats font rage, leur fuite en voiture jusqu’à Bila Tserkva, à 90 km au sud de Kiev où « un parfait inconnu » les a recueillis pendant 10 jours. De là, leur passage de la frontière polonaise vers Varsovie puis le train pour l’Allemagne. « Arrivés à Berlin, où on pensait rester comme l’avaient fait d’autres amis, on nous a dit qu’il n’y avait plus de places. On a alors continué vers Francfort puis Paris. Arrivé là-bas, un russophone nous a accueilli chez lui et aidé à faire les papiers à l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) Comme on n’avait nulle part où aller, ils nous ont adressés à ce centre, et nous voilà. »

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Ce centre, géré par le Samu social, a débloqué un quota de places pour organiser l’accueil des réfugiés ukrainiens en France. Sur ses quelque 900 places, 124 ont été ouvertes pour accueillir des réfugiés venus d’Ukraine, la gestion étant assurée par le groupe SOS, sollicité lui-même par la préfecture de région. « Actuellement nous sommes à 65 places occupées sur les 124, car la semaine dernière, il y a eu un départ en car vers le Gard et 32 réfugiés sont partis pour cette destination », détaille Louiza Daci, directrice régionale pour l’Ile-de-France Nord au Groupe SOS. L’idée est en effet plutôt de transférer les réfugiés vers d’autres destinations en province, pour soulager la région parisienne, déjà saturée. « Pour les personnes souhaitant rester ici, on essaie d’accorder la priorité aux personnes vulnérables, avec un traitement médical, ou aux personnes avec des attaches familiales en Ile-de-France », précise encore la responsable. Cette volonté de séjour provisoire explique aussi que les enfants arrivés récemment ne soient pas encore scolarisés dans les établissements des environs, pour éviter un second déracinement en cas de départ en région.

Peur des hélicoptères

Partir en province, les grands-parents de Marc n’y seraient d’ailleurs pas opposés. « Notre priorité maintenant, c’est de travailler, peu importe où, pour ne pas abuser de l’hospitalité de la France, en attendant de pouvoir un jour rentrer », poursuit Michael, formé en radio-ingénierie et dont la femme Tatiana a elle un diplôme d’infirmière.

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Basil, Anastasia et Rahid, réfugiés ukrainiens arrivés le 6 mars en Seine-Saint-Denis

Rentrer un jour, c’est aussi l’objectif numéro 1 d’Anastasia et Ahmed, arrivés au centre d’hébergement le 6 mars, eux aussi en provenance de la banlieue de Kiev. « Ma mère est restée là-bas, je ne m’imagine pas ne pas rentrer un jour », affirme Anastasia. Cette trentenaire a elle aussi tout laissé sur place pour fuir avec son mari et les deux enfants de celui-ci, Rahid, 13 ans et Basil, 11 ans.
Encore sous le choc, cette doctorante en aéronautique essaie pourtant de surmonter l’obstacle. « J’ai parfois encore du mal à dormir. Ici, je n’aime pas le bruit du RER ni celui des hélicoptères parce qu’il me rappelle ceux qui lançaient des missiles. Mais voir les sourires qui nous sont adressés, avoir la chance de voir les rues d’un pays qui n’est pas en guerre, ça nous fait du bien. » Elle aussi songe déjà à « reconstruire son pays ». Dans tout ce marasme, la famille a appris il y a une semaine une bonne nouvelle : son mari Ahmed a déjà retrouvé du travail à Paris comme boucher. Une activité rendue possible par le statut de protection temporaire, accordé à la majorité des réfugiés ukrainiens, un dispositif qui présente l’avantage d’aller bien plus vite qu’une classique demande d’asile.

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Michael, Tatiana et leur petit-fils Marc, accompagnés du président du Département Stéphane Troussel, le 23 mars

« Sur cette crise-là, je dirais que l’État, les associations, les collectivités locales montrent le visage d’une France humaine. Mais ça n’a pas toujours été le cas : à d’autres occasions, le pays ne s’est pas comporté de la même manière, juge Stéphane Troussel, le président du Département, également présent lors de cette rencontre. Et de poursuivre : « Et même dans cette crise, l’État doit encore clarifier ses positions, comme sur le cas des étudiants étrangers. Le droit d’asile ne peut pas être à double vitesse. »

Les étudiants étrangers en "zone grise"

L’élu du département fait ici allusion aux cas d’étudiants étrangers, assez nombreux, qui disposaient d’un visa d’études en Ukraine et qui, comme tous les autres, se sont fait surprendre par la guerre. Comme Angeliqua, qui attend patiemment de pouvoir exposer son cas dans un canapé du hall de la résidence. Cette jeune Congolaise de 24 ans a dû quitter précipitamment Odessa où elle était en 5e année de médecine. Comme tous les autres, elle a fui la guerre, mais à l’inverse des réfugiés ukrainiens, elle n’a pour l’instant pas eu droit au statut de protection temporaire, au motif qu’elle n’est pas Ukrainienne. Désormais, elle n’a qu’une peur : ne pas pouvoir terminer ses études et se retrouver sans diplôme à l’arrivée. « Pourquoi on devrait faire une discrimination entre nous et les Ukrainiens ? On a tous vécu la guerre. Le plus important pour nous, c’est qu’on puisse terminer nos études et qu’elles soient reconnues », souffle la jeune femme qui n’est pas la seule dans ce cas. Rien que dans la résidence, une dizaine d’autres jeunes sont dans la même zone grise administrative, certains étudiants en médecine, d’autres en architecture…
Pendant que Rahid et Basil jouent devant la résidence baignée de soleil, Michael, le grand-père de Marc, tient encore à préciser une chose : « Le monde doit connaître la vérité : en Ukraine, il n’y a pas de nazis, contrairement à ce qu’affirme Poutine. Moi, je suis arménien et durant toute l’existence que j’ai menée en Ukraine, j’ai parlé russe. Eh bien, je n’ai jamais été réprimé par les Ukrainiens. Ce qui se passe actuellement, c’est uniquement basé sur la nationalisme et l’appétit de conquête de la Russie. »

*Pour des raisons de sécurité, la localisation précise du centre ne sera pas mentionnée.

Christophe Lehousse
Photos : ©Nicolas Moulard

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Les conseillers départementaux Emmanuel Constant et Frédérique Denis, et Stéphane Troussel, aux côtés des réfugiés ukrainiens, le 23 mars

Le Département mobilisé aux côtés des réfugiés ukrainiens

Face à tant de besoins, le Département entend bien sûr participer lui aussi à la mobilisation en faveur des réfugiés ukrainiens. Et ce sur plusieurs plans. Le Commission permanente du Département a ainsi voté jeudi 24 mars une contribution à hauteur de 15 000 euros au Fonds de Solidarité de Cités Unies France pour l’urgence en Ukraine. Cette somme permettra de soutenir des actions telles que l’hébergement d’urgence, la restauration, les soins ou encore le soutien psychologique. Une autre somme du même montant servira par ailleurs à accompagner les personnes réfugiées accueillies en Seine-Saint-Denis en dehors des structures d’hébergement mises en place par l’Etat.
Doté d’un riche réseau de centres de protection maternelle et infantile, l’institution veut aussi mettre à profit ses compétences dans le domaine de la petite enfance. Dans le centre d’hébergement visité pour le reportage, une PMI est ainsi mobilisée, avec la possibilité pour les femmes enceintes et les enfants d’être auscultés. « Les femmes enceintes que j’ai jusqu’ici rencontrées sont souvent en état de choc, témoignait par exemple Valérie, sage-femme et agente au Département. Il faut notamment faire attention à la possible somatisation des traumas psychologiques qu’elles peuvent avoir vécu. C’est par exemple le cas d’une femme originaire de Kharkiv que j’ai vue ici il y a une semaine. Elle a attendu, enceinte, dans le froid pendant 24h à la frontière, où on lui disait qu’elle n’était pas prioritaire. Le fait que le Département intervienne, ça permet une prise en charge rapide, car aux urgences il faudrait sinon attendre la PASS (Permanence d’accès aux soins de santé, pour les plus démunis) qui n’est pas simple à obtenir. »
Sur le plan du logement, le Département va là aussi apporter sa pierre à l’édifice en mettant à disposition les logements de fonction des collèges qui ne seraient pas encore occupés. Enfin, 10 agents du Département russophones se sont aussi portés volontaires pour jouer le rôle d’interprètes auprès de réfugiés qui ne parleraient pas l’anglais.

Christophe Lehousse
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